En septembre 2025, le Nelson Group a inauguré son troisième hôtel JAM à Gand, dans l’ancienne caserne Léopold. Cette ouverture intervient dans un contexte de reprise du marché hôtelier belge, marqué par des investissements en hausse mais des marges comprimées par la flambée des coûts énergétiques et salariaux. Positionnement tarifaire réfléchi, bâtiments passifs et expansion mesurée : le groupe dirigé par Jean-Paul Pütz affiche une stratégie claire mais exigeante, où la rentabilité dépend de taux d’occupation élevés et d’une maîtrise rigoureuse des coûts opérationnels.
Le Nelson Group, promoteur immobilier belge spécialisé dans la construction durable et les bâtiments passifs, a pris le contrôle de la marque JAM en 2019. Jean-Paul Pütz en assure la direction générale, aux côtés de deux autres actionnaires principaux : Christophe d’Ansembourg et Nicolas de Bellefroid.
Le concept JAM trouve ses racines en 2016, lorsque Jean-Michel André, entrepreneur et fondateur du groupe Limited Edition Hotels (propriétaire du Berger, du Chelton, du Château de la Poste et du Mix Brussels), développe le premier établissement chaussée de Charleroi à Bruxelles. Le Nelson Group rachète le concept en 2019 et l’élargit à l’international avec une vision axée sur la durabilité environnementale et l’architecture passive.

La stratégie du groupe repose sur la rénovation de bâtiments patrimoniaux (anciennes écoles, casernes militaires, immeubles de bureaux désaffectés…) transformés en hôtels passifs ou “nearly zero energy”, dans une optique de neutralité carbone. Cette approche distingue le Nelson Group des chaînes hôtelières classiques privilégiant les nouvelles constructions standardisées. Le groupe développe également des partenariats opérationnels, notamment avec la chaîne allemande Meininger pour un hôtel de 170 chambres à Bruxelles-Midi.
Marché hôtelier belge : reprise en volume, rentabilité sous pression
L’ouverture de cette nouvelle adresse gantoise s’inscrit dans un contexte économique particulier pour l’HoReCa. En effet, l’année 2024 a marqué un tournant historique pour l’hôtellerie belge, avec 45 millions de nuitées enregistrées (+0,4% par rapport à 2023), dont 21 millions pour les hôtels seuls (+1,4%), confirmant leur statut de catégorie dominante avec 47% des nuitées totales. Malheureusement, cette reprise des volumes ne se traduit pas en rentabilité : les coûts énergétiques ont explosé de 88% depuis 2019 représentant près de 45% de la consommation d’un hôtel, tandis que les salaires, eux, ont progressé de 17% sur la même période, avec une indexation de 3,5% au 1er janvier 2025.

Le marché de l’investissement hôtelier affiche néanmoins des signaux positifs : 190 millions d’euros d’hôtels ont été vendus en 2024 (+50 % par rapport à 2023), avec un rendement moyen européen de 6,2%. L’offre connaît une expansion significative, avec 1 588 chambres ouvertes à Bruxelles en 2024 et 1 050 prévues en 2025, portée par de nouvelles enseignes internationales, intensifiant la pression concurrentielle sur un secteur aux marges déjà comprimées.
“Fair pricing” et durabilité
JAM adopte une stratégie de “fair pricing” volontairement accessible, avec des tarifs significativement inférieurs à la concurrence trois étoiles (79 à 139 € à Gand, 87 à 117 € à Bruxelles, contre une moyenne de 90 à 160 € pour les hôtels comparables). Ce positionnement dans le segment inférieur du trois étoiles impose des taux d’occupation élevés pour assurer la rentabilité. Face à cette contrainte tarifaire, le Nelson Group mise sur des performances énergétiques de premier plan : les bâtiments passifs consommant moins de 15 kWh/m²/an. JAM Lisbonne, premier hôtel passif du Portugal, réduit son impact environnemental de 80 à 90% par rapport à un bâtiment tertiaire moyen, compensant partiellement la flambée des coûts énergétiques (+88 % depuis 2019 à Bruxelles) et offrant un avantage concurrentiel face aux établissements conventionnels. JAM Gand a obtenu le label BREEAM Very Good et fonctionne sans raccordement au gaz, alimenté par pompe à chaleur et électricité 100 % verte, tandis que le projet De Kazerne vise le niveau BREEAM Excellent.

Les matériaux sont sourcés localement dans un rayon de 50 à 100 km, avec une approche de design démontable permettant une réutilisation future des éléments. Ce pari du durable et de la sobriété énergétique est, pour le Nelson Group, autant un argument marketing qu’un moyen de contenir les coûts d’exploitation sur un marché particulièrement tendu sur ce point.
Une identité artistique forte signée Lionel Jadot
Au-delà de sa performance énergétique, JAM Gand se distingue par une identité artistique affirmée, confiée au designer belge Lionel Jadot. Nommé Designer de l’Année – Hospitalité par Maison&Objet en 2024, Jadot a mobilisé plus de 25 designers et artisans belges dans un rayon de 50 kilomètres pour concevoir les 108 chambres.

Son approche, fondée sur la circularité et le réemploi, transforme l’ancienne caserne en “atelier d’artiste” où murs de pierre apparents, luminaires en mycélium (Permafungi), tapis de bâches recyclées et rideaux imprimés des plans du projet composent une esthétique brutaliste très arty, et même… un brin exigeante ou pour le moins déroutante. Cette identité infuse également l’offre HoReCa. Le restaurant Kaiju propose une expérience 100% street-food asiatique qui n’oublie pas une offre végétarienne substantielle, tandis que le bar Neko et sa piscine, au dernier étage, offrent une vue panoramique sur la Boekentoren et le parc de la Citadelle. Ces espaces, ouverts au public gantois et pas seulement aux résidents de l’hôtel, traduisent la philosophie “d’open door hotel” : transformer l’établissement en lieu de vie pour le quartier. Cette dimension expérientielle constitue un levier de différenciation face aux chaînes standardisées, mais impose des investissements significatifs en design sur mesure et en exploitation de services annexes.
Expansion mesurée et défis de rentabilité
Après Bruxelles (80 chambres, 2016) et Lisbonne (110 chambres, 2023), JAM Gand (108 chambres) constitue la troisième ouverture du groupe. Un projet JAM Anvers est également annoncé, porté par la structure Nelson Antwerp, suivant la même philosophie de rénovation de bâtiments existants en hôtels passifs. Un projet à Porto avait été envisagé mais a été mis de côté.

Cette expansion mesurée contraste avec les stratégies agressives des chaînes internationales. Cette approche reflète la complexité opérationnelle du modèle : chaque ouverture nécessite un investissement important dans la rénovation de bâtiments classés, une coordination avec de multiples artisans locaux et une montée en puissance progressive de l’occupation.
Une stratégie cohérente mais exigeante
Le modèle JAM du Nelson Group affiche une cohérence stratégique claire : différenciation par l’architecture passive, positionnement tarifaire accessible, identité forte portée par le design et la durabilité, services additionnels générateurs de revenus (restauration, spa, rooftop). Cette approche répond aux attentes d’une clientèle éclectique (businessmen, backpackers, familles, créatifs) recherchant une expérience authentique sans sacrifier son confort.

Dans ces conditions, l’ouverture du JAM Gand constitue un test stratégique pour le Nelson Group. Gand offre un écosystème culturel dense (S.M.A.K., MSK, quartier des Arts), une croissance hôtelière explosive (de 57 hôtels en 2015 à 76 en 2025, soit +33%, et de 4 446 à 6 575 chambres, soit +48%), mais également une pression concurrentielle accrue. L’implantation dans De Kazerne, projet de reconversion présélectionné aux World Architecture Festival Awards, offre, elle, une visibilité patrimoniale et institutionnelle significative.
Face aux géants standardisés de l’hôtellerie, le Nelson Group défend une autre vision : celle d’un impact environnemental maîtrisé, d’un ancrage territorial revendiqué et d’une authenticité artistique sans compromis. Cette stratégie de niche trouve ses adeptes, mais ne tolère aucune faiblesse. La pierre d’achoppement demeure : l’éthique environnementale suffira-t-elle à construire un modèle économique viable sur la durée ?
