Depuis ses 14 ans, Guillaume Petta traque le potentiel du digital pour les commerces. Quinze plus tard, à la tête de Localisy et de ProduWeb, il revient avec une nouvelle version de sa plateforme historique et un startup studio tourné vers l’IA. Rencontre avec un patron pragmatique, ambitieux et obsédé par la performance, qui s’est fait seul, à force de travail, de doutes et d’intuition.
Forbes.be – Vous avez commencé très jeune dans le digital. Quel a été le déclic ?
Guillaume Petta – J’ai commencé à 14 ans, presque par jeu. Je créais des campagnes publicitaires sur Facebook pour des petits commerces de ma région : restaurants, magasins de vêtements, boulangeries. Ce qui m’a tout de suite fasciné, c’était l’impact direct qu’on pouvait générer sur leur activité avec quelques annonces bien ciblées. Je me rappelle d’un restaurateur qui m’a appelé pour me dire : « Coupe la pub, on n’arrive plus à suivre, on est complet pendant deux semaines. » Ce genre de réaction, à 15 ans, c’est grisant. À 18 ans, j’ai sollicité un subside de la Région wallonne pour structurer un projet, et à 19 ans, j’ai quitté mes études de droit à l’université de Liège pour lancer Localisy. C’était le début d’une aventure que je pensais courte, mais qui dure depuis onze ans.
– Vous étiez un pionnier du social media marketing en Belgique ?
– Oui, clairement. À l’époque, il n’y avait que Facebook, et sa plateforme publicitaire était encore très rudimentaire. Pas de formats vidéo, pas d’Instagram, encore moins de reels, mais tout était nouveau. Notre valeur était de d’apporter aux commerçants un accompagnement global : stratégie, création de contenu, gestion des campagnes, analyse de performance. Ce qui les séduisait, c’était notre capacité à tout prendre en charge, sans devenir un poids financier mensuel. Et comme très peu d’entreprises faisaient de la pub en ligne à l’époque, les retours sur investissement étaient spectaculaires.
– Comment passe-t-on d’une jeune agence à la reprise d’un acteur majeur du secteur ?
– Localisy a grandi vite, mais toujours avec une approche frugale. On avait une obsession : la qualité des livrables. Et justement, on sous-traitait le développement web à des partenaires dont les délais, les devis ou les cahiers des charges étaient rarement respectés. Ça dégradait l’expérience client. J’ai donc décidé d’internaliser. C’est là qu’on a appris que ProduWeb était à vendre. Une boîte historique, plus de 15 ans d’existence, une quinzaine de développeurs à Liège. On a sauté sur l’occasion. Comment ? Parce que depuis le début on avait tout réinvesti dans la boîte. Pas de salaires extravagants, pas de voiture de société, très peu de charges fixes. Cette discipline nous a permis d’obtenir un financement bancaire raisonnable et de concrétiser cette acquisition.

– Vous changez alors de dimension.
– Complètement. Le premier devis que je reçois chez ProduWeb, c’était Intermarché Belgique. Refondre leur site national, avec des intégrations complexes : horaires, stocks, points de vente. Avant, on gérait des PME de 10, 20, 50 personnes. Aujourd’hui, on travaille avec des groupes, des structures matures. Cela dit, on reste attachés aux entreprises de taille moyenne. En revanche, les petits indépendants n’ont plus les budgets compatibles avec notre structure de coûts. Plutôt que de les laisser dans l’impasse, on les oriente vers des partenaires fiables.
– Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans cette phase de croissance ?
– L’humain. J’avais 25 ans, et je me retrouvais face à des collaborateurs de 35, 40, 45 ans à qui je devais dire : « Bonjour, je suis votre nouveau patron. » Sans historique, sans crédibilité. Ceux qui m’ont vu galérer à 20 ans comprenaient mon parcours. Les autres me voyaient comme un gamin arrivé de nulle part. Il a fallu prouver, encore et encore. C’est pour ça que je parle de méritocratie : tu montres que tu livres, que tu es fiable, que tu es constant. C’est long, mais ça paie. Aujourd’hui, la cohésion est solide.
– D’où l’importance de s’associer avec quelqu’un de plus âgé ?
– Laurent (Di Carlo, ndlr) était déjà associé minoritaire chez ProduWeb avant le rachat. Il en connaissait tous les rouages, les équipes, les projets. Moi, j’arrivais comme le nouveau, jeune, extérieur. Lui, c’était la figure légitime, expérimentée, reconnue. L’associer plus largement, c’était stratégique : il m’a permis de faire le lien humain et opérationnel avec les équipes historiques. On se complète bien. Là où je suis dans la vision, la dynamique commerciale, il apporte de la stabilité, de la mémoire et du recul. Il a vraiment été un chaînon essentiel dans cette nouvelle étape.

– Vous avez relancé Localisy. Pourquoi maintenant ?
– Parce que le problème que je voulais résoudre il y a dix ans existe toujours. Les hôteliers ont Booking.com, les taxis ont Uber, mais les commerces locaux n’ont pas de plateforme de référence pour exister en ligne. Les commerçants ne peuvent pas se payer une agence tous les mois pour faire du SEO, des visuels ou des posts. Ce qu’il leur faut, c’est une plateforme tout-en-un, simple, efficace, à 50 ou 100 euros par mois. On a donc redéveloppé la plateforme Localisy.com, avec des outils d’IA intégrés, un accompagnement, et une interface ultra simplifiée. On a mobilisé 9 ETP sur le projet, et on est en levée de fonds pour accélérer. C’est beaucoup plus dur que prévu, car le contexte économique est tendu pour les startups. Mais on ne lâche rien.
– Et ce startup studio, comment est-il né ?
– En écoutant nos clients. Beaucoup venaient avec des besoins très spécifiques : logiciels RH, outils logistiques, plateformes e-commerce. Des choses qu’on pouvait développer pour eux, mais qui, avec un bon cadrage, pouvaient être utiles à tout un secteur. L’idée du startup studio, c’est ça : co-créer des solutions digitales avec nos clients, mutualiser les coûts, et donner naissance à des projets exploitables commercialement. Aujourd’hui, on a trois projets en cours d’incubation dans les RH, la logistique et le marketing. C’est long à sortir, mais stratégiquement, c’est très fort.
– Vous misez désormais sur l’intelligence artificielle ?
– Oui, c’est notre priorité. L’IA permet de faire gagner un temps fou, de réduire les coûts, d’améliorer la qualité. On l’intègre dans les process internes, les projets clients, la création de contenu, le SEO, et même la cybersécurité. On a déjà des cas concrets où des outils d’IA ont identifié une attaque sur un site e-commerce et l’ont neutralisée en quelques heures. Avant, il fallait analyser des logs manuellement pendant des jours. L’IA transforme tout. On est passé d’un taux de conversion de 2% sur les campagnes traditionnelles à 5 à 9% sur celles gérées par IA. C’est colossal.

– Avec 11 ans de carrière à 30 ans, vous avez fait des sacrifices ?
– Oui, ça a été extrêmement dur. J’ai perdu beaucoup d’amis. Quand tu refuses les sorties, que tu bosses tous les week-ends, les gens s’éloignent. J’ai même perdu des soutiens familiaux. Certains m’ont prédit trois mois avant que je retourne à l’école. Il y a eu de la solitude, des nuits blanches, du stress jusqu’à l’épuisement physique. Mais j’ai aussi eu des moments magnifiques. Quand tu recrutes quelqu’un, qu’il évolue, fonde une famille, achète une maison, c’est très fort. Tu vois que ton travail a un impact concret.
– Des regrets ?
– Non. Je ne dis pas que quitter l’école est une bonne idée pour tout le monde. Dans mon secteur, il n’y avait pas de formation. D’ailleurs, il n’y en a toujours pas. Et oui, j’ai souvent douté. Syndrome de l’imposteur, sentiment de ne pas être à la hauteur. Mais mon entourage m’a toujours remis dans le droit chemin. Ceux qui me connaissent savent par quoi je suis passé. On ne construit pas un truc comme ça par hasard.
– Et demain, où va le web ?
– Vers l’automatisation intelligente. Vers des outils qui comprennent les besoins des entreprises et les traduisent en actions. L’IA, ce n’est pas juste une tendance. C’est une révolution qui touche toutes les fonctions : vente, RH, production, communication. Notre rôle, c’est de faire le lien entre la tech et le business. D’aider les entreprises à intégrer ces outils sans perdre leur âme. Et c’est ça qui me passionne chaque jour.
