Et si les cerveaux les plus performants n’étaient pas ceux que l’on croit ? Alors que les enjeux de diversité explosent dans les stratégies RH, la neurodiversité reste un parent pauvre des politiques d’inclusion en entreprise. Pourtant, elle concernerait près de 20 % de la population. Soit une personne sur cinq dans vos équipes. Des profils souvent invisibles, parfois non diagnostiqués, aux besoins singuliers – mais aux talents inestimables.
C’est pour mettre en lumière ces talents que Moira Wrathall et Audrey Carrafa ont fondé HyperSens, un collectif belge atypique dédié à la neuroinclusion, et lancé le Neurodiversity Experience Day (NED), dont la prochaine édition aura lieu le 19 juin à Bruxelles. L’objectif ? Sensibiliser les entreprises aux enjeux (et opportunités) de la neurodivergence au travail.
Penser autrement, travailler différemment
La neurodiversité, c’est d’abord un fait biologique. Chacun d’entre nous perçoit, mémorise, réfléchit ou apprend différemment. Mais lorsque ces différences s’éloignent de la norme majoritaire, on parle de neurodivergence. Celle-ci englobe les profils dits « atypiques » : troubles DYS, TDAH, trouble du spectre de l’autisme (TSA), haut potentiel intellectuel (HPI)…
« Le problème, c’est que ces personnes passent souvent leur vie à se camoufler pour rentrer dans le moule », explique Audrey Carrafa. Cette stratégie de masking, coûteuse en énergie, empêche l’expression de leur plein potentiel. Et nombre d’entre elles ne savent même pas qu’elles sont concernées. « On a parfois des personnes TDAH qui s’ignorent depuis toujours, ou des HPI chez qui le haut potentiel compense des troubles autistiques, rendant le diagnostic plus complexe. »
Des atouts insoupçonnés
Ce que les entreprises considèrent parfois comme des faiblesses – distraction, hypersensorialité, lenteur apparente, difficulté à interagir – cache en réalité des compétences exceptionnelles. Créativité, résilience, capacité à penser « hors cadre », analyse poussée, hyperspécialisation : autant de qualités recherchées dans les environnements exigeants.
« Ces personnes ont souvent dû développer très tôt des stratégies d’adaptation parce que le système scolaire n’était pas conçu pour elles. Résultat : elles sont capables de prendre de la hauteur, de résoudre des problèmes complexes, ou d’explorer un sujet avec une intensité que d’autres n’ont pas », détaille Moira Wrathall.
Une étude Deloitte révèle d’ailleurs que les entreprises qui misent sur la neurodiversité enregistrent en moyenne 30 % de gains de performance et 2,5 fois plus d’idées générées par leurs équipes. Accenture, de son côté, parle d’un +1,4 % de chiffre d’affaires pour les structures les plus inclusives.

Un potentiel encore trop peu exploité
Mais si les chiffres parlent, le terrain, lui, reste frileux. En Belgique, la neuroinclusion en entreprise est encore embryonnaire. « On est à l’étape de la sensibilisation », reconnaissent les deux expertes. Pourtant, 59 % des aménagements nécessaires sont gratuits à mettre en place : horaires souples, consignes claires, feedbacks réguliers, salles de pause isolées, possibilités de retrait après une réunion
Quelques pionniers se démarquent, comme Carrefour, qui a travaillé sur la réduction des stimuli sensoriels dans ses open-spaces, ou Microsoft France, où Philippe Trotin pilote une cellule dédiée au sujet. Proximus a quant à lui mis en place des ateliers immersifs pour sensibiliser les équipes managériales et l’ensemble des collaborateurs. Mais les exemples restent rares et, en Belgique, se limitent plutôt aux grosses entreprises. « On nous dit parfois : ‘Je ne suis pas prêt à cette diversité-là, elle me fait peur, je ne la comprends pas.’ Mais ce n’est pas un sujet de philanthropie. C’est un enjeu business. »
Une performance durable
Les secteurs de la tech, de la finance, du marketing ou de la création sont particulièrement concernés. Chez Ubisoft, une cellule neuromixité a été créée pour valoriser ces profils. Dans les corps d’urgence (armée, hôpitaux), les TDAH sont surreprésentés. Leur besoin de stimulation rapide, leur logique de récompense immédiate et leur gestion du stress les rendent redoutablement efficaces.
Pour les entreprises qui voudraient s’engager, Audrey Carrafa et Moira Wrathall recommandent une approche triptyque :
- Gouvernance : intégrer la neuroinclusion dans les process RH (recrutement, onboarding, etc.).
- Management : flexibiliser les conditions de travail, clarifier les consignes, adapter la communication.
- Équipe : créer un climat de confiance, former à l’écoute et sortir des logiques normatives.
« Il faut passer d’un management par l’expertise à un management par le talent. Ce n’est pas le nombre d’années d’expérience qui compte, mais ce que la personne peut apporter dans son unicité », insiste Moira Wrathall.

Au-delà du « diversity washing »
Attention toutefois à ne pas tomber dans le diversity washing. La neuroinclusion ne se résume pas à des campagnes d’affichage ou à la mise en avant de quelques profils inspirants. « Les neuroatypiques sont déjà là. Le but, c’est de créer un environnement dans lequel ils peuvent fonctionner sans avoir à se justifier », martèle Audrey Carrafa.
Et ce travail de fond bénéficie à tous. « L’objectif, ce n’est pas seulement de faire de la place aux TDAH ou aux DYS. C’est de remettre l’humain au centre. On oppose trop souvent performance et bien-être, alors qu’on peut très bien concilier les deux. Un environnement de travail plus souple, plus accueillant, c’est bénéfique pour tout le monde. »
Penser l’entreprise autrement
À l’heure où les nouvelles générations réclament plus de sens, plus de liberté, plus de reconnaissance individuelle, la question de la neuroinclusion devient incontournable. « On entre dans une logique de management de la nuance. Ce n’est pas noir ou blanc, c’est un spectre infini de différences cognitives, émotionnelles, comportementales. Et c’est cette richesse, cette somme de regards singuliers, qui fait la valeur d’une entreprise. »
Un message fort à l’aube du NED – Neurodiversity Experience Day –, le 19 juin prochain à Bruxelles. L’occasion pour les professionnels de venir apprendre, échanger, écouter, et peut-être, commencer à penser autrement.
En bref : pourquoi miser sur la neuroinclusion ?
- 15 à 20 % de la population est neuroatypique
- 30 % de performance d’équipe en plus (Deloitte)
- 2,5x plus d’idées générées (Deloitte)
- 1,4 % de chiffre d’affaires en plus (Accenture)
- 20% d’absentéisme en moins (Forbes)
- 40% de burn-out en moins au sein de ces profils (Neurodiversity Foundation)
- 0 € pour 59 % des aménagements nécessaires