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« On n’avait pas le choix, on devait réussir »

Les fées ont boudé le berceau ? Tant pis : on va exaucer nos vœux tous seuls ! C’est ce qu’ont fait Sammy et Sabry Freh, depuis Gembloux. Partis de moins que rien, les voilà au zénith de l’audiovisuel mondial avec leur entreprise, GSF. Une histoire fabuleuse. De travail acharné. D’audace. De génie. Et de passion transformée en savoir-faire d’exception. 

C’est le patron himself qui vient ouvrir. Et fait visiter ce bâtiment rectangulaire tout en vitres et béton, haut de trois plateaux, avec deux monte-charges entre chacun et couvrant 8 000 m2, le long de la chaussée de Charleroi, à hauteur de Gembloux. Le patron a la carrure d’un athlète, porte un polo noir avec le même logo que celui hissé en façade – GSF – et passe du français à l’anglais et au néerlandais en fonction des collaboratrices et collaborateurs qu’il croise. 

Sammy Freh, CEO de GSF – © GSF

Le patron, c’est Sammy Freh, 46 ans, frère aîné, d’un an, de Sabry. Avec lequel il a fondé l’entreprise, en 1993, quelques dizaines de mètres plus loin. Ils n’étaient alors qu’eux deux, d’où « GSF », pour « Groupe Sammy et Sabry Freh » (prononcez « Fré »). C’était dans le hangar où leur père, architecte paysagiste, stockait des fleurs et des plantes. Leur boîte louait alors du matériel son et lumière. Aujourd’hui, elle emploie 50 ETP, sans compter tous les free-lance mobilisables (« on est 85 sur certains événements »), pèse 30 millions de chiffre d’affaires, se décline en GSF Events, GSF Engineering et GSF Real Estate et rayonne à travers toute la planète dans le secteur de l’audiovisuel événementiel haut de gamme. « On est fournisseur officiel de la chancellerie du Premier ministre, de la Commission européenne et du Parlement Européen, énumère le boss. On a pour clients directs et indirects Benetti et Azimut (yachts), Odoo, Fisa, Brussels Expo (Batibouw et Salon de l’Auto), Airbus, Huawei, Coca-Cola, Samsung, Lamborghini, la Région wallonne, Walibi, D’Ieteren… On en a à Dubaï, à Athènes, en Chine, en Allemagne, à Monaco, en Flandre, en Italie, aux Etats-Unis… C’est au-delà de nos rêves. »

Sabry Freh, CEO de GSF Engineering – © GSF

Ces rêves qui ont sauvé les frangins. Ces rêves et une énergie folle. Parce que, sur la ligne de départ, Sammy et Sabry n’étaient pas les mieux placés. « On a eu une enfance très dure. On avait des vêtements d’occasion, on recevait à Noël des jouets que les enfants de clients de mon père ne voulaient plus, on a eu des huissiers qui venaient noter les meubles. On était sans doute les plus pauvres de l’école. Mais notre père nous a enseigné à travailler dur et notre mère a tout fait pour qu’on suive un parcours scolaire de qualité. » Et, surtout, les deux frères sont passionnés par le son et la lumière. « On avait deux cousins DJ. On les a vus à l’œuvre et on a trouvé ça génial. Comment ils transformaient une salle vide en lieu magique. On a dit : “Wow, ça c’est qu’on veut faire.’’ »

De la chambrette à la NASA

Ok, mais sans une thune et à respectivement 13 et 12 ans ? « On a économisé tout ce qu’on pouvait, on a fait les brocantes pour récupérer de vieux haut-parleurs. On nous a donné des trucs cassés : un spot, un transfo, un ampli, un lecteur CD… Et on a réparé, soudé, cherché les pièces manquantes, bricolé. On a construit nos premières enceintes dans les planches de notre garde-robe. Et on a lu, énormément. On allait en train à Francfort, pour voir les nouveautés au Salon pro Light and Sound et on embarquait des piles de catalogues, all in english, qu’on étudiait tous les soirs, dans notre chambre : Vari lites a sorti ci, L-acoustics a sorti ça… On voulait comprendre les spécificités. » Et la machine s’est mise en branle : « Les copains musiciens demandaient un haut-parleur, les scouts des lumières pour une soirée, l’école des micros pour la fancy-fair… » Et le rayon d’action s’est élargi. Namur, Bruxelles, Paris, les Pays-Bas, l’Allemagne… « C’est là qu’on a dû utiliser le petit hangar de mon père, qui nous déposait, le matériel et nous, avec sa camionnette, et puis revenait nous prendre en pleine nuit, avant de se recoucher. »

Aujourd’hui, c’est ce bâtiment. Avec ses quais de livraison pour charger sept camions en même temps – « et un accessible 24h/24, via un code » –, un labo pour tester le matériel, une menuiserie pour construire les scènes/plateaux/mobiliers/décors sur mesure, plus de 800 écrans plats, des vidéoprojecteurs superpuissants – « C’est l’un d’eux qui projette sur le Berlaymont, à Bruxelles, le drapeau ukrainien » – des dalles-écrans led, des caméras, des spots, des structures… « On investit un demi-million par an, pour renouveler et grandir. Parce qu’on veut suivre la croissance des clients mais avec notre matériel, pour être totalement indépendant. » C’est pour ça que GSF dispose aussi de quatre camions semi-remorque et de six camionnettes. Et envoie aux events ses ingénieurs et ses techniciens. « On a même nos propres dessinateurs 3D. On construit tout, de A à Z, ici, et on installe sur les lieux de l’événement le plancher, les lumières, les salles de réunions, les écrans, les vidéoprojecteurs… On a un client flamand, ça fait dix ans qu’on réalise tous ses stands dans le monde. » 

Evenement à Brussels Gate, début de cette année, pour une grande banque interationale et ayant réuni 2.500 personnes. © GSF

« On investit un demi-million par an, pour renouveler et grandir »

Pour les festivals de musique aussi ? « Non, fini depuis 2008. On était sous-traitant des premiers Tomorrowland, de 2005 à 2007, mais le secteur dépend des subsides, il y a une guerre des prix incroyable, le matos revient dégueulasse et 80 % de la concurrence est capable de faire une scène. Nous, on vise plus haut. » Comme, en mai dernier, au musée des Beaux-Arts de Bruxelles la présentation depuis Houston des deux nouveaux astronautes de la NASA, la Française Sophie Adenot et le Namurois Raphaël Liégeois. « On s’est connecté au serveur sécurisé de l’agence américaine, on a partagé nos stream et on a tout projeté sur écrans 4K, avec débat-conférence sur plateau télé live en bidirectionnel Houston-Bruxelles. Ça, c’est beaucoup plus compliqué, techniquement. Ça demande, outre le matériel, des experts capables de s’entretenir avec ceux de la NASA pour les envois de flux caméras via tel signal, avec telle résolution, à tel moment, etc. On a donc des ingénieurs en informatique, en électronique, en lumière, en son, en vidéo, en captation caméra, en streaming, outre les ingénieurs civils pour l’accrochage. En fait, on a évolué à la façon d’un cabinet d’avocats : avec des seniors partners qui travaillent ici et facturent leurs prestations tous les mois. » Le duo n’est pas en reste : Sabry est docteur en électronique et en acoustique et Sammy a enchaîné les diplômes (« Sur insistance de mon père ») : ingénieur du son à l’IAD, marketing management à l’Ephec, licencié en Finance à l’Ichec, MBA en gestion de la croissance à la Vlerick Business School de Gand. « Mon frère a un QI exceptionnel et, moi, je suis un businessman correct, je pense. »

La haute-couture et l’Intel de l’audiovisuel 

C’est cette complémentarité de talents qui les a fait arrêter les activités musicales pour se centrer sur le corporate et l’institutionnel. « On s’est dit : on utilise des micros, de la lumière, du son et des écrans pour des artistes ; pourquoi pas pour des CEO ? Et on a commencé pour les banques, comme ING, les lancements de voitures, les salons, les congrès de médecine, les colloques scientifiques… On a investi massivement : on est allé en Chine et aux USA pour découvrir les dernières technologies, on a eu les premières caméras robotisées, le matériel révolutionnaire. Aujourd’hui, je dirais qu’on est dans le top 5 en Belgique et dans le top 20 en Europe, tant en termes de compétences que de matériel et de one stop shopping. » Ce que l’illustre architecte, designer et scénographe belge Charles Kaisin, dont GSF est partenaire technique mondial, décrit par une image plus élogieuse : « Vous êtes la haute-couture de l’audiovisuel mondial. » 

« On est passé de consultants à concepteurs : il y a désormais des haut-parleurs, de pointe, avec la technologie GSF dedans. Objectif : devenir l’Intel inside de l’audiovisuel »

Des créateurs donc, aussi. GSF Engineering, que Sabry dirige depuis son lancement, il y a dix ans, l’incarne à la perfection : « Mon frère s’occupe désormais uniquement de recherche et développement de cartes électroniques, pour des marques prestigieuses de haut-parleurs, que nous ne pouvons pas citer mais qui sont utilisées par des groupes de musique, comme Rammstein ou Coldplay. On les conçoit ici, puis elles sont fabriquées dans une de nos usines partenaires, en Chine, en Thaïlande, au Portugal, en Espagne ou en Allemagne. Objectif : devenir l’Intel inside de l’audiovisuel. Parce qu’on a constaté que certains produits, même haut de gamme, n’étaient pas parfaits, en fonction des circonstances. Et on le disait aux fabricants, après avoir étudié la carte électronique. Au fond, on avait des idées et des connaissances qu’ils n’avaient pas. Alors on a décidé qu’on allait le faire, nous. On est passé de consultants à concepteurs : il y a désormais des haut-parleurs, de pointe, avec la technologie GSF dedans. Sabry a commencé tout seul, ils sont maintenant une quinzaine. »

Pourtant, tout a failli s’écrouler il y a cinq ans. À cause de ce maudit Covid. « On a pensé qu’on était foutus. On entre fin 2019 dans ce bâtiment, où on a investi 8 millions, on a de nouveaux camions, du nouveau mobilier high level, le carnet de commandes est plein à craquer… Et en mars 2020, tout s’arrête. Partout. Toutes les commandes sont annulées. On a dû mettre des gens au chômage, on a supprimé les assurances de la flotte puisqu’on ne roulait plus, on a obtenu un moratoire de la part des banques, on a vendu du matériel… Et on a réfléchi. On s’est dit que, puisque les grandes entreprises ne pouvaient plus communiquer que par Zoom, Teams ou autres, on allait leur proposer de leur fabriquer un studio télé, véritable ou virtuel, avec des caméras robotisées, pour des conférences, présentations, lancements en livestream. On l’a fait avec Dolce la Hulpe, Chateauform, Bayer Pharma, Candriam … » 

Et avec le gouvernement belge, pour les Comités de concertation dont l’annonce des décisions était systématiquement retransmise en direct, durant la pandémie. « Tout avait commencé en 2014, à Cointe », rembobine Sammy Freh. « Avec la cérémonie du centenaire du début de la Première Guerre mondiale, à laquelle assistaient le roi Philippe, Kate et William, le Grand-Duc Jean, François Hollande, David Cameron… On a tellement assuré qu’on est devenu fournisseur de la chancellerie du Premier ministre. On était donc là pour chaque intervention télévisée du gouvernement à l’époque des attentats. Et puis pour les Codeco. Et quand Charles Michel est passé au Conseil européen, il nous a emmenés, alors qu’on avait déjà le Parlement et la Commission. » Strike.

Préparation d’un « dîner surréaliste » organisé l’an dernier à l’hôtel Le Marois à Paris par le designer belge Charles Kaisin dont GSF est partenaire technique mondial. © GSF

Les filiales, l’immobilier, les drones et les fenêtres-écrans

D’enfants-Dickens à golden boys, en somme. « On n’avait pas le choix. On devait réussir. On ne voulait pas vivre ce qu’on avait vécu, petits. Mais on s’est battu. On travaille toujours 18 heures par jour. Et j’ai fait tous mes stages dans des entreprises flamandes, parce que si tu veux te développer en Belgique, il faut parler néerlandais. Et anglais si tu veux le faire à l’international. Sinon tu es mort. » Outre qu’il faut l’esprit d’entrepreneuriat, quand même. « Et la faim d’innovation, la connaissance des autres cultures. La détermination. La faculté de ne jamais laisser tomber. Durant le covid, je me suis imposé une discipline de fighter : six heures de cross fit par jour et une diététique stricte ; on en est sorti plus fort qu’on ne l’était. » Et lui avec 35 kilos de moins. 

Bourreau du travail, donc, ce père de trois enfants (16, 12 et 9 ans, « éduqués par une mère qui m’a toujours soutenu » et figurant parmi les nommés au titre d’Entrepreneur Inspirant 2025 (1). Tyrannique aussi ? « Exigeant. Ici, on doit bosser beaucoup mais on est bien payé. Je dis toujours : ’’Battez-vous avec moi, vous aurez votre part du gâteau. Mais si c’est pour faire du 9-17h, vous n’êtes pas au bon endroit.’’ On veut l’excellence, on garantit le haut niveau mais ça passe par un gros volume de travail. Et puis même si on est déjà au-delà de mes rêves, j’en veux encore plus. »

« Encore plus », ça veut dire qu’« on a mis les choses en place, pour que ça tourne sans nous. Donc je peux me concentrer sur d’autres choses stratégiques, comme les filiales à l’étranger. On veut en ouvrir, copiées-collées d’ici, à Paris, à Londres, à Dubaï. On a aussi lancé GSF Real Estate : l’idée, c’est d’acheter des terrains pour y construire des bâtiments, à louer, sur le même mindset que celui-ci. Enfin, le futur, dans l’audio-visuel, ce sont d’une part les drones qui deviennent écrans, une fois groupés en vol, pour communiquer partout et plus grand que les écrans de Time Square ou de Piccadilly Circus, et d’autre part les fenêtres-écrans led, sur les bâtiments. On se forme aux deux technologies. Et on va voir si on investit ou si on en conçoit, en tout ou en partie. »

« On » se forme ? Qui « on » ? Sammy Freh sourit : « Moi aussi. Je veux pouvoir prendre la place de n’importe qui, si besoin. Même conduire un camion semi-remorque. Un lundi matin, on devait partir livrer à Paris et le chauffeur s’est cassé le bras durant le chargement. Impossible de trouver quelqu’un d’autre. Alors je l’ai fait. » Ça aussi. Evidemment.

 

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