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Faut-il se déconnecter en vacances?

Le fameux « droit à la déconnexion » est aujourd’hui garanti dans plusieurs législations nationales, notamment en Belgique depuis 2022. Mais s’il est salué, faut-il absolument en faire usage lorsqu’on est en vacances ?

Depuis quelques années, et surtout depuis la pandémie, l’importance de l’équilibre vie privée/ vie professionnelle se fait fort ressentir dans nos sociétés. C’est à cette fin qu’un « droit à la déconnexion » a été discuté et inséré dans certaines législations du travail. C’est le cas en Belgique depuis le 3 octobre 2022 et la loi portant des dispositions diverses relatives au travail, et spécifiquement le droit à la déconnexion au regard des technologies. Encore faut-il s’entendre sur ce droit. Catherine Hellemans, professeure en psychologie du travail à l’ULB, fait ainsi la distinction entre deux idées qui se cachent derrière le terme « déconnexion » : « Il y a d’abord la notion de déconnexion par rapport à tous ces outils de communication reliés par Internet et il y a la notion de déconnexion du travail, qui est plutôt le fait de ne plus penser à ce dernier une fois les heures prestées. »

Selon Catherine Hellemans, la généralisation du télétravail et le recours massif aux technologies de l’information et de la communication sont deux facteurs qui ont joué un rôle majeur dans la difficulté progressive des travailleurs à se déconnecter, notamment en période de repos comme les vacances. « Le télétravail rend beaucoup de choses invisibles, alors qu’avant, si on caricature un peu, les gens venaient au travail et puis partaient du travail », explique-t-elle. Conséquence : le floutage des limites entre le temps de travail et le temps de vie privée. « D’autant qu’on est aujourd’hui beaucoup plus équipé à la maison. L’entreprise fournit souvent un ordinateur, voire un téléphone professionnel ».

La professeure relève dès lors qu’« à cause de tous ces facteurs, il y a une certaine ambiguïté autour de ce qui est attendu du travailleur ou de la travailleuse. On ne sait plus très bien identifier quelles sont les limites de ce qu’on peut se permettre de ne pas faire par rapport à ce qui est attendu qu’on fasse ». C’est là qu’intervient le droit à la déconnexion : « Il lève une série d’ambiguïtés et clarifie notamment très fort le lien avec l’employeur, le ou la supérieur(e) hiérarchique, et ce qu’il/elle est en droit d’attendre de nous ». La Loi de 2022 indique que les employeurs sont tenus d’écrire quelque part, que ce soit dans une convention collective de travail ou dans un règlement de travail, que les travailleurs ont le droit de ne pas se connecter à leurs outils digitaux professionnels en dehors de leurs heures de travail.

Dis-moi ce que tu fais et je te dirai si tu déconnectes

« Sur papier, c’est évidemment une excellente idée », nuance Catherine Hellemans, mais dans la pratique, les travailleurs font face à certains dilemmes intérieurs lorsqu’il s’agit de se déconnecter pendant les vacances. Faut-il continuer de vérifier ses mails ? Faut-il assister à cette réunion importante en ligne pendant la semaine de congé ? Pour la professeure en psychologie du travail, il existe une série de facteurs qui influencent la capacité d’une personne à se déconnecter pour de vrai. « En fonction du type de métier et du type de tâches à réaliser, ce droit à la déconnexion va évidemment être utilisé différemment. La situation sera différente par exemple entre un(e) commerçant(e) qui exerce son travail en présentiel uniquement et un(e) indépendant(e) qui dépend de ses client(e)s pour survivre et avec lesquel(le)s il ou elle doit rester en contact quasi constant. »

Catherine Hellemans
Catherine Hellemans

Autrement dit : si le métier est plutôt télétravaillable et que donc la travailleuse ou le travailleur a l’habitude d’utiliser les technologies de communication, la déconnexion sera difficile (à moins de partir en vacances en laissant derrière soit tout outil digital professionnel). Si en revanche, le métier se réalise uniquement en présentiel, il sera plus aisé de se déconnecter en rentrant chez soi ou en partant en week-end. Pour les cadres et les postes à responsabilités, la situation est encore autre : « La probabilité pour qu’ils soient poussés à lire leurs mails en fin de journée, voire le week-end ou durant les vacances est logiquement élevée », souligne Catherine Hellemans. Leurs responsabilités les obligeant souvent à garder un œil sur tout ce qu’il se passe dans l’entreprise.
Ce sont donc toute une série de personnes qui, par la spécificité de leurs tâches, se sentent mal à l’aise, ou frustrées, ou stressées, de déconnecter pendant les vacances. Mais d’autres éléments sont à prendre en considération, notamment au niveau plus personnel. Ainsi, expose Catherine Hellemans, « un ou une jeune qui aspire à une évolution de carrière sera tenté(e) de continuer à checker ses mails pendant ses vacances, pour prouver qu’il ou elle est quelqu’un d’impliqué(e) ». À l’inverse, d’autres auront du mal à se déconnecter par peur des conséquences : « Les gens peuvent se disent que s’ils arrêtent de vérifier leur emails pendant une semaine, ils seront peut-être les premiers à être licenciés en cas de restructuration. »

Culture d’entreprise et respect de chacun(e)

D’où l’importance d’une culture organisationnelle qui promeut et encourage cette déconnexion. D’ailleurs la loi belge de 2022 recommande aux entreprises de mettre en place des processus de sensibilisation à l’importance de la déconnexion et de la balance entre vie privée et vie professionnelle. Certaines sociétés ont ainsi mis au point un système de déconnexion automatique, rendant impossible l’accès à la boîte mail des employé(e)s passée une certaine heure.

Pour autant, Catherine Hellemans rassure sur le fait que consulter ses e-mails pendant les vacances ou répondre à l’appel d’un/d’une client(e) ou d’un/d’une collègue ne fait pas d’office de nous quelqu’un d’accro au travail. Chacun et chacune est libre de placer le curseur où il/elle le souhaite, tout en prenant en considération le droit à la déconnexion des autres. Bref, le plus indiqué est d’annoncer la couleur : « Moi, pendant x jours, je suis hors-ligne, ok ? » Aux collègues, à la direction et à l’extérieur (via le message d’absence, stipulant l’inaccessibilité au courrier pendant telle ou telle période). Pour autant évidemment que le bon fonctionnement de l’entreprise ne soit pas en danger.

Ce que dit la loi belge instaurant le droit à la déconnexion

Dans son article 16, la loi du 3 octobre 2022 « portant des dispositions diverses relatives au travail » instaure « une nouvelle disposition qui prévoit que les modalités du droit à la déconnexion pour le travailleur d’une entreprise avec au moins 20 travailleurs, ainsi que la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques doivent faire l’objet d’une convention collective de travail conclue au niveau de l’entreprise ». À défaut, « ces modalités et ce dispositif doivent être repris dans le règlement de travail ».

Des accords concrets doivent dès lors être fixés pour le droit des collaborateurs/trices à ne pas être joignables par téléphone, courriel ou plate-forme (Teams, Zoom, etc) en dehors de leur temps de travail (« congés, temps de repos, week-end, soirée, etc »). « À l’instar de l’exemple français, il peut s’agir de consignes pour ne pas répondre aux mails ou à des appels sur son téléphone portable ; de dispositifs de mise en veille des serveurs informatiques en dehors des heures de travail ; d’activation des messageries d’absence et de réorientation ; de l’usage d’une signature automatique indiquant le caractère non impératif d’une réponse immédiate. »

La loi ajoute que « l’employeur devra également prévoir des mesures de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques destinés aux travailleurs mais également au personnel de direction ».

Valentine Guerrier 

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