Dans le sud-ouest de la Flandre occidentale, le village de Zwevegem a vu naître une famille qui allait devenir l’une des dynasties industrielles les plus impressionnantes de Belgique : les Bekaert. La multinationale industrielle belge est porteuse d’une histoire riche, fermement ancrée dans la vision et les liens étroits des générations successives, nourrie par une compréhension stratégique du pouvoir des alliances familiales.
Aujourd’hui, Bekaert est un conglomérat de 21 000 personnes générant un chiffre d’affaires de 4 milliards d’euros. L’entreprise cotée en bourse est le leader mondial dans la production de fil d’acier pour pneus. Dans le monde, un pneu sur trois est équipé de fil d’acier renforçant le caoutchouc produit par Bekaert. En plus du fil d’acier pour pneus, Bekaert évolue vers de nouveaux marchés et produits en innovant au niveau des matériaux et en développant des solutions pour trois mégatendances sociétales : la mobilité, la construction durable et la transition énergétique. Ils proposent des solutions pour accélérer la recharge des véhicules électriques (Ampact™), construire des villes et des infrastructures avec moins de CO2 (fibre d’acier Dramix®) et soutenir la transition vers les énergies renouvelables avec des solutions pour l’énergie éolienne offshore et la production d’hydrogène vert (Currento®). Le groupe possède 62 sites de production dans 23 pays.
Leo Leander Bekaert : l’architecte d’un empire
Les fondations de cet immense empire ont été posées par Leo Leander Bekaert, né en 1855. La mentalité innovante de Leo l’a conduit à développer un fil de clôture avec des picots. Le fil barbelé avait déjà été inventé aux États-Unis, en 1868. Mais en 1879, Leo Leander Bekaert a mis au point un système totalement nouveau pour la fabrication de fil barbelé, qui a abouti en 1881 à un brevet pour l’utilisation de “couronnes”. Ces petits composants métalliques, placés tous les dix centimètres parmi les fils tressés par les hommes de la maison de retraite locale, ont considérablement amélioré la qualité du produit. Le premier atelier n’était autre qu’une remise en bois construite dans le jardin de la maison de retraite. L’esprit d’entreprise de la famille remonte encore plus loin, car le père de Leo lui-même combinait son emploi de sacristain à Zwevegem avec la gestion d’une quincaillerie en face de l’église. Bekaert a combiné ses activités commerciales avec un mandat politique en tant que conseiller municipal, bourgmestre et membre du conseil provincial, tout en étant actif dans le domaine du logement social. Cet engagement a influencé des générations entières. Outre Leo Leander Bekaert, un autre membre de la même génération a joué un rôle important dans la fondation de l’entreprise : Honorine, la sœur aînée de Leo Leander. Honorine avait un talent pour la vente, mais elle s’est surtout concentrée sur les finances : elle tenait la comptabilité et c’est elle qui a jeté les bases d’une gestion financière économe et efficace, une tradition que Bekaert continue d’honorer. Jusqu’aux années 1920, elle a veillé à la bonne santé financière de l’entreprise. Lors des funérailles d’Honorine en 1933, Leo Leander a salué sa mémoire en la qualifiant de «cofondatrice de l’entreprise ».
La deuxième génération : la consolidation par le lien
La deuxième génération a compris l’importance cruciale de la consolidation des actions au sein de la famille. Une stratégie notable a consisté à forger des alliances avec des familles influentes. L’arbre généalogique de la famille Bekaert se lit comme un véritable Who’s Who de l’économie belge et de la haute finance. Les titres de noblesse y sont légion. L’un des premiers noms à apparaître est celui de la famille Velge, des notables de la région du Pajottenland. Ces mariages stratégiques ne sont pas le fruit du hasard, mais d’une volonté délibérée de regrouper le pouvoir économique et politique au sein d’un réseau restreint d’élites belges.
Leon Antoon Bekaert, fils de Leo Leander, a épousé en 1918 Elisabeth Velge, la sœur de son ami Jules Velge, un influent entrepreneur du port d’Anvers. Leon Antoon avait créé une petite usine d’entretien de moteurs d’avion en Angleterre pendant la guerre. Chez Bekaert, il se voit confier la direction commerciale puis, en 1933, la direction générale. Sous l’impulsion de Leon Antoon, Bekaert poursuit sa croissance, y compris au niveau mondial, et élargit son portefeuille aux câbles d’acier pour le renforcement des pneus.
Entre-temps, Jules Velge épouse Isabella Bekaert, une sœur de Leon Antoon Bekaert, et son frère Max Velge épouse Antoinette Bekaert, une autre sœur.
Les générations suivantes : noblesse et ambitions mondiales
La troisième génération s’est concentrée sur les familles nobles pour étendre l’influence et le réseau de Bekaert, tissant des liens avec des lignées aristocratiques telles que les Liedekerke, les T’Serclaes de Wommersom, les Woot de Trixhe, les Beauffort, Cardon de Lichtbuer et van de Walle de Ghelcke.
Geneviève Bekaert épouse le comte Wenceslas de T’Serclaes, membre d’une vieille famille de la noblesse belge. Nicole Bekaert épouse le comte Charles-Antoine de Liedekerke, ce qui renforce encore les liens avec l’aristocratie. La famille de Liedekerke est également étroitement liée à d’autres élites nobles et économiques, comme le comte Paul Cornet de Ways-Ruart, actionnaire d’AB InBev.
Mais les autres descendants ne sont pas en reste. Jean-Charles Velge, par exemple, a épousé Marie-Louise van Houtte, fille de l’ancien Premier ministre Jean van Houtte. Sa sœur Isabella Velge a épousé Philippe Jadot. Leur fils, Maxime Jadot, deviendra un symbole contemporain de la haute finance, en tant que président du conseil d’administration de la banque BNP Paribas Fortis.
Une autre alliance importante a été nouée avec la famille Cardon de Lichtbuer, également connue pour son rôle prépondérant dans la finance belge. Alexandre Cardon de Lichtbuer, cousin de Max Jadot, a épousé Barbara Vlerick, fille de Philippe, Baron Vlerick, créant ainsi une nouvelle alliance économique puissante.
Antoine Bekaert, petit-fils de Leo Leander, a été élevé au rang de baron en 1966, renforçant encore le prestige de la famille. Sous la direction du baron Antoine Bekaert, l’entreprise s’est davantage professionnalisée, à mesure que son expansion internationale s’est intensifiée. Président de Bekaert, le baron a dirigé plusieurs organisations industrielles telles que Fabrimetal et l’UNICE. Grâce à son approche diplomatique et à son instinct commercial, il a su renforcer la position mondiale de Bekaert. En 1972, la famille a ouvert la société à de nouveaux actionnaires. En à peine deux minutes, toutes les actions Bekaert étaient vendues.
Diversification et défis modernes
Les générations suivantes ont joué un rôle moins opérationnel, s’attelant plutôt à maintenir le contrôle familial. La quatrième génération a diversifié ses activités en se concentrant sur des niches telles que la technologie des radars, le capital-risque et la philanthropie. Marie-Claire Bekaert, fille de la quatrième génération, a épousé le baron Frédéric de Mévius, un important actionnaire d’AB InBev.
Sur le plan opérationnel, la direction de Bekaert a déjà été confiée à des non-membres de la famille dans les années 1980. De 1983 à 1994, Karel Vinck a été actif chez le fabricant de fils d’acier, d’abord en tant que directeur général, et dès 1985, en tant qu’administrateur délégué, sous la présidence du baron Jean-Charles Velge. En 2000, pour la première fois, un non-membre de la famille a été placé à la tête du conseil d’administration : feu le comte Paul Buysse. Ce dernier a été l’instigateur du code Buysse, manuel de gouvernance pour les entreprises belges non cotées en bourse.
Il a attiré deux nouveaux managers, Julien De Wilde (ex-Alcatel Bell) comme administrateur délégué et Bert De Graeve (ex-VRT) qui a pris ses fonctions de directeur financier et administratif. Ce tandem doré a marqué l’histoire du groupe. Plus tard, De Graeve est devenu administrateur délégué (CEO) puis président du conseil d’administration. Actuellement, Yves Kerstens et Jürgen Tinggren sont respectivement CEO et président du conseil d’administration.
Une dynastie durable
Aujourd’hui, l’influence de la famille Bekaert reste considérable tant dans l’industrie belge qu’internationale. La discrétion est dans l’ADN de la famille, mais en coulisses, elle joue un rôle important. Dans le conseil d’administration actuel siègent cinq descendants de Bekaert : Maxime Parmentier, Caroline Storme, Henri Jean Velge, Emilie van de Walle de Ghelcke et Christophe Jacobs van Merlen.
Malgré les ramifications parmi des dizaines d’actionnaires, le contrôle familial demeure intact.
Malgré les ramifications parmi des dizaines d’actionnaires, principalement rassemblés dans la Stichting Administratiekantoor Bekaert (STAK) néerlandaise, le contrôle familial demeure intact. Trois actionnaires détiennent un intérêt commun de 40,43% dans Bekaert. Il s’agit de la Stichting Administratiekantoor Bekaert (32,35%), Bekaert (5,01%) et Norges Bank (3,07%). Grâce à ce contrôle, Bekaert démontre que la famille, la stratégie et l’innovation peuvent aller de pair pour créer un impact durable, tant sur le plan économique que social.







