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L’autopartage en Belgique : une approche rationnelle pour de nouvelles mobilités

Le « Vehicle as a Service » (Véhicule en tant que Service – VaaS) s’invite progressivement dans le paysage automobile. Loin de remplacer déjà l’achat ou le leasing classique, ce modèle repose sur l’idée que l’usage de la voiture pourrait à terme primer sur sa propriété. Abonnements flexibles, formules tout compris, autopartage ou intégration dans des offres de mobilité : autant de pistes qui dessinent une évolution encore balbutiante, mais riche de promesses. Cette série d’articles propose de décrypter ces nouvelles approches, leurs enjeux économiques et sociétaux, et les perspectives qu’elles ouvrent pour les conducteurs comme pour les entreprises.

Après en avoir expliqué le concept (ici), plongeons dans ce qui constitue sans doute l’une des applications les plus en vogue du VaaS : l’autopartage. Une voiture privée reste immobile 95% du temps. En ville, elle occupe une place de stationnement pourtant rare (et chère) et coûte au moins 5.000 à 6.000 euros par an à son propriétaire. Dans ce contexte, l’autopartage s’impose peu à peu comme une alternative rationnelle. Pour comprendre ses enjeux, arrêtons-nous sur deux acteurs belges majeurs : Cambio et Poppy.

L’autopartage, une réponse à l’inefficacité de la voiture privée

Le principe est simple : mettre une flotte de voitures à disposition de plusieurs usagers qui les paient à l’utilisation. Cela permet de mutualiser un bien coûteux et sous-exploité. L’autopartage ne date pas d’hier : en Belgique, il est présent depuis un quart de siècle et se décline en plusieurs modèles. Les plus répandus : les stations fixes ou le free-floating.

Cambio : le pionnier, avec des stations fixes

Lancé à Bruxelles en 2000, Cambio reste le vétéran du secteur. Aujourd’hui, l’entreprise aligne quelque 3.000 véhicules dans environ 150 villes et revendique plus de 80.000 utilisateurs. Vingt-cinq ans plus tard, le modèle continue de croître.
Son principe : réserver une voiture dans une station dédiée, l’utiliser pour un trajet court ou long, puis la ramener à son point de départ. « C’est un système complémentaire aux transports publics », explique Nicolas Bodelet, responsable de la flotte et du réseau de Cambio en Wallonie. « Nous installons nos stations près des gares, arrêts de bus ou pôles multimodaux. La majorité de nos utilisateurs n’ont pas de voiture personnelle : ils combinent train, vélo et autopartage. »

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2024, les usagers Cambio ont effectué 1,1 million de trajets. Selon l’entreprise, chaque voiture Cambio remplace 13 voitures privées, soit plus de 36.000 véhicules retirés des rues. Pour beaucoup de familles, le véhicule Cambio est devenu « la » voiture familiale.

Le tournant du free-floating

L’arrivée des objets connectés, il y a une dizaine d’années, a permis d’inventer un autre modèle : le free-floating. Plus besoin de stations ni de contraintes d’horaire. Une application suffit pour trouver, réserver et déposer une voiture dans une zone définie. Ce modèle séduit avant tout les citadins.

C’est dans cette logique qu’est né Poppy en 2017, dans l’incubateur de start-ups de mobilité, Lab Box, propriété de D’Ieteren. La société revendique aujourd’hui 2.500 véhicules et plus de 2,5 millions de trajets.

Poppy : viser les citadins rationnels

Pour Pierre de Schaetzen, Marketing & Customer Operations chez Poppy, la logique est claire : « En dessous de 12.000 kilomètres par an, garder une voiture privée n’est pas rationnel. Cela mobilise entre 5.000 et 6.000 euros par an pour un véhicule qui reste la plupart du temps inutilisé. »

© Poppy

C’est précisément cette clientèle que Poppy cible : des ménages urbains disposés à investir ce budget dans leur mobilité, mais qui recherchent de la flexibilité et un service fiable plutôt que la possession d’un véhicule sous-utilisé.

La densité comme condition de rentabilité

Mais le free-floating a ses contraintes. Pour fonctionner, il exige une densité de population et d’usages suffisante, afin que les voitures circulent plusieurs fois par jour. « À Bruxelles et Anvers, la demande est telle que nous ne parvenons pas toujours à suivre la croissance », reconnaît Schaetzen.

À l’inverse, les tentatives menées à Liège, Gand et Malines n’ont pas abouti : la densité était trop faible pour garantir la rentabilité. Résultat : Poppy s’est recentré sur Bruxelles, Anvers et l’aéroport de Charleroi, où le potentiel est nettement plus fort.
Miser sur la qualité des clients

Cette focalisation s’accompagne d’un choix stratégique : privilégier la qualité des utilisateurs plutôt que la course au volume. « Plus on met la barre haut dans l’expérience client, plus les usagers se disent qu’ils peuvent se passer de leur deuxième voiture, voire de leur première », affirme Schaetzen.

Une philosophie qui tranche avec la stratégie de Miles, un concurrent parti du marché belge après avoir attiré trop vite une clientèle peu soigneuse via des prix cassés. « Attirer tout le monde sans filtre, c’est prendre le risque de perdre les bons clients et de ne garder que ceux qui dégradent le service. »

L’avenir : transports publics renforcés et nouvelles technologies

Les deux approches ne s’opposent pas, elles se complètent. Là où Cambio déploie son maillage jusque dans de petites communes en partenariat avec les autorités locales, Poppy concentre ses ressources sur les grandes agglomérations. Le premier se veut l’allié du transport public, le second une alternative urbaine à la voiture privée.

Pour Cambio, l’avenir de l’autopartage dépendra de l’amélioration des alternatives à la voiture privée : « Plus il est facile de vivre sans voiture grâce aux transports publics ou aux pistes cyclables, plus l’autopartage se développera », souligne Bodelet.

© Ush

Poppy, de son côté, mise sur la technologie. En intégrant Ush, une autre start-up de l’incubateur Lab Box chez à D’Ieteren. Sécialisée dans le télé-driving, la société a déjà testé au port d’Anvers la livraison de véhicules conduits à distance jusqu’aux travailleurs. L’ambition est claire : étendre ce service et, à terme, rendre viable l’autopartage dans des zones moins denses. « C’est une façon de dépasser la limite structurelle du free-floating en réallouant les voitures là où la demande existe », conclut Schaetzen. Un élément ralentisseur : la réglementation !

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