Le réseau électrique belge est saturé. Entre surproduction d’énergie renouvelable et refus de raccordement, la transition énergétique marque le pas. SkySun, spécialiste belge du solaire B2B, mise désormais sur les batteries de stockage (BESS) comme clé de voûte d’un réseau équilibré. Mais les obstacles réglementaires freinent encore le déploiement. Le 7 novembre, l’entreprise inaugurait d’ailleurs aux Calcaires de la Sambre, près de Charleroi, l’une des toutes premières batteries wallonnes raccordée « derrière le compteur ». Une première concrète qui illustre le potentiel du modèle, mais aussi les obstacles réglementaires qui freinent encore son déploiement à grande échelle.
« L’implémentation de batteries est devenue la condition sine qua non pour que la transition énergétique s’opère et se poursuive », affirme Arthur Dawans, co-fondateur et CEO de SkySun EU. Le constat est sans appel : en Belgique, la surproduction d’énergie renouvelable provoque des saturations sur les boucles moyenne tension, notamment en Wallonie, où l’excès de panneaux solaires fait littéralement « sauter » les réseaux dans certains villages. Le problème gagne progressivement la haute tension.
Face à cette situation, deux options s’offrent aux gestionnaires de réseau : investir massivement dans de nouveaux câbles (comme le projet de boucle du Hainaut, dont l’aboutissement tarde à arriver) ou déployer rapidement des batteries pour « utiliser ces raccordements de manière plus intelligente, afin de soulager le réseau tant lors des surplus que lors des pénuries ». L’enjeu dépasse la simple fluidification : il s’agit d’un service d’utilité publique. Installer une batterie améliore le réseau sur l’ensemble de la boucle concernée, bénéficiant à tous les utilisateurs voisins.
Deux modèles pour monétiser la flexibilité
SkySun propose deux offres distinctes. La première cible les industriels disposant d’un raccordement surdimensionné. SkySun loue alors le terrain, installe une batterie (minimum 1 MW sur 2 heures, soit 2 MWh, soit l’équivalent d’un petit conteneur maritime) et se connecte directement au câble de raccordement, sans toucher au réseau électrique interne du site.

La rentabilité repose sur deux piliers : les services au réseau (notamment pour Elia, gestionnaire du réseau de transport) et le trading d’électricité. « Quand l’électricité affiche un prix négatif, que signifie cela ? Qu’il y en a trop et qu’il faut l’absorber », explique Arthur Dawans. La batterie achète et revend l’énergie à des fournisseurs comme Engie ou Total, fluidifiant ainsi le réseau tout en générant des revenus. Le loyer proposé au propriétaire du terrain peut être forfaitaire ou « très agressif au départ », SkySun tablant sur des rendements initialement élevés mais incertains à moyen terme.
Le second modèle s’adresse aux entreprises pénalisées par des pics de consommation ou des refus de raccordement. SkySun leur loue une batterie pour du peak shaving (lissage des pics) et l’optimisation de l’autoconsommation, en gérant l’intégralité du projet selon le cahier des charges du client.
Calcaires de la Sambre : un projet pilote « derrière le compteur »
Le 7 novembre 2025, SkySun inaugurait aux Calcaires de la Sambre, près de Charleroi, un projet combinant 5 hectares de panneaux solaires et une batterie BESS raccordée « derrière le compteur ». Cette configuration, l’une des toutes premières en Wallonie, permet d’installer la batterie sur le réseau interne du site industriel tout en l’utilisant pour la stabilisation du réseau public. Bertrand Dubois, directeur des Calcaires de la Sambre, se réjouit : « Ce projet est l’aboutissement d’une collaboration étroite avec SkySun. Nous sommes ravis de pouvoir avancer dans nos démarches écologiques sans devoir débourser de CAPEX, c’est un réel coup de pouce à la transition énergétique de l’industrie dans la région de Charleroi ».

Le projet illustre également un mécanisme de Virtual Power Purchase Agreement (VPPA) entre SkySun et AG Real Estate : l’énergie non consommée sur site (35% de la production) est envoyée vers les immeubles gérés par AG Real Estate, qui garantit ainsi un approvisionnement renouvelable, local et en temps réel sur 15 ans (1 GWh par an). Marc van Begin, CFO d’AG Real Estate, affirme : « Depuis cinq ans, notre collaboration avec SkySun illustre la volonté d’AG Real Estate d’avancer pas à pas dans la transition énergétique. Ce projet, à notre échelle, représente une étape concrète vers une consommation plus responsable et une production locale d’énergie verte. »
Le cadre réglementaire, principal goulot d’étranglement
Si SkySun affiche un pipeline ambitieux (plus de 80 MW de batteries en cours de permitting, dont 30 MW avec permis déjà obtenus et 2 MW avec raccordement confirmé), aucune installation n’est encore opérationnelle. Les premières sont annoncées pour le premier trimestre 2026, avec 10 MW supplémentaires attendus d’ici fin 2025. Mais Arthur Dawans pointe du doigt les « ralentissements dus à la législation sur les contrats de prélèvement flexible. »
Le problème est structurel : réserver 1 MW de puissance fixe à une batterie sur le réseau bloquerait cette capacité pour d’autres utilisateurs, comme une industrie souhaitant se raccorder. « Vous venez résoudre des problèmes, mais vous créez un goulot d’étranglement », souligne-t-il. Les gestionnaires de réseau ont donc dû élaborer des contrats de raccordement flexibles spécifiques aux batteries, autorisant un curtailment (limitation) total du prélèvement, ce qui était interdit pour les usines. Le texte législatif est actuellement en deuxième lecture, freinant de facto les autorisations.
Lors d’une table ronde organisée par SkySun le 16 octobre à Bruxelles, réunissant une soixantaine d’acteurs des trois régions, deux priorités ont émergé : accélérer la prise de décision (les autorisations se font encore au cas par cas) et agir vite, car la saturation du réseau ralentit déjà les projets d’énergies renouvelables.
Durabilité : recyclage plutôt que remplacement systématique
Contrairement aux idées reçues, Arthur Dawans insiste sur le bilan environnemental relatif des batteries. « Certes, vous allez ajouter une facture CO2, mais vous allez permettre d’accueillir davantage d’énergie renouvelable » et éviter le curtailment (coupure) d’installations photovoltaïques déjà amorties en carbone. Les batteries lithium-ion utilisées ne contiennent pas de terres rares, mais des minerais critiques (nécessitant des zones d’extraction spécifiques, notamment en Chine et Amérique du Sud).
Leur durée de vie ne se mesure pas en années, mais en cycles (une décharge complète suivie d’une recharge). « Hier, un intervenant garantissait 12 000 cycles. Si vous effectuez un cycle par jour, 12 000 divisé par 365 vous donne tout de même 32 ans », précise Arthur Dawans. En usage intensif (6 cycles par jour), une batterie tiendra 5 ans ; en usage raisonnable, 20 ans. Le consensus actuel table sur 15 ans. SkySun mise sur Umicore, champion belge du recyclage, pour structurer cette filière à l’échelle européenne.
Pipeline : les batteries dépassent déjà le solaire
SkySun, qui a levé 16,85 millions d’euros en 2024 pour atteindre 500 MW d’ici 2030, vise un ratio 50-50 entre solaire et batteries. Actuellement, le portefeuille photovoltaïque s’établit autour de 50-60 MW crête, mais le pipeline batteries (plus de 80 MW) dépasse déjà cette capacité. « Les batteries sont très rentables, mais elles le sont précisément en raison des perturbations sur le réseau », note Arthur Dawans. Paradoxalement, cette rentabilité favorisera à terme le solaire, dont la profitabilité s’améliorera une fois le réseau stabilisé.
Mais la fenêtre d’opportunité est limitée. « La batterie n’est pas subsidiée. Elle dépend réellement du marché, avec peut-être de très importantes rentabilités sur les deux prochaines années, mais absolument aucune certitude au-delà », avertit Arthur Dawans. Les développeurs engagent donc « des investissements risqués, très risqués », qui profiteront pourtant « à la société dans son ensemble » en réduisant les coûts de distribution.
Un pari sur l’avenir, freiné par l’inertie politique
SkySun veut donc dépasser la version du renouvelable énergétique qui se limite à poser des panneaux photovoltaïques et réfléchit déjà au coup d’après… enfin, au couo d’aujourd’hui puisque c’est maintenant qu’il faut repenser l’architecture même du réseau. Les batteries ne sont plus un accessoire, mais la « piste cyclable » indispensable aux « vélos » de l’énergie renouvelable. Reste à convaincre régulateurs et gestionnaires de réseau d’accélérer. Car sans cadre clair et rapide, la Belgique risque de manquer le virage du stockage et de voir sa transition énergétique bloquée par les infrastructures mêmes censées la porter.
