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Ismaël Boufrahi, la quête du beau en toute sincérité

« Il faut être prêt pour l’extraordinaire. Il est à portée de main, il peut devenir sien. » Designer autodidacte, le quotidien d’Ismaël Boufrahi est fait d’esthétique et de voyages. Il aménage des intérieurs d’hôtels, villas, restaurants et propose des modèles de mobilier très pointus dans son showroom. Féru d’alliance entre le beau et le bien « le beau sert à faire du bien », il s’est construit seul une expertise qui flirte avec l’obsession artistique, loin des codes et normes du secteur. 

Le quadragénaire a commencé comme vendeur pour un dépôt de meubles entrée et moyen de gamme à la Gare du Midi et a emprunté les marches de son succès quatre à quatre. Son bon sens et sa curiosité l’ont amené à aller au-delà de la  simple vente et fournir des conseils personnalisés de plus en plus pointus « façon artiste freestyle », comme il aime se décrire. Ismaël Boufrahi s’est mis à lire, visiter des salons, et rencontrer des experts avec une forme de gourmandise que rien ne semblait rassasier. Au fur et à mesure de la connaissance qu’il accumule, ses conseils deviennent des projets d’aménagements d’intérieur au style inclassable et méticuleux « grâce à ma règle intégrée et ma bonne mémoire ». Tenace et patient à la fois « j’ai travaillé 7 jours sur 7 pendant quasi deux ans », il rachète le magasin en s’associant avec son beau-frère Mohamed Aakabi et le renomme Depot-Style. Ils changent de stratégie pour vendre uniquement du made in Europe « Nous voulions vendre éthique sinon rien. ça n’a aucun sens de proposer un produit qui maltraite un autre être humain ou la planète. » Il poursuit sa lancée en s’intéressant aux références haut de gamme et lance la collection D-Style en 2011 puis ouvre un showroom immersif proche de Zaventem en 2020.

« Mes clients deviennent mes amis et mes amis sont mes clients »

Il s’est forgé une réputation internationale et un savoir-faire qui ne ressemble qu’à lui. Parmi ses clients, il y a ceux qu’on peut nommer Stromae, Vitaa, Fellaini, Anelka…et ceux qu’on ne peut citer et avec qui il noue une relation singulière, presque intime. « Mes clients deviennent mes amis et mes amis sont mes clients. Je ne peux pas travailler sans comprendre l’autre. » 

Cette fois-ci, c’est au Maroc qu’il se rend pour deux de ses projets : une résidence secondaire dans la riviera marocaine et une éminente villa dans la métropole de Casablanca. Il ne laissera évidemment pas sa tenue de voyage au hasard : elle est conçue comme une dédicace au pays où il se rend. « Les couleurs vertes et rouges de mes bracelets sont assorties à mes baskets et à ma valise », sourit-il. Il assume que ses outfits semblent parfois convenir à une virée à la fashion week de Milan. « Pendant des années, je m’enfermais dans des costumes. Maintenant, j’ose car on me voit comme un artiste ». 

En embarquant dans l’avion, il jette un regard ému aux bagagistes lui rappelant l’un de ses premiers métiers : à l’époque paracommando, il quitte l’armée à contrecoeur à cause d’une blessure au genou et travaille pour la Sabena comme opérateur de piste, avant qu’elle ne fasse faillite. 

Le designer porte une attention constante et permanente à tout, tout le temps, avec tout le monde. Il passe d’une note vocale à ses enfants à une discussion avec ses équipes, à vérifier une commande d’un matériau spécifique tout en invitant ses clients à un rallye de voitures. Sans transition.

On retrouvera cette minutie et imprégnation dans l’aménagement de son bureau, produit avec le matériel de la Bugatti Chiron, la voiture la plus aboutie du monde. « J’aime l’histoire de cette voiture : le briefing c’était de construire la meilleure voiture du monde, peu importe son prix (valeur de 3 millions d’euros). » De son coup de cœur, il décide de faire une œuvre d’art : il travaille avec l’artiste Amaury Dubois qui déstructure les formes et les retravaille en photo pour rendre hommage à ce qu’il considère être un bijou de l’automobile. Pour parvenir à cette photo trônant derrière lui, plus de 400 photos seront nécessaires et seulement 8 de ces œuvres seront mises en vente. « Le luxe, ce n’est pas une question d’argent mais d’exclusivité » confirme-t-il. Le reste du bureau sera choisi pour incarner l’esprit de cette voiture, tout en y ajoutant des éléments personnels, comme des cadeaux. Il se lève, s’anime en nous expliquant les détails de son fauteuil quasi invisibles à l’œil nu, sauf pour lui. « La structure en aluminium rappelle le carbone, sa finesse rappelle la carrosserie de la voiture, le pied fait penser à une jante… » À l’entendre, chaque détail, couleur, matière ou élément a une raison d’être.  « à un moment, la magie opère et les objets s’allient pour créer un nouvel univers. Chaque objet a toujours une histoire à raconter. Le premier mot s’écrit et c’est le reste du livre qui suit. » 

Ismaël Boufrahi © AS Agency
Ismaël Boufrahi © AS Agency

Ne lui posez pas une question si vous n’avez pas le temps d’écouter toute l’histoire derrière. Comme par exemple le fond d’écran de sa tablette « C’est une montre Richard Mille. La marque de montre la plus exclusive du moment qui a percé en jouant sur la rareté et sur l’audace. » 

Pourtant, ce métier il le fera car le destin lui jouera un tour « J’étais paracommando. Je voulais être un soldat de l’extrême, je me voyais dans un escadron sauver des innocents » C’est finalement une blessure irrécupérable au genou qui le force à revoir ses plans. Il reconnaît avoir eu une tendance à défier ses limites physiques. « Ça m’a peut-être sauvé la vie », admet-il. On confirme, lorsqu’il monte sur le toit plat d’une des maisons qu’il a aménagée de A à Z, « car on voit mieux de tout là haut ». 

Il aime définir sa mission comme celle de créer des intérieurs où l’on a envie d’être ensemble et de recevoir. « C’est la cohésion d’un foyer. Mes parents ont dépassé les 50 ans de mariage et famille et amis ont toujours été reçus à la maison ». Des racines accueillantes…« J’espère que je laisserai la trace dans ce monde de rapprocher les gens entre eux. On est mieux les uns avec les autres. » 

Ismaël Boufrahi découvre son talent en marchant et presque par hasard: alors vendeur, il tâche d’abord d’intégrer les meubles au foyer et au mode de vie de ses clients qui lui en demandent davantage. Il se forme seul jusqu’à être en mesure de maîtriser suffisamment de références pointues , dessiner les projets des clients les plus exigeants et y amener la touche artistique qui ne ressemble qu’à lui « Peu de gens comprennent notre univers. On connaît des grandes marques de voiture et de montres, mais peu de gens peuvent citer des bonnes marques de meubles. On citera les références publicitaires qui ne sont pas les meilleures. C’est comme acheter une berline avec le budget d’une voiture de course : ça n’a aucun sens. »

Habité par une force qui le pousse à associer, dissocier, penser, mesurer, déplacer… parfois pendant plusieurs heures d’affilée. Il en perd la notion du temps comme dans cette propriété de Casablanca où il passe plus de six heures pour finaliser « les derniers détails. » Il nous explique avec sa ferveur habituelle qu’il ne s’agit pas que de l’objet en tant que tel, mais ce qu’il évoque et sa place dans son environnement, avec quel autre objet, matière ou couleur il sera regardé. « Il m’est impossible de designer deux fois le même projet. Chaque intérieur doit ressembler intimement à ceux qui y vivent et leur mode de vie. Par exemple, je vais demander si les clients se déchaussent en rentrant chez eux ou pas. »

Biculturel, le designer s’évertue à accorder les univers qui en découlent dans les intérieurs « j’aime par exemple agencer des canapés en U qui permet de se voir en partageant des moments à la maison, comme les salons marocains » ou unir l’artisanat marocain et son imperfection dans du zellige avec la rigueur d’une table minimaliste européenne. Le designer avoue d’ailleurs avoir un certain penchant pour la complexité assortie d’une discipline innée. 

« C’était facile pour moi d’être chez les para. A 14 ans, je me levais à 5h du matin et avant d’aller à l’école, j’avais déjà couru 20 km et j’avais fait mon lit. » Ce qui ne l’empêchera pas d’être vu comme turbulent. « J’étais très bavard et agité, j’ai été renvoyé cinq fois de l’école, malgré mes bonnes notes. Je suis révolté par l’injustice, je me battais pour défendre ceux qui ne pouvaient pas le faire. C’est dommage que le corps enseignant n’ait pas été prêt à voir ce qu’il y avait derrière mon attitude. » 

« A 14 ans, je me levais à 5h du matin et avant d’aller à l’école, j’avais déjà couru 20 km et j’avais fait mon lit »

Ismaël Boufrahi travaille encore avec un crayon, des feuilles millimétrées et une latte. « J’assume totalement n’avoir aucun diplôme dans le domaine et avoir tout appris en m’instruisant sur le terrain et dans des lectures. » Une approche qui lui confère une grande spontanéité, déroutant parfois les autres acteurs de la chaîne qui agissent de façon beaucoup plus codifiée. « Il m’arrivait qu’un client me montre ses plans pour penser l’aménagement de son intérieur et que je challenge complètement la proposition de l’architecte. » Certains me disaient « Je donne cours à l’université, mêlez-vous de vos affaires. Je répondais alors que je n’avais pas suivi leurs cours », s’amuse-t-il. Il finit par gagner le respect de ses pairs en imposant sa façon singulière de travailler. 

Son réseau est construit à son image : éclectique et passionné. « J’adore faire se rencontrer les gens de mon univers qui peuvent ensuite démarrer des collaborations ensemble. Je les réunis dans des tables lors d’évènements exclusifs ou je participe, par exemple, j’aime aussi inviter chez moi. » Ou comment créer des business club à son échelle. 

« Je veux utiliser la beauté pour faire le bien. Cela devrait être un standard, une norme »

« Je veux utiliser la beauté pour faire le bien. Cela devrait être un standard, une norme. » C’est à se demander si sa façon de travailler est « rentable ».
« La question n’est pas là », répond-t-il. « Pourquoi faire mal quelque chose si on peut bien le faire? Pourquoi s’habituer à la médiocrité? Tant qu’il y a la satisfaction de donner le meilleur de soi-même, tout en vaut la peine. Il ne faut pas forcément être le meilleur parmi tous les autres. Ce que je cherche, c’est que ma famille, ma femme, et mes enfants soient fiers de moi. C’est ce que je veux transmettre aux jeunes que je rencontre : soyez bons dans ce que vous faites. Si vous êtes un bon employé, que votre patron est content, alors vous avez réussi. »

Le designer insiste sur la nécessité de cultiver le bon état d’esprit. «  On se plaint souvent du temps en Belgique. Si je veux maigrir, je peux faire attention à ce que je mange, faire du sport, mieux dormir. Mais à quoi ça sert de râler contre la pluie? Puis, un jour, mon père m’a dit ‘si tu savais tout le bien qu’il y a dans cette pluie qui vient du ciel’. Et puis, qui suis-je pour faire la morale au ciel? » 

Sa devise pourrait être : accepter tout ce qu’on ne peut contrôler et millimétrer tout le reste.

Ismaël Boufrahi @ Maurine Wilmus
Ismaël Boufrahi @ Maurine Wilmus
Salma Haouach
Salma Haouach
De formation ingénieure de gestion de Solvay en 2001, major finance, Salma Haouach a démarré sa carrière dans le secteur financier avant de travailler dans l’ingénierie marketing et la communication stratégique à Valencia, Casablanca, Bordeaux et Le Havre avant de revenir à Bruxelles il y’a 10 ans et poursuivre sa carrière dans le conseil en stratégie et leadership durable. Parallèlement, elle a construit une carrière médiatique comme chroniqueuse dans des médias audiovisuels nationaux à partir de 2008 (L’Express, La Première, La Deux, BX1), elle a créé un média online d'éducation aux médias (Le Lab.) puis éditant et présentant deux émissions économiques : Coûte que Coûte sur Bel RTL et Business Club sur LN24.
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