Des maisons de niche aux parfumeurs les plus confidentiels, chaque sillage signe une allure et par sa rareté, une prestance. Liée à un positionnement social, l’exclusivité de la présence olfactive a-t-elle un prix ? Elle a en tout cas un coût, celui d’une recherche inspirée, respirée.
Il s’adresse à la plus primitive de nos mémoires. Le choix d’un parfum, qu’il soit de niche, plus grand public mais peu distribué ou formulé sur mesure, impacte la perception de l’entourage au niveau inconscient. Si les maisons de parfums de niche belges de qualité « n’existent peu ou pas » selon Sylviane Lust, collaboratrice depuis une dizaine d’années de Johanna Kroonen qui a cofondé la maison de cosmétiques haut de gamme Beauty by Kroonen au Sablon en 2010, « en réfléchissant à la notion de luxe en parfumerie, on peut distinguer les marques qui s’identifient comme telles par stratégie marketing, et celles qui optent pour un luxe plus discret, mais authentique ».
« Tout ce qui est de niche est de plus en plus cher »
Des compositions riches et voluptueuses
Toujours au parfum des aventures olfactives les plus captivantes, Sylviane Lust évoque les créations de la maison Amouage, lancée par le sultan d’Oman dans les années 80. « C’est la synthèse de toutes les qualités que l’on recherche dans le luxe : un positionnement très exclusif, pour des parfums particulièrement opulents, qui rassemblent un nombre important de matières premières d’une qualité exceptionnelle ».
Gold, le premier parfum lancé par la marque et dont la formule a été actualisée pour la rendre plus mixte, « touche à la quintessence du luxe : au niveau des intentions, des ingrédients, de la composition et même du flaconnage ». Si au moment de sa création de la marque, Gold comptait parmi les parfums les plus coûteux (actuellement, il faut compter 365€ pour 100ml), Sylviane souligne que « tout ce qui est de niche est de plus en plus cher, même si certaines marques qui s’inscrivent dans ce segment ne sont pas toujours légitimes. Quand nous découvrons une nouvelle proposition, si le produit est sublime, le prix n’est pas rédhibitoire. Nous valorisons les parfums avec une tenue exceptionnelle et une diffusion extraordinaire ».
Investir dans une histoire
Chez Beauty by Kroenen, le flacon le plus coûteux, 550 euros, n’existe qu’en 50 ml, et il est signé de la marque anglaise Clive Christian, fondée en 1840 et fournisseur officiel de la cour d’Angleterre sous le règne de Victoria. « Les formules originales ont été adaptées aux nouvelles normes, et les noms sont ceux d’époque. On parle ici de la grande tradition de la parfumerie anglaise, qui s’appuie sur la fraîcheur et la transparence, dans l’esprit ‘salon de barbier’. » Autre proposition singulière, la marque hollandaise Puredistance, fondée en 2002 à partir d’un fantasme de parfumerie. Jan Ewoud Vos a lancé sa maison de parfums avec une seule référence, et son concept en compte aujourd’hui douze, sous l’appellation Magnificent XII. « Quand il en sort un nouveau, il en retire un autre de la collection. Ils sont très concentrés, leur tenue est remarquable. Ils sont intemporels, hors modes et sans âge. Pour moi, le luxe est dans le parfum qui éblouit ». Pour un vaporisateur de sac de 17,5 ml, comptez 175 euros, et 490 euros pour 100ml.

En odeur d’exclusivité
Depuis 1997 chez Senteurs d’Ailleurs Avenue Louise, l’une des plus anciennes et plus grandes parfumeries de luxe à Bruxelles, on respire des innovations extraordinaires, adaptées à tous les modes de vie. Parmi les conseillers ultra-formés et particulièrement sensibles aux innovations, Quentin Mathieu analyse que depuis quelques années, le marché du parfum de niche est « surpeuplé, avec des dizaines de maisons qui se lancent chaque année. Pour être présenté chez nous, il faut marquer une différence. Cela concerne des marques très exclusives, ou de très haute qualité mais plus connues ». Selon cet expert, pour laisser un sillage unique, on peut explorer du côté de Parfum d’Empire, créé en 2003, « un pilier quand on est amateur de grands parfums. C’est une marque française lancée par un professeur du prestigieux ISIPCA* de Versailles, avec d’extraordinaires matières premières ». Et les parfums ne sont pas les plus coûteux : en moyenne 175 euros les 100 ml, tandis qu’un flacon de 100ml du parfum The Night, créé par Dominique Ropion pour Frédéric Malle à base d’oud véritable, de rose de Turquie, de bois de santal et d’encens, revient à 1430 euros.
« Pour moi, Nuit de Bakélite, c’est comme entrer dans une serre victorienne remplie de plantes carnivores »
Un sillage signé
Parmi les jeunes marques, retenons Head Space, une maison française « très pointue qui cultive des fragrances originales aux compositions atypiques. Par exemple, la Tubéreuse (195 euros les 100 ml) est ici interprétée en jus boisé très vert, avec une approche végétale inattendue ». Parmi les maisons artisanales, une belge se distingue : Unomismo a été fondée à Bruxelles par Antonio Caraz, passionné de parfums, de contes et de légendes. S’inspirant de mondes imaginaires, il a notamment composé Soul of Pirates à base de patchouli ambré avec des notes de rhum, tandis que Derkomaï se nourrit de mythologie et de dragons, avec des notes de cuir, de prune et d’épices brûlantes (180 euros pour 100 ml). Enfin, pour les amateurs d’ultra-niche, la ligne de parfums signée par la modiste australienne Naomi Goodsir s’adresse aux vrais amateurs d’exploration olfactive : « Son parfum phare, Nuit de Bakélite, à base de tubéreuses, est une fragrance comme vous n’en avez jamais senti. C’est une tubéreuse verte, une explosion végétale, on peut pratiquement respirer la sève de la plante ». Pour se figurer sa puissance, il en coûtera 150 euros les 50 ml. « Pour moi, Nuit de Bakélite, c’est comme entrer dans une serre victorienne remplie de plantes carnivores. » Pour un public averti, à la curiosité désormais piquée.
Un parfum de mode
Une fragrance peut habiller une personnalité, c’est pourquoi Ann Demeulemeester a créé A, proposition de parfum avec un P majuscule, fort de son vocabulaire de mode radicale et sophistiquée. Un jus subtil, tranché et envoûtant, extrêmement qualitatif. On se l’offre pour 330€ les 100ml dans sa boutique à Anvers ou chez Stijl à Bruxelles. De son côté cet automne, Mathieu Blazy, autre créateur belge et directeur artistique de Bottega Veneta, vient de lancer pour la maison italienne une collection de parfums inspirés de ses origines vénitiennes. Cinq parfums imaginés comme une rencontre d’ingrédients et de continents, un tressage olfactif qui harmonise des essences 100% d’origine naturelle de différents coins du globe. Chaque flacon, unique et rechargeable, exempt de plastique, évoque l’esthétique du verre soufflé bouche à Murano. Posé sur un socle de marbre vert et fermé par un bouchon sculptural en bois, il fait un clin d’œil aux fondations des palais de Venise. Sa conception est durable, son prix de 390 euros pour 100ml.

Les différentes dimensions du sur-mesure
Pour les puristes d’une identité olfactive radialement personnalisée, L’Antichambre, Place Brugmann à Bruxelles, conçoit en 1h30 des parfums personnalisés. Anne Pascale Mathy-Devalck, graphiste et photographe de formation a lancé son projet en 2009 parce qu’elle ne trouvait pas le parfum lui correspondant exactement. Formée à la création d’entreprise à Solvay, elle collabore avec des nez reconnus dans le Sud de la France. « Je travaille avec eux les matières premières, puis ils peaufinent les formulations ».

Le concept de L’Antichambre se décline à partir d’une cinquantaine de bases – iris, poivre rose, osmanthus, palissandre, cèdre… – qu’elle combine en conversation avec ses clients. Pour 50ml, il faut compter 215 euros, ou 265 euros pour 100 ml. « Les bases sont concentrées de 20 à 35 %, ce qui est élevé en parfumerie, et les ingrédients sont naturels le plus souvent possible ». Mais dans l’univers privilégié du sur-mesure, on peut aussi jouir du luxe de la démesure. La Maison Guerlain propose depuis 2006 un service de création comparable à celui réservé à la Haute Couture et à la Haute Joaillerie. Guidé par l’expertise de Thierry Wasser, maître-parfumeur de la Maison, il matérialise l’essence de la très Haute Parfumerie. Réservées à quelques amoureux inconditionnels du parfum – cinq à dix par an seulement – ces créations sont le fruit de conversations introspectives. Elles sont précédées de rencontres dans les salons privés de Guerlain à Paris, ou dans un lieu choisi par le commanditaire. Le parfum dont la formule sera exclusivement réservée à son propriétaire, est embouteillé dans le légendaire Flacon aux Abeilles de la maison, lui-même placé dans un coffret précieux Moynat, marqué aux initiales du client. Celui-ci dispose alors d’un flacon d’un litre de fragrance, de six flacons de 100ml, et quatre de 30ml. Le prix de cette exclusivité, réservée à vie à son acquéreur ? 120.000 euros, pour un exceptionnel sillage, au parfum de son image.

*Institut supérieur international du parfum, de la cosmétique et de l’aromatique alimentaire