Avec une perte nette de près de 400 000 € en 2024 et une baisse de 12% de sa production depuis 2019, Chimay tente de se relancer en adoptant un format inattendu : la canette. Un choix dicté par les réalités économiques autant que par l’évolution du marché.
Trappiste ou d’abbaye : deux modèles économiques antagoniques
Il est essentiel de distinguer la bière trappiste de la bière d’abbaye pour comprendre les marges de manœuvre de Chimay. Une bière trappiste est produite par ou sous la supervision de moines cisterciens au sein d’une abbaye en activité, selon des règles strictes : non-lucrativité, production intramuros, redistribution à des œuvres. En revanche, les bières d’abbaye, souvent sous licence, sont brassées par des entreprises commerciales avec un lien plus symbolique qu’opérationnel à une abbaye (à l’instar de Duvel-Moortgat avec Maredsous, AB Inbev avec Leffe, ou Alken-Maes avec Grimbergen). Cela permet plus de souplesse financière, mais aussi une dilution du caractère artisanal et religieux. Ce cadre contraint rend la diversification de Chimay d’autant plus complexe et méritoire.

Une rentabilité en chute libre
Bières de Chimay SA, longtemps profitable, a basculé dans le rouge en 2024 : -397 635 €, après une chute de 91% des bénéfices entre 2021 (4,7 M€) et 2023. Le chiffre d’affaires a reculé de 50,5 à 48 M€. Pourtant, Chimay reste le premier acteur du segment trappiste (167 000 hl produits en 2023), avec 50% de sa production destinée à l’exportation.
Mais la marque subit la triple pression du coût (hausse de l’énergie et des matières premières), du marché (recul de la consommation belge : -5,8% en 2023) et de la concurrence (430 brasseries en Belgique). S’y ajoute la chute des exportations, notamment aux États-Unis, où la tendance « drink local » et les barrières douanières ont rogné la présence des marques belges.
La canette : une transition forcée mais ciblée
Dans ce contexte, Chimay a investi dans l’encannage de ses références Dorée, Rouge et Triple. Ce choix répond à plusieurs logiques : accès à de nouveaux circuits de distribution, réduction des coûts logistiques (poids, empilabilité), et conquête d’un public plus jeune. Le format canette progresse de 4,2% par an en France, tandis que les ventes en bouteilles reculent de 5,6%. En 2024, 26,3% des bières vendues dans le pays l’étaient en canette.

La complexité technique du projet (fermentation secondaire dans la canette) n’a pas dissuadé Chimay, qui y voit une opportunité de positionnement premium dans un format moderne. Pierre-Louis Dhaeyer, directeur général, souligne l’intérêt pour une « praticité fortement appréciée par un public plus jeune« .
Le modèle trappiste menacé ?
Le segment trappiste, pourtant ultra-reconnu, traverse une crise. Trois brasseries ont dû cesser ou perdre leur label ATP (Authentic Trappist Product) entre 2022 et 2025, souvent par manque de moines. Chimay a choisi d’anticiper : investissements annuels de 3 à 5 M€, modernisation de la ligne de production, énergie verte (90% d’autoconsommation).
Mais ces efforts suffiront-ils ? Le modèle non lucratif reste exigeant. La Fondation Chimay-Wartoise redistribue les bénéfices, ce qui limite les marges de manœuvre. Dans un marché où les grands groupes adaptent leurs portefeuilles et où les bières sans alcool croissent de 12% en volume, Chimay doit réussir sa diversification sans diluer son identité.
Perspectives : entre risque et résilience
Chimay est emblématique, mais pas à l’abri. Son avenir dépendra de sa capacité à maîtriser ses coûts, à attirer de nouveaux consommateurs et à maintenir une production authentique. La canette est un pari mesuré, mais nécessaire. Car dans une industrie brassicole belge en crise (36 brasseries ont fermé en 2023), seules survivront celles qui sauront conjuguer tradition et transformation.
