À Furnes et Anvers, depuis 2011, Hannibal Books s’est taillé une place de choix dans le monde sélectif de l’édition d’art, avec une croissance comparable à de grands aînés comme le Français Assouline ou l’Allemand Taschen.
Hannibal Books est né en 2011. Le nom de la maison reprend celui du fameux général carthaginois qui franchit les Alpes avec ses éléphants et fit vaciller l’Empire romain. Cet épisode audacieux de l’Antiquité, cette confrontation méditerrannéenne captive Gautier Platteau, directeur de la maison d’édition, au point de lui inspirer son logo à l’éléphant.
Gautier Platteau avait déjà collaboré à des projets éditoriaux avec le photographe Stephan Vanfleteren (exposé en 2024 au Hangar, à Bruxelles) et décidé de hausser le niveau. « L’ambition première était de réaliser des livres de photographie et d’art et de nouer un lien avec des musées. Le travail d’un curateur est en effet très similaire à celui d’un éditeur. Le scénario idéal de l’éditeur de livres d’art est donc de combiner un livre et une exposition. Le premier construit une histoire dans un espace. Le second traduit l’œuvre sur papier, sous la forme d’un livre. Je suis historien, et l’enjeu essentiel n’est pas de savoir si c’est beau, mais si c’est pertinent et durable, si le contenu et le contexte trouveront un écho. »
« Plus vous internationalisez, plus le circuit commercial est lent »
L’économie financière d’un livre est un équilibre délicat : « Les dix premières années, nous avons publié des livres assez rentables, les bénéfices étant réinvestis dans des projets ». Or, le marché belge étant trop petit, d’emblée, Hannibal Books se devait d’être international. « Mais plus vous internationalisez, plus le circuit commercial est lent. Entre la conception, l’impression, la publication, la distribution du livre dans le monde entier, l’achat par les libraires, et le retour sur les ventes, il peut s’écouler 18 mois. » Autrement dit, la croissance de la maison imposait de s’appuyer sur un actionnaire. En 2021, Katoen Natie Group, logisticien Mondial basé à Anvers aussi actif dans le stockage d’œuvres de collections privées et publiques, est devenu actionnaire à 100%. Gautier Platteau a formé un tandem de direction avec Wim Ledegen, également cadre de Katoen Natie Art. Très compétents en matière de réseaux de vente, leur rôle est déterminant au plan de la distribution, nerf de la guerre de tout éditeur. Aujourd’hui, Hannibal a neuf employés qui coordonnent les projets, la direction artistique et les ventes, auxquels s’ajoutent des collaborateurs extérieurs. Les livres sont publiés en néerlandais, anglais, français et allemand, certains en coéditions avec Flammarion, Éditions Xavier Barral, Textuel, In-Fine pour la France, Thames & Hudson au Royaume-Uni, Rizzoli en Italie. « Nous avons aussi une collaboration récurrente avec Belser Verlag, à Stuttgart, notre partenaire pour les pays « D-A-CH », pour Deutschland, Austria et Confédération helvétique. »
En 2023, le livre consacré à Vermeer lors de l’exposition du Rijksmuseum (Amsterdam), est le livre d’art le plus vendu au monde, avec plus de 120 000 exemplaires. « La demande de billets pour l’exposition a été sans doute dix fois supérieure à l’offre, ce qui a créé un fort attrait pour le livre. Je crois que la peinture introspective de Vermeer, évocatrice de calme et de tranquillité, a touché beaucoup de gens dans le contexte mondial… »
Collectionneurs partenaires
Les propriétaires de Katoen Natie Group, la famille de Fernand Huts, d’Anvers, sont des collectionneurs d’art de premier plan. Ils ont créé la Phoebus Foundation, qui abrite leur collection et finance des recherches, restaure des œuvres, expose et publie des catalogues : « Nous avons travaillé une première fois ensemble en 2019 au Kunsthistorisches Museum de Vienne ». En 2024, la Fondation Phoebus ayant prêté plusieurs œuvres au Musée du Louvre pour l’exposition Figures du Fou, Hannibal Books a publié un ouvrage sur le sujet, Fous et folie dans l’art flamand. La première collaboration éditoriale entre la Phoebus Foundation et Hannibal Books, intitulée Blind Date, était le catalogue d’une exposition sur le portrait flamand des 16e et 17e siècles, à la Snijders & Rockox Huis, le musée privé anversois qui fut la demeure du peintre Frans Snijders. Dans quelques années, la Phoebus Foundation exposera sa collection dans la Boerentoren, tour art déco d’Anvers.
« Être éditeur suppose d’investir et de prendre un risque, qui s’incarne dans un livre, avec des partenaires qui peuvent être des musées, des collections privées, des fondations, etc. » À quel montant se chiffre ce risque ? « La conception, l’impression et la distribution d’un livre peut s’étager de 50 à 100 000 euros selon l’ampleur du projet. Si l’ouvrage est multilingue et le tirage important, cela dépasse aisément les 150 000 euros. Pour la distribution, nous avons des partenaires aux États-Unis (ACC Art Books), au Royaume-Uni, en France (Inter Art), en Espagne (Machado), en Allemagne/Autriche/Suisse (Belser), en Scandinavie et en Italie. »
Hannibal travaille actuellement sur de nouveaux livres consacrés à Stephan Vanfleteren (Musée des Beaux-Arts de Gand), Anton Corbijn (Fotografiska Stockholm/Berlin), aux Très Riches Heures du Duc de Berry (avec le Château de Chantilly), à Arcimboldo pour le Kunsthistorisches Museum de Vienne, et à plusieurs ouvrages avec le Stedelijk Museum et le Rijksmuseum (Amsterdam). « Nous travaillons aussi pour le tout nouveau musée Fenix à Rotterdam, une initiative du collectionneur néerlandais, la Fondation Droom & Daad. » Surf Tribe, livre photographique de Stephan Vanfleteren consacré aux légendes du surf, est réimprimé tous les ans et la quasi-totalité des exemplaires est vendue : « Un livre de ce type, qui se vend bien, dépasse 1500 exemplaires aux États-Unis, notre deuxième marché après l’Europe. Notre livre sur le photographe Ara Güler, Ara Güler — A Play of Light and Shadow (exposé depuis novembre 2024 par Qatar Museums, Ndlr) se vend bien en Turquie. Nous venons de publier Draw the World Awake, le livre consacré à l’œuvre de Walter Van Beirendonck, le créateur de mode, qui se vend notamment bien au Japon et en Corée. »
Une niche féconde
Hannibal a trois lignes éditoriales principales, la photographie, l’art contemporain et les beaux-arts, qui composent le créneau sur lequel « nous voulons rester concentrés. C’est l’ensemble du livre d’art et, dans un monde de grands groupes d’édition, il est préférable de conserver cette niche. Nous n’avons donc pas l’intention de devenir éditeur généraliste. Faire partie de ce puissant réseau de distribution nous permet de faire déjà partie du premier cercle des éditeurs d’arts ». Le contact direct avec les clients constitue un autre défi de taille. « Les librairies générales n’investissent plus vraiment dans les livres d’art et préfèrent vendre des best-sellers. Le nombre de librairies physiques diminue, ce qui rend les boutiques des musées d’autant plus importantes. Nous étudions donc de près certaines idées de vente directe, de collaboration plus étroite avec les musées et d’ouvrir une librairie à Anvers. »
« Le nombre de librairies physiques diminue, ce qui rend les boutiques des musées d’autant plus importantes »
« En somme, Hannibal Books est une maison d’édition de haute couture attachée au contenu et à l’objectif du livre, que nous voulons intemporel. » Rendre cet intemporel accessible suppose aussi de veiller à son caractère unique. À ce titre, l’éditeur publie avec des artistes et photographes contemporains des ouvrages accompagnés d’une sérigraphie ou d’une édition de clichés : « Pour Walter van Beirendonck, c’était un luxueux étui et une affiche signée et numérotée. C’est une manière démocratique de permettre l’accès à une œuvre d’art à des gens qui ont des moyens plus limités ».



