Avec AFC Collection, Audrey Joris réinvente l’accès au mobilier haut de gamme. En mêlant leasing, expérience digitale et distribution flexible, elle redéfinit les codes du retail. Lauréate du classement Forbes 30 Under 30 Europe (catégorie retail & e-commerce), elle revient sur un parcours d’entrepreneuse né d’un manteau cousu sur mesure, devenu une entreprise à la croisée du design, du leasing et du digital.
Forbes Belgium – Votre parcours entrepreneurial commence avec un manteau à Shanghai. Que s’est-il passé ensuite ?
Audrey Joris – J’étais encore étudiante en finance à la KUL, en summer school à Séoul, quand j’ai rendu visite à une amie à Shanghai, Alicia Meus. J’ai flashé sur une matière textile et demandé à un artisan de m’en faire un manteau. Un an plus tard, en Belgique, une vendeuse me complimente dessus. Puis l’acheteuse de la boutique me contacte : elle voulait 30 pièces pour Noël. On était en novembre. J’ai recontacté mon amie et on a monté une petite structure. On avait deux mois devant nous et le blocus se profilait. Mais on l’a fait. C’est comme ça qu’est né AliciaAudrey. Ensuite, pendant mon master, j’étais en colocation avec Augustin Bown, qui allait devenir mon associé. Nous recherchions du mobilier design à un prix raisonnable pour décorer notre appartement, mais l’offre se révélait très polarisée : soit des produits bon marché de qualité discutable, soit des pièces haut de gamme à des tarifs inaccessibles. Faute d’alternative satisfaisante, nous nous sommes tournés vers le marché de la seconde main, qui répondait mieux à nos exigences en matière de style et de durabilité. Pour financer nos propres achats, nous organisions des dîners au cours desquels nos invités pouvaient acquérir les meubles exposés chez nous. L’enthousiasme suscité par ces événements nous a conduits à structurer progressivement l’activité, notamment par le lancement d’un compte Instagram dédié à la revente. C’est ainsi qu’AFC Collection a véritablement pris forme.
– Quel virage avez-vous opéré ensuite avec AFC ?
– On a vite compris que la revente sur ce modèle ne permettrait pas de scaler. On a donc adapté un modèle qui existait déjà ailleurs : le leasing. L’idée, c’était de permettre à nos clients d’avoir des intérieurs très haut de gamme, mais avec des paiements échelonnés sur plusieurs années, comme pour une voiture. Notre offre “lease-own” permet d’accéder à du mobilier exceptionnel sans devoir tout payer d’un coup. On n’a rien inventé, on a juste transposé ce modèle au design, en le rendant simple, clair et accessible. C’est ce pivot qui nous a vraiment fait changer d’échelle.
– En quoi votre approche change-t-elle l’expérience client ?
– Nos deux showrooms, à Bruxelles et Knokke, sont des espaces hybrides. L’expérience physique y est enrichie par des outils numériques : écrans tactiles, moodboards digitaux, réalité virtuelle, lunettes immersives… Les clients peuvent se projeter, toucher les matières, explorer l’aménagement en 3D avant de décider. On élimine les contraintes de stockage, on se libère des limites d’une surface d’exposition, et donc on gagne en liberté créative, et on peut dupliquer le modèle à l’international. C’est notre ambition. Cette combinaison entre l’humain, le digital et le design, c’est ce qui fait notre spécificité.

– Le marché était-il prêt pour ce modèle ?
– Pas au début. Les grandes marques étaient frileuses. Elles défendaient leur réseau traditionnel et refusaient de travailler avec nous. Il a fallu les convaincre que, même sans stock, on investissait ailleurs : dans la tech, dans la modélisation 3D, dans l’IT. On ne voulait pas concurrencer les retailers classiques, mais proposer une autre façon de vendre. Aujourd’hui, certains de nos clients investissent 30 000 à 40 000€ sans forcément voir physiquement les meubles. C’était inimaginable il y a encore quelques années. Le marché a changé, les usages aussi, et on est contents d’avoir participé à cette évolution. Quel a été, pour vous, le plus grand défi à surmonter, et l’erreur à ne pas reproduire ? La trésorerie. C’est un problème permanent. Quand une petite structure grandit vite, elle souffre forcément sur ce point. Et comme c’est proportionnel au chiffre d’affaires, c’est difficile à stabiliser. C’est un défi quotidien. Et si je devais pointer une erreur, ce serait d’avoir voulu faire des économies sur les recrutements. Ça finit toujours par coûter plus cher. Il faut investir dans les bons profils dès le départ, même si ça fait peur sur le moment.
« Il faut investir dans les bons profils dès le départ, même si ça fait peur sur le moment »
– Comment avez-vous vécu le fait d’entreprendre avec des proches ?
– Ça s’est toujours fait naturellement. Avec Alicia ou Augustin, il n’y a jamais eu de tension. Que ce soit avec l’un ou l’autre, je n’ai encore eu littéralement aucun problème. Tout s’est toujours fait avec beaucoup de naturel. Avec Augustin, nous faisons partie de la même bande d’amis et ça ne pose aucune difficulté. Les frontières entre vie privée sont parfois perméables entre lui et moi. Il nous arrive très souvent, dans le bureau, en présence de l’équipe, d’évoquer notre weekend, ou nos vacances… mais jusqu’à présent, l’équipe est suffisamment petite pour que cela ne dérange personne. Nous avons une philosophie de travail très conviviale. Peut être que si la société grandit, les relations professionnelles évolueront aussi. Vous avez développé d’autres activités en marge de votre cœur de métier… Oui, on a répondu à des demandes en rénovation, cuisine, salle de bain. Ce n’était pas notre core business, mais ça nous a permis de clarifier deux offres : le “pink package”, pour la location de mobilier uniquement, et le “green package”, plus complet. Ce pivot nous a permis de mieux structurer notre proposition et de répondre à la demande, sans perdre notre ADN.
– Pourquoi avoir laissé AliciaAudrey pour vous concentrer sur AFC ?
– J’aime la mode, mais j’ai toujours su que ce n’était pas ça qui me faisait vibrer. J’ai continué à accompagner le projet en stratégie, je vois encore Alicia chaque mois, mais mon cœur était ailleurs. J’ai été honnête dès le début.
Ce choix s’est imposé naturellement.

– Quelles sont les prochaines étapes pour AFC Collection ?
– On est dans une phase de consolidation. Nous venons d’être rejoints par un investisseur, le groupe RMC, qui nous amène, parce qu’ils les a en portefeuille, toutes ces marques qui hésitaient à travailler avec nous en raison de l’originalité de notre approche. Notre catalogue va donc vraiment croître et nous sommes occupés à absorber cette croissance. Quand ce sera fait, nous pourrons nous rencontrer sur de nouvelles ouvertures de showrooms.
Avec du recul, comment regardez-vous votre parcours ?
– J’ai eu la chance d’être entourée de gens brillants, dans une famille à la fibre entrepreneuriale. Quand j’avais un doute sur un contrat, je savais vers qui me tourner.
C’est un luxe. Quand on raconte l’histoire comme je viens de le faire, tout à l’air merveilleux et facile alors que cela a pu, à certains moments, être particulièrement pesant et stressant. Je me suis souvent demandé pourquoi je ne prendrais pas un boulot plus paisible, avec des horaires de bureau. Mais finalement, ce qui me fait avancer, c’est ce projet, c’est construire, c’est essayer des choses, même quand c’est risqué.
