Gabriel Levie et Franck-Victor Laurant sont les cofondateurs de Wequity, une start-up spécialisée dans les données ESG (environnement, social, gouvernance) qui utilise l’intelligence artificielle pour analyser des informations provenant de diverses sources afin d’aider les entreprises à gérer leurs obligations en la matière. Tous deux ont passé un moment de leur jeunesse à l’étranger: à Madagascar et au Cambodge dans le cadre d’opérations de volontariat pour Franck-Victor, et aux Etats-Unis et en Angleterre dans le cadre de ses études pour Gabriel. Des expériences qui leur ont donné la volonté de s’impliquer dans des projets de société. En 2021, ils fondent Wequity et en quatre ans, ils ont réussi à lever 2,6 millions d’euros. Retour sur une success story, parfemois parsemée d’embûches, avec Franck-Victor Laurant.
Forbes.be – Franck-Victor, comment vous est venue l’idée de Wequity?
Frack-Victor Laurant – J’ai personnellement un parcours de juriste assez classique, avec des études à Saint-Louis puis à l’UCLouvain. Mais j’ai toujours été passionné par le digital. J’ai même commencé à coder quand j’étais très jeune. J’étais actif dans la cybersécurité aussi. Et je suis ensuite revenu, donc, vers un parcours juridique, même si l’entrepreneuriat est resté en moi. Quand j’étais en première bachelier, j’ai lancé une ASBL qui s’appelle Civix. On a développé une application pour les élections en 2019. On était premiers sur l’AppStore et on avait une centaine d’utilisateurs. Ce n’était pas un projet à but lucratif, mais ça m’avait vraiment donné envie de continuer à entreprendre. A la fin de mes études, j’ai reconnecté avec Gabriel, avec qui j’étais à l’école primaire et que je n’avais plus contacté durant des années. On s’est retrouvés ensemble en Master 1. Durant ses études, il avait lancé une ONG qui poussait des grosses universités en Angleterre, comme Oxford ou Cambridge, à désinvestir du pétrole et des énergies fossiles. Il m’a parlé de la finance durable, et cela m’a beaucoup intéressé. On a donc décidé de lancer quelque chose ensemble. Au tout début, on a discuté avec plein de gens du secteur de la finance durable. On a rencontré plus d’une centaine de personnes et d’experts pendant six mois-un an. On a créé une société mais on n’avait pas d’argent. On a donc dû commencer par faire des sites internet, durant deux mois, ce qui nous a permis de générer 15.000 euros et de véritablement lancer Wequity. Un investisseur nous a poussés à arrêter le développement des sites internet pour nous concentrer sur notre nouveau business, en assurant l’aspect financier. Et c’est comme ça que la machine s’est lancée.
– On a créé un premier software dans l’ESG, qui faisait du media screening. On surveillait les réseaux sociaux et on y identifiait les controverses, et on revendait ensuite cela à des banques, comme Belfius. C’est un marché très compliqué, donc on s’est focalisé sur la partie conformité car il y avait à l’époque de plus en plus de besoins en la matière. On a vendu ce logiciel à toute une série d’acteurs comme Syensqo, Cargill ou la Banque Mondiale. Des « Big Four » (les quatre principaux cabinets mondiaux d’audit et de conseil que sont Deloitte, PwC, EY et KPMG, NDLR) utilisaient aussi notre solution. On a levé comme cela 2,6 millions d’euros jusqu’à aujourd’hui. Et on s’est étendu petit à petit car on s’est rendu compte que non seulement la conformité en tant que telle, c’est intéressant, mais qu’on doit créer un rapport une seule fois. On s’est spécialisés dans les questionnaires ESG et on s’est étendu dans différents départements.
– Puis tout cela a un peu changé il y a neuf mois, avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche…
– Il y a à peu près neuf mois, la réglementation a en effet commencé à changer. Le vent a tourné un peu et la conformité s’est fortement réduite. On a eu un peu de mal de ce côté-là, pour être transparents. 2025 était LA meilleure année pour nous car on avait des deals en cours des Big Four pour un très gros montant parce que ces entreprises en avaient besoin et que c’était le moment où elles étaient en train de faire tout le reporting. Or, nous, on aide à rendre ça beaucoup plus rapide. Et on a pardu la moitié des deals. La vie d’entrepreneur n’est donc jamais toute rose. Mais on a gardé notre software et on s’est étendu dans différentes verticales, et plus uniquement dans la durabilité. On a dû s’étendre simplement parce qu’on avait besoin de générer du cash. En parallèle, on a réutilisé la même technologie pour proposer à des équipes juridiques, typiquement des notaires ou des petits cabinets d’avocats, d’intégrer de l’intelligence artificielle dans leurs études. On a donc désormais deux softwares: Wequity et Nora Legal. En Belgique, on travaille par exemple avec l’étude de notaires Berquin à Bruxelles ou avec le cabinet d’avocats Chiomenti en Italie. On a des clients à l’international, aux Etats-Unis ou un peu partout en Europe. C’est l’avantage du secteur, c’est qu’on peut vraiment viser l’étranger et que ce n’est pas du tout limité à la Belgique. On a désormais plus d’une centaine de clients sur différentes verticales et en utilisant la même technologie.
– Pouvez-vous nous en dire plus sur Nora Legal?
– C’est un marché un peu plus niche que celui de Wequity. Pour les notaires par exemple, cela représente un marché de 30 millions par an, en Belgique en tous les cas. Les acteurs existants y ont actuellement un monopole, avec un logiciel très vieux. Avec notre technologie, il n’est toutefois pas très compliqué de percer sur ce marché. L’avantage, c’est aussi que le cycle de ventes est beaucoup plus court. On est belges et nous avons beaucoup de contacts. Grâce à ça, nous avons déjà 50 études notariales qui sont en test avec nous et toute une série d’étues qu’on a déjà converties. Or nous avons lancé la plateforme il y a un mois! On vient à peine de la sortir et on en a déjà 50 sur un marché de 1.200 études de notaires. Nous pouvons, en outre, appliquer cette verticale à d’autres marchés, que ce soit dans la notariat ou dans des petits cabinets d’avocats assez niches comme le droit de l’environnement ou de l’immigration.
– Wequity et Nora Legal, ça représente combien de personnes?
– On est une dizaine, pour les deux plateformes, répartis entre Bruxelles, la France et la Pologne.
– Et vos activités dans Civix, elles se poursuivent ?
– Oui, je continue à soutenir cette ASBL. On a pleins de projets financés par la Commission européenne, sur l’éducation politique ou sur la désinformation liée à l’IA, qui est très présente aujourd’hui avec le contexte géopolitique qu’on connait. Nous assurons plein d’ateliers dans les écoles pour informer des jeunes entre 15 et 17 ans sur l’IA. Civix a aussi lancé un camp d’entraînement cyber pour former entièrement gratuitement n’importe quel jeune à la cybersécurité. Il n’y a pas dd’objectif financier à cette association mais j’ai quand même réussi à lever 400.000 euros. Nous sommes désormais une équipe de sept.
– La distinction de Forbes 30 under 30 vous a-t-elle apporté quelque chose, à Gabriel et toi ?
– Je suis évidemment ravi d’avoir reçu un tel prix. Sur le plan privé, je vis deux tiers du temps à New York et le réseau Forbes m’a permis d’y trouver un partenaire de tennis. Grâce à ça, tu peux directement rencontrer des gens qui ont plus ou moins ton âge, qui sont super intéressants et qui peuvent t’aider à entrer plus facilement sur le marché américain, une culture où il est important de savoir se mettre en avant. Or mon associé et moi, nous sommes encore très jeunes et ne sommes pas les meilleurs pour se vendre. Je pense donc que cette distinction aide. Et puis, cela permet de garder une certaine pression pour, dans le quotidien, continuer à avancer et rester tête baissée. Car, ce qui nous importe, c’est de se développer, se construire et avancer. Voilà pourquoi nous n’en faisons pas un « big deal » non plus.
– Un conseil à donner à de jeunes entrepreneurs?
– La vie ouvre des portes. Parfois, il faut pouvoir la trouver soi-même. Mais quand elle est ouverte, il faut foncer! Même si ça fait peur au début, ça en vaut vraiment la peine. Pour ne pas avoir de regrets, il faut tester son idée car ce qui peut en sortir peut être vraiment génial. Il ne faut pas avoir peur de tomber ou d’échouer à un stade ultérieur. On a tous le droit de rater son coup. On était jeunes et on l’est toujours, et on va sans doute se planter, peut-être une, deux, trois, quatre fois. Mais on est ravis de le faire ensemble. Et si on devait le refaire, on le referait. On est convaincus que c’est précisément en ratant qu’on va apprendre et en ressortir quelque chose qui a de la valeur. C’est une question de saisir ses opportunités. Dans notre cas, si on avait pas développé des sites internet au début, on n’aurait pas eu notre société et on n’aurait pas eu ces investisseurs qui nous ont donné de l’argent. C’est cette espèce d’étincelle qu’il faut créer. Et une fois qu’il y a des opportunités qui tombent, il faut les prendre.