Une votation fiscale rare secoue la Suisse ce 28 septembre. Au cœur du débat : la fin de la valeur locative, avec des conséquences immédiates pour les Belges possédant un bien immobilier sur le sol helvétique.
Pas un jour ne s’écoule en Suisse sans que la « valeur locative » ne soit dans les débats. Et ceux-ci ne font que s’intensifier à l’approche du 28 septembre 2025, date fatidique de la votation fédérale qui décidera peut-être de son abolition. Le sujet passionne car il touche à des thèmes sensibles : logement, fiscalité, égalité entre propriétaires et locataires, et même écologie. Il illustre un nouveau « Röstigraben » dont la Suisse a l’art, non pas entre cantons romands et alémaniques mais entre cantons de plaine et de montagne. Les premiers veulent son abolition dénonçant un impôt jugé injuste et dont les déductions possibles incitent à l’endettement des familles. Les seconds non, craignant pour leurs recettes fiscales.
L’enjeu dépasse les frontières helvétiques : de nombreux résidents belges (les Belges) sont propriétaires d’un chalet ou appartement en Valais, dans le Vaud, les Grisons ou le Tessin. Ils sont directement concernés par cet enjeu national suisse aux conséquences internationales.
La valeur locative : un impôt réel d’un revenu fictif
Le système de la « valeur locative » repose sur une singularité suisse : imposer les propriétaires occupant leur logement comme s’ils le louaient à un tiers. Un loyer fictif, après certaines déductions, est rajouté aux autres revenus du contribuable et imposé. De quel montant ? De la « valeur locative » du bien en question, étant en théorie le montant que le propriétaire aurait pu percevoir d’un locataire hypothétique. En pratique, elle est souvent plus basse et est déterminée par chaque canton. Finalité du système ? Mettre sur pied d’égalité propriétaires et locataires. Les premiers habitent leur logement, économisent un loyer et peuvent faire valoir des déductions fiscales en tant que propriétaires (ex : frais d’entretien et intérêts hypothécaires). Les seconds paient un loyer mais ne peuvent pas faire valoir de telles déductions. Pour rétablir l’équilibre, le législateur suisse a prévu de reconnaître un revenu fictif imposable auprès des premiers.

Pour un Belge propriétaire d’un bien en Suisse, la fiscalité sur le revenu suisse est aussi basée sur la « valeur locative » attribuée à son bien. Il doit la déclarer dans sa déclaration fiscale annuelle cantonale pour les impôts sur le revenu aux niveaux fédéral, cantonal et communal. En contrepartie, il peut déduire certains frais et intérêts hypothécaires.
Sur le plan international, la Convention fiscale belgo-suisse permet bien à la Suisse d’imposer le Belge pour un bien situé sur son territoire. En Belgique, le revenu cadastral du bien attribué par l’Administration fiscale belge est exonéré mais pris en compte pour déterminer le taux effectif appliqué aux autres revenus imposés en Belgique.
Depuis des décennies en Suisse, le système de la « valeur locative » suscite des critiques. Beaucoup le juge injuste. Injuste de payer un impôt sur un revenu imaginaire. Or, paradoxalement la Suisse compte pourtant 2/3 de locataires et 1/3 de propriétaires, à l’exception notoire du Valais où c’est l’inverse. Son futur sera décidé sur la place publique le 28 septembre prochain.
Si l’issue semble indécise jusqu’au bout, la votation est particulièrement biscornue. Accrochez-vous. Officiellement, elle porte sur une modification constitutionnelle permettant l’introduction d’un nouvel impôt cantonal immobilier spécial sur les résidences secondaires. Du fait d’une clause de coordination prévue, deux objets sont liés : L’imposition de la « valeur locative » ne sera supprimée que si le nouvel impôt immobilier est accepté le 28 septembre. Autrement dit, la « valeur locative » n’est qu’indirectement soumise à la votation. Ses partisans devront voter « non » et ses opposants « oui ». Un fameux imbroglio.
Ce qui changera si la « valeur locative » est abolie
En cas d’abolition, la « valeur locative » ne sera plus imposée. Mais, en contrepartie, toutes les déductions fiscales possibles disparaîtront. Pour un Belge propriétaire d’un bien financé sans dette, sa situation devrait être favorable : moins d’impôt en Suisse et statu quo pour l’impôt en Belgique. Si son bien est financé avec une dette et des intérêts à payer, la perte de déduction pourrait peser. Même chose si son bien est ancien et nécessite des frais d’entretien conséquents. Ceux-ci ne seront plus déductibles. D’où les aboiements des opposants à l’abolition : la réforme incitera au recours au travail au noir et n’incitera plus à l’amélioration énergétique des biens.
En revanche, chaque canton pourra instaurer un nouvel impôt spécial sur les résidences secondaires. C’est ici que les incertitudes résident car le taux, l’assiette, les exemptions et les autres modalités dépendront du choix de chacun des législateurs cantonaux. En théorie, il pourrait entrer en vigueur le 1er janvier 2026, mais l’horizon 2028 ou 2029 semble plus réaliste.
Ce qui ne changera pas, qu’importe le résultat de la votation
Si le bien en Suisse est loué, le Belge propriétaire doit et devra toujours déclarer en Suisse les revenus locatifs perçus, après certaines déductions. À ce jour, la « valeur locative » n’est à déclarer qu’au prorata de la période non louée. En toute vraisemblance, le nouvel impôt spécial cantonal devrait la remplacer au même prorata.

Par ailleurs, rien ne changera pour l’impôt suisse sur la fortune. Prélevé par les cantons et communes, il faudra toujours déclarer en Suisse, après déduction d’une éventuelle dette hypothécaire, les « valeurs fiscales » de son bâtiment et terrain. Déterminées par chaque canton, ces valeurs sont en réalité largement inférieures aux valeurs de marché.
Une réforme à double tranchant
En conclusion, derrière cette votation en Suisse se cache en réalité une équation sensible, aux conséquences pour les propriétaires non-résidents suisses de biens en Suisse. D’une part, supprimer une imposition jugée injuste et obsolète paraît séduisant. La dernière tentative en 2012 avait cependant échoué dans les urnes avec 53% de « non ». D’autre part en parallèle, introduire un nouvel impôt, aux contours encore flous, constitue un saut dans l’inconnu.
Un nouvel impôt est par essence un mauvais signal donné. Supprimer un impôt pour le remplacer par un autre est rarement favorable aux contribuables. De surcroît lorsqu’à ce jour nul ne connait en réalité vraiment les contours du nouveau. Si l’on rajoute les déductions fiscales actuelles qui passeront à la trappe, la charge fiscale risque d’augmenter pour les propriétaires tant résidents suisses que belges. D’autant plus que l’immobilier en Suisse est déjà soumis à plusieurs impôts (fortune, chaque année ; mutation lorsque son propriétaire change ; gains immobiliers en cas de vente avec plus-value ; et successions et donations, en cas de décès et donation).
Pour ces raisons, l’abolition de la « valeur locative » pourrait constituer une fausse bonne nouvelle, une victoire à la Pyrrhus pour ses partisans. Essentiellement car ce nouvel impôt spécial est un blanc-seing à taxer. Abolir la seule « valeur locative » oui, mais pas avec le menu complet qui est servi aux Suisses le 28 septembre prochain.
Seul espoir à l’horizon dans le cas où le changement serait néanmoins décidé le 28 septembre prochain, la main pour le nouvel impôt spécial sera laissé aux vingt-six cantons. Ce qui devrait stimuler une concurrence intercantonale, à l’instar des autres impôts cantonaux sur l’immobilier (fortune, mutation, gains immobiliers, et successions et donations). Paradoxalement, la charge fiscale totale d’un chalet ou appartement devant les montagnes ou lacs suisses pourrait dès lors in fine fort bien se retrouver allégée.
Anton van Zantbeek et Marc-Etienne Baijot sont avocats fiscalistes au sein du cabinet Rivus Avocats, un cabinet international spécialisé en droit fiscal patrimonial ayant des antennes à Bruxelles, Gand et Sion (Valais, Suisse).
Me Baijot est diplômé en droit fiscal suisse et en droit des successions suisse à l’Université de Neuchâtel.