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Changer de nom pour sa réputation : quand les entreprises se réinventent sous une autre bannière

Cette pratique est loin d’être marginale. Elle touche tous les secteurs, de la tech à la construction, en passant par la formation professionnelle ou l’agroalimentaire. Elle n’est pas, en soi, illégale. Créer une nouvelle société avec un objet social similaire à une ancienne entreprise liquidée, par exemple, est prévu par le droit commercial. Mais cette technique devient sujette à caution lorsque l’objectif est de dissimuler une continuité réelle pour accéder à des marchés ou contourner des interdictions.

Un outil de redémarrage parfois nécessaire…

 

Il existe des cas parfaitement légitimes. Une entreprise peut avoir besoin de se relancer, de se repositionner stratégiquement ou de tourner la page après un échec ponctuel. Dans certains secteurs comme la restauration ou la mode, les marques renaissent souvent sous d’autres noms, avec une nouvelle ambition. Dans l’univers des startups, il n’est pas rare qu’un projet mort-né donne naissance, quelques mois plus tard, à une nouvelle structure avec une vision affinée et de nouveaux investisseurs.

 

Mais le renaming peut aussi être employé pour échapper à des poursuites, contourner des obligations ou manipuler des marchés publics.

 

Grands groupes : rebranding stratégique, pas toujours innocent

 

Lorsque l’on pense à un changement de nom réussi, on pense souvent à de grandes marques tenant à moderniser leur image. Mais même ces mastodontes n’y échappent pas : en 2023, le service de streaming HBO Max est devenu Max, dans le cadre du regroupement des actifs Warner Bros.

 

Discovery. Si l’usage était avant tout opérationnel et marketing, certains y ont vu aussi un moyen d’atténuer l’impact des critiques liées aux suppressions de contenu et aux réductions d’effectifs, sans changer fondamentalement l’offre ni les équipes. De même, en 2021, Facebook est devenu Meta, marquant son orientation vers le métavers. Mais derrière cette évolution cosmétique, c’est surtout la volonté de détourner l’attention du public des scandales sur la désinformation et les données personnelles : le nom change, mais la structure, ses dirigeants et ses activités restent les mêmes.

 

Ces transformations à grande échelle illustrent parfaitement ce que d’aucuns nomment la “stratégie du nouveau nom” : un outil de redéfinition d’image, parfois louable, mais parfois aussi utilisé pour esquiver le passé sans en assumer les enseignements.

 

ANGATEC : un cas de continuité sous nouveau nom

 

Dans le secteur très spécialisé de la robotique incendie, la société TECDRON avait développé un robot de soutien aux pompiers, le TC800. En 2018, l’entreprise remporte un appel d’offres de la Préfecture de Police de Paris. Mais les tests de la Brigade de Sapeurs-Pompiers s’avèrent non concluants : performances inférieures aux promesses, fiches techniques contestées, et finalement, une exclusion de la procédure assortie d’une obligation de rembourser une avance de plus de 80 000 euros.

 

Peu de temps après, TECDRON cesse ses activités. Une nouvelle entité, ANGATEC, est alors créée. Mêmes dirigeants, même robot (rebaptisé TEC800), mêmes visuels publicitaires, mêmes documents techniques, jusqu’à certaines images reprises mot pour mot.

 

Sur le papier, il s’agit d’une structure différente. En pratique, la continuité saute aux yeux.

 

Des failles dans le contrôle public

 

Pour les pouvoirs publics, il est difficile de suivre ces transformations. Le changement de raison sociale, de SIRET ou de statut juridique permet souvent de contourner les alertes. Si les bases de données ne croisent pas les noms de dirigeants, d’actionnaires ou les adresses IP d’inscription, il devient difficile de repérer qu’une entité est l’avatar d’une autre.

Certaines administrations commencent à réagir : la Direction des finances publiques, France Compétences ou les services de la DGCCRF croisent de plus en plus les données pour identifier les structures dites « phénix ». Mais le processus est long, et les sociétés peu scrupuleuses savent souvent garder une longueur d’avance.

 

Vers une transparence imposée ?

 

Le changement de nom d’entreprise pose une question de fond : une société peut-elle faire table rase de son passé sans le dire ? Pour ses fondateurs, cela peut être une manière de rebondir. Pour les clients, les administrations et les concurrents, c’est parfois une stratégie de dissimulation.

Une piste serait d’imposer, dans les appels d’offres publics ou les conventions de financement, une déclaration obligatoire des filiations juridiques, des antécédents des dirigeants et des liens avec des structures liquidées. Ce serait un premier pas vers une économie plus responsable, où la mémoire des fautes ne s’efface pas d’un simple changement de nom.

 

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