Avec ses 330 millions de consommateurs, les États-Unis restent un marché incontournable pour les entreprises belges. Alors qu’une nouvelle mission économique belge y est en préparation fin 2025, les questions demeurent sur les opportunités offertes par le pays de la Silicon Valley et le pays de l’Oncle Sam. Entre défis douaniers et promesses d’un marché immense, Pascale Delcomminette et Hubert Goffinet livrent leurs conseils pour franchir le pas du “Golden State”.
Quand on est entrepreneur, est-ce que l’on doit encore s’intéresser au marché américain malgré toutes les incertitudes géopolitiques ?
Pascale Delcomminette : Absolument. Les États-Unis restent la première puissance économique mondiale et un partenaire commercial de tout premier plan pour la Belgique et la Wallonie. Les USA sont depuis toujours notre plus important client hors Union Européenne. Cela montre à quel point il s’agit d’un débouché stratégique malgré les incertitudes.
Au-delà des chiffres, c’est la taille et le dynamisme de ce marché qui comptent : 330 millions de consommateurs au pouvoir d’achat relativement élevé, attentifs à l’innovation et à la qualité, deux domaines où nos entreprises excellent. Bien sûr, les tensions commerciales et les nouvelles barrières douanières peuvent sembler dissuasives. Mais il ne faut pas y voir uniquement des risques et des obstacles. Ces changements représentent aussi des opportunités, car les États-Unis cherchent à diversifier leurs partenaires et à réduire leur dépendances vis-à-vis de la Chine.
Pour une PME belge, exporter vers les États-Unis signifie non seulement accéder à un marché immense, mais aussi gagner en crédibilité. Réussir à franchir la barrière américaine, c’est décrocher un label prestigieux qui ouvre ensuite bien d’autres marchés.

Quels sont les principaux obstacles que rencontrent nos entreprises lorsqu’elles visent ce marché ?
Pascale Delcomminette : Le premier défi concerne les droits de douane et la fiscalité. Certains secteurs – comme l’acier ou l’aluminium – sont soumis à des taxes additionnelles. Les entreprises doivent faire l’analyse des différents segments de leurs produits et l’intégrer dans leur stratégie de pricing dès le départ.
Deuxième défi : les normes. Les États-Unis n’ont pas d’harmonisation complète avec l’Europe. Les règles de la FDA pour l’alimentaire, les certifications médicales, ou encore certaines réglementations propres à chaque État constituent autant d’étapes incontournables.
Enfin, il faut garder un œil attentif sur le climat politique. Un président plus protectionniste peut introduire de nouvelles restrictions. Mais encore une fois, cela doit pousser les partenaires et forunisseurs européens à mettre en avant leur fiabilité et leur qualité pour lesquelles ils sont réputés.
Pourquoi une entreprise s’intéresserait à la Californie aujourd’hui ?
Hubert Goffinet : Parce que la Californie, avec ses 39 millions d’habitants et un territoire 13 fois plus grand que la Belgique ,c’est pratiquement un pays à elle seule. En 2024, elle est devenue la 4ᵉ économie mondiale, dépassant même le Japon. Son dynamisme s’explique par une diversification unique, que ce soient : les secteurs du numérique, les sciences de la vie, les technologies vertes, la défense et l’aérospatial, les industries culturelles et créatives, ou l’agriculture durable ; ce territoire est un véritable laboratoire de l’économie du futur.
Pour une PME wallonne, venir en Californie, c’est plonger au cœur de l’écosystème le plus innovant de la planète. Ici, dans la Silicon Valley, à San Diego ou à Los Angeles, se croisent startups, investisseurs, grands groupes et centres de recherche. C’est l’endroit où s’inventent les solutions de demain et où les partenariats se nouent à un rythme effréné.
C’est aussi un territoire où la collaboration est dans l’ADN : des universités comme Stanford, Berkeley ou UCLA travaillent main dans la main avec les entreprises, et les grands groupes sont constamment à la recherche de partenaires crédibles. Pour une entreprise wallonne, c’est donc une opportunité unique de valider ses technologies, de s’associer à des projets de pointe et de gagner en visibilité sur la scène internationale.
La mission princière d’octobre 2025 va précisément mettre ces dynamiques en avant, en positionnant nos entreprises dans des secteurs stratégiques, en nous offrant une opportunité rare de renforcer notre visibilité collective et de nouer des alliances avec les acteurs les plus influents de la côte ouest.

Quelles sont les erreurs les plus fréquentes que commettent les PME belges lorsqu’elles s’attaquent au marché américain ?
Pascale Delcomminette : L’une des erreurs fréquentes est de mal anticiper la préparation en amont. Trop souvent, les entreprises se lancent aux États-Unis sans avoir suffisamment travaillé leur stratégie d’entrée sur ce marché immense et complexe. Cela concerne aussi bien le choix du bon État, l’adaptation de leur offre au consommateur américain que la compréhension des normes locales.
La seconde erreur est de sous-estimer les coûts. Qu’il s’agisse des honoraires d’avocats, des exigences de conformité réglementaire ou encore de la logistique, les frais sont considérables et bien plus élevés qu’en Europe. Disposer d’une trésorerie solide n’est pas un luxe, c’est une condition indispensable pour réussir.
Enfin, il ne faut pas négliger la dimension humaine et la communication. Ici, les réseaux et la réputation comptent énormément. Les Américains attendent un discours clair, ambitieux et orienté résultats. Les PME qui n’investissent pas dans une présence marketing adaptée ou qui négligent leur image digitale se privent d’un levier essentiel pour percer.
Hubert Goffinet : De mon côté, je constate que certaines entreprises belges se contentent de venir une fois pour « tester » le marché. Or, cela ne suffit absolument pas. Les Américains veulent voir du commitment et être convaincus par la façon dont vous concrétiser vos ambitions. Ici, tout doit être Great! ou Nice ! Cela demande effectivement d’y mettre la forme car, sinon, ils passent vite à autre chose.
Au sein de l’AWEX San Francisco, nous encourageons les sociétés à établir une stratégie dans la durée : revenir régulièrement, participer aux grands salons, assurer de la visibilité dans les écosystèmes sectoriels, et, comme souvent, s’entourer de partenaires locaux solides. Notre rôle est précisément d’accompagner les PME dans cette démarche, en leur ouvrant les bonnes portes, en les préparant aux attentes américaines et en les intégrant dans des dynamiques collectives comme la mission princière d’octobre 2025. C’est cette combinaison d’ambition et de persévérance qui fait la différence aux États-Unis.
Quelles aides les PME belges peuvent-elles solliciter pour franchir le pas ?
Pascale Delcomminette : Les PME wallonnes disposent d’un éventail d’outils très concrets pour franchir le pas vers les États-Unis. L’AWEX propose des incitants financiers, notamment des aides à la prospection et à la participation à des salons d’affaires. Ces soutiens permettent de réduire le risque lié aux premières démarches et de donner plus de moyens aux entreprises pour se faire connaître sur ce marché compétitif.
Au-delà du financement, l’AWEX offre un accompagnement personnalisé via son réseau de Conseillers économiques et commerciaux établis dans le pays : à Washington, New York, Chicago, Houston et San Francisco. Ce réseau est un atout considérable et il joue un rôle déterminant dans l’accompagnement de nos sociétés et de nos PME aux Etats-Unis
Hubert Goffinet : Les sociétés wallonnes ne sont effectivement pas seules lorsqu’elles s’attaquent au marché californien. Notre bureau à San Francisco leur offre un accompagnement sur mesure, adapté à la réalité de ce marché exigeant. Concrètement, nous fournissions un exercice de veille économique sur des marchés ciblés, nous identifions des prospects et partenaires potentiels, et nous préparons les entreprises aux négociations et aux attentes des interlocuteurs américains.
Nous proposons souvent une mise en relation directe avec des acteurs clés : investisseurs, incubateurs, grands groupes et clusters locaux. Cet ancrage local permet d’éviter les écueils réglementaires et facilite les dynamiques partenariales. Nous collaborons aussi avec Belwest, notre Chambre de commerce pour la côte ouest des États-Unis, et ses membres. Leur expérience de terrain constituent un complément précieux à l’accompagnement que nous proposons.
Chaque année, notre bureau contribue également à l’organisation de notre présence dans des événements majeurs qui donne de la visibilité collective aux entreprises wallonnes : comme notre participation au CES de Las Vegas pour les technologies numériques, ou au BIO International Convention de San Diego. Ces rendez-vous sont autant d’occasions de se présenter sous une bannière commune, de mutualiser les efforts et les coûts, et d’apparaître plus forts.
Forbes : Quel conseil ou message supplémentaire donneriez-vous pour conclure cet entretien ?
Pascale Delcomminette: Je dirais aux PME belges de ne pas se laisser décourager par les incertitudes politiques et commerciales. Les États-Unis sont un marché qui récompense la qualité et la persévérance et surtout… qui permet de voir ‘huge’ !. Convaincre en Californie, c’est convaincre le monde.
Hubert Goffinet : Avec la mission princière, nous transformons un défi en tremplin collectif – nous ne venons pas seulement rencontrer un marché : nous venons nous inscrire dans son avenir. Nos entreprises doivent voir grand : c’est le seul langage compris en Californie !
Cet article a été rédigé en étroite collaboration avec l’AWEX.