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« C’est peut-être la dernière année de Lubay… » : dans la vallée de la mort des marques créatives en Belgique

Dans l’ombre des success stories, Soho Francotte raconte la réalité d’une entrepreneure créative en Belgique

« J’ai l’impression que ça va être la dernière année de Lubay… c’est effrayant. » Quand on reçoit ce genre de mail dans sa boîte, impossible de passer à côté. Pas parce qu’elle joue la carte du pathos, mais parce qu’elle ose mettre des mots crus sur une réalité rarement racontée : celle des marques indépendantes coincées dans ce que les économistes appellent « la vallée de la mort ». Ce moment critique où l’on a déjà prouvé que son projet fonctionne… mais où l’absence d’investissements massifs empêche de passer à l’échelle.

Depuis quatre ans, Soho Francotte, fondatrice de Lubay(sacs et maroquinerie vegan made in Belgium) porte seule sa marque sur ses épaules. « On est trop grand pour être un hobby, pas assez grand pour devenir industriel« , résume-t-elle. Lubay a beau avoir remporté le « Prix Coup de Cœur » de la Vitrine de l’Artisan 2022 et décroché un papier dans Vogue, la croissance reste fragile, suspendue à un équilibre précaire : « Choisir entre investir dans mes matières premières ou dans la communication, c’est ça mon quotidien. »

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Le sac Scaldis Médium est fabriqué à partir de déchets de pommes européens. ©D.R.

Le paradoxe belge

Soho parle de pricing paradoxal du made in Belgium : « Mes matières premières coûtent déjà plus cher que le prix d’un sac vendu chez certaines enseignes de fast fashion. » Produire localement impose des tarifs bien supérieurs au mass market, mais rester accessible implique de rogner sur ses marges. Entre le luxe à 1 800 € et le sac à 20 €, il reste un terrain quasi introuvable.

Et même quand on réussit à convaincre un ou une cliente, il faut recommencer le mois suivant. La fidélité est devenue rare : « Il y a plus de marques éthiques qu’il y a dix ans, ce qui est super ! Mais ça rend aussi les clients plus volatils. » Sans compter la concurrence des plateformes de seconde main, où l’on trouve parfois la même pièce à -40%. « C’est humain. Moi aussi, je le fais. Mais forcément, ça ne revient pas à la boutique. »

Sous pression permanente

Dans l’ombre des grandes campagnes pub qui inondent nos feeds, Soho tourne avec un budget de communication de… 70€ par mois. Face à des marques qui sponsorisent des posts quotidiennement, impossible de rivaliser. Alors elle bricole, optimise chaque euro, écoute des podcasts SEO en cousant ses sacs : « Ce travail-là, il ne se voit pas, mais il est vital. Si quelqu’un tape ‘sac vegan Belgique‘ sur ChatGPT, il faut que je sois là. »
Le pire ? La transparence exigée des petites marques. « On nous demande beaucoup plus de comptes qu’aux géants de la fast fashion. Comme on est atteignables, les gens se lâchent plus facilement. » Une pression qui s’ajoute à la solitude entrepreneuriale : conception, fabrication, communication en quatre langues, optimisation du site… tout passe par elle. « Si je devais déléguer la fabrication, ce serait un autre délire. Je ne sais pas si je serais encore là. »

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Soho Francotte, fondatrice de Lubay © D.R.

Un modèle économique à repenser

Soho ne se pose pas en victime, mais en témoin : « Le modèle actuel favorise les gros budgets et la production de masse, au détriment des marques créatives et indépendantes. » Elle plaide pour des solutions structurelles : financements adaptés aux projets créatifs, plateformes de visibilité, incitations fiscales. Pas du coaching, mais des leviers concrets pour aider les entreprises à passer ce cap critique. En attendant, elle ajuste sa trajectoire : audit complet de son site, version néerlandaise retravaillée (résultat : une hausse des commandes en Flandre et aux Pays-Bas), optimisation du référencement. « On se met parfois des barrières soi-même. Là, j’ai ouvert une porte. »

Et si la vallée de la mort n’était pas un point final ? Peut-être juste un col de montagne à franchir, à coups de nuits blanches, de 50€ de pub, et de clients fidèles qui, parfois, reviennent pour un quatrième sac. « Quand ça arrive, ça change tout. Tu te dis que tes valeurs résonnent vraiment.« 

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