Le « Vehicle-as-a-Service » (Véhicule en tant que Service – VaaS) s’invite progressivement dans le paysage automobile. Loin de remplacer déjà l’achat ou le leasing classique, ce modèle repose sur l’idée que l’usage de la voiture pourrait à terme primer sur sa propriété. Abonnements flexibles, formules tout compris, autopartage ou intégration dans des offres de mobilité : autant de pistes qui dessinent une évolution encore balbutiante, mais riche de promesses. Cette série d’articles propose de décrypter ces nouvelles approches, leurs enjeux économiques et sociétaux, et les perspectives qu’elles ouvrent pour les conducteurs comme pour les entreprises.
La location courte durée (LCD) a longtemps incarné la souplesse automobile. Louer pour quelques jours, sans engagement, était l’alternative naturelle à la propriété. Mais ce modèle historique — transactionnel, ponctuel, ancré dans la possession temporaire — se retrouve aujourd’hui au cœur d’une transformation bien plus vaste : celle du Vehicle-as-a-Service (VaaS), où la mobilité devient un service continu, intégré, digitalisé.
À bien des égards, la location courte durée fut la première incarnation du VaaS.
Elle a inventé la flexibilité, la mutualisation et la facturation à l’usage, des principes aujourd’hui repris par les plateformes d’abonnement ou d’autopartage. « Je ne pense pas que les services d’autopartage soit vraiment un concurrent des activités de location court terme », explique Joeri Dockx, CEO de Dockx Rental et vice-président de Renta, la fédération des loueurs de véhicules en Belgique. « Notre activité est différente. Nous ne sommes pas implantés dans les centres-villes : nous opérons en périphérie, dans des zones facilement accessibles. Je comprends que quelqu’un vivant en centre-ville préfère utiliser l’autopartage pour un déplacement rapide. Chez nous, un contrat dure en moyenne 2,5 jours, et pour les voitures particulières, environ dix jours. Le partage de véhicules restera donc une solution ponctuelle. »
Mais là où la LCD vendait un produit (une voiture, un nombre de jours), le VaaS vend désormais une expérience : un véhicule connecté, entretenu, assuré et disponible à la demande, via un modèle récurrent.
L’arrivée de formules d’abonnement automobile (comme celles de SIXT+, Europcar SuperFlex ou Avis Flex) illustre cette convergence. Ces services proposent un véhicule pour un mois ou plus, sans engagement long terme, avec entretien et assurance inclus. Le client ne « loue » plus à proprement parler : il s’abonne à un service de mobilité, ajustable selon ses besoins.
Ce glissement progressif transforme profondément la relation commerciale : d’un acte ponctuel, on passe à une logique de fidélisation, proche du modèle SaaS (Software-as-a-Service) appliqué à la mobilité.
La data, colonne vertébrale du modèle VaaS
Umbrex, un réseau international de consultants issus de McKinsey, Bain ou BCG, s’est penché sur les leviers de performance du secteur de la location automobile dans son rapport How the Car Rental Industry Works. Selon ses analyses, la prochaine révolution du métier n’est pas dans la durée du contrat, mais dans la maîtrise de la donnée.
Pour Umbrex, le pricing dynamique et la maintenance prédictive constituent les deux faces d’un même modèle data-driven. La première optimise les revenus, la seconde les coûts. Grâce à la télématique embarquée, les loueurs disposent de données en temps réel sur la demande, la disponibilité et l’état mécanique de leurs véhicules. Ces informations permettent d’ajuster les prix selon la localisation, la saison ou la charge opérationnelle, tout en planifiant les entretiens avant la panne. Cette combinaison réduit les immobilisations, augmente le taux d’utilisation et transforme la gestion de flotte en système auto-régulé, où chaque décision — tarifaire ou technique — découle d’une logique de performance globale.
Selon plusieurs études sectorielles, la mise en place de la maintenance prédictive permet de 20 à 30% les coûts d’entretien et diminuer jusqu’à 40% les immobilisations non planifiées.
Enfin, la digitalisation complète de l’expérience (réservation, ouverture du véhicule « keyless », facturation automatisée, …) devient un passage obligé pour réduire les coûts d’agence et fidéliser le client.
Cette approche data-driven rapproche la LCD du VaaS : ce n’est plus la durée du contrat qui compte, mais la capacité à générer un service continu, prévisible et rentable.
L’électrification, un frein ?
Si la pression sur les marges, de par de nombreux coûts à la hausse, et la digitalisation – le secteur a bien évolué en la matière constituent ou ont constitué des freins, il en est un dont on voit poindre le bout du nez : l’électrification.
L’Union européenne prépare une réglementation ambitieuse pour accélérer l’électrification des flottes d’entreprise. Parmi les pistes à l’étude figure une obligation : à partir de 2030, toutes les nouvelles voitures achetées par les sociétés de leasing et de location devraient être électriques.
Ce qui crée des remous… Chez Leaseurope, qui regroupe les loueurs de véhicules en Europe, en premier lieu, par la voix de Richard Knubben, son directeur général : « Les membres de Leaseurope achètent déjà 60% des véhicules électriques vendus dans l’UE. Ce rythme reflète la capacité du secteur à investir dans l’électrique lorsque les conditions s’y prêtent. Au final, ce sont les clients qui décident si un véhicule répond à leurs critères de coût, d’usage et de performance. Un seuil imposé arbitrairement ne résoudrait aucun de ces problèmes. Au contraire, un mandat rigide risquerait de réduire l’offre de location, ou d’en renchérir le coût, impactant directement la compétitivité des PME qui dépendent de ces services ».

L’expérience d’acteurs étrangers (comme Hertz, qui a dû revendre une partie de sa flotte électrique en 2024) rappelle qu’une électrification trop rapide peut se retourner contre la rentabilité. Selon Stijn Blanckaert, directeur général de Renta, plusieurs obstacles rendent l’électrification brutale quasi impossible. « Parmi eux, le prix d’achat des véhicules électriques élevé, avec une valeur de revente encore incertaine, en raison des doutes sur l’état des batteries et de la demande limitée sur le marché de l’occasion. Si nous devons renouveler nos parcs uniquement en électrique sans garantie d’un débouché, nous prenons un risque financier énorme. »
Et le directeur de Renta d’ajouter : « À cela s’ajoutent des délais de livraison parfois longs, surtout pour les utilitaires, une infrastructure de recharge encore insuffisante et une demande des clients qui reste modeste pour la courte durée. Louer une voiture électrique pour un week-end ou un déplacement ponctuel reste souvent perçu comme compliqué. C’est une réalité du marché que nous ne pouvons ignorer. »
Pour Renta, une telle obligation pourrait avoir des conséquences graves : augmentation des tarifs pour les clients, réduction de l’offre, voire disparition de certains acteurs de la location courte durée. « Cela reviendrait à fragiliser tout un pan de notre économie de la mobilité », conclut Stijn Blanckaert.
Un pan de l’économie qui semble déjà quelque peu en difficultés. Au 30 juin 2025, la section « court terme » de Renta comptait une flotte de 35.656 véhicules, dont 30.926 voitures de tourisme, 4.307 utilitaires légers et 423 camions. Un total de 19,82% inférieur à celui du 30 juin 2024. Signe, entre autres, d’une demande en berne, outre la rentabilité précaire de ce modèle.
La location courte durée a posé les bases du VaaS dans le passé. Serait-elle en train d’en subir aujourd’hui la réinvention ?
