Le livre sur la physique quantique de Frank Verstraete et Céline Broeckaert (qui paraîtra bientôt en français) connaît un succès foudroyant, et personne ne comprend vraiment pourquoi.
Intitulé Waarom niemand kwantum begrijpt en iedereen er toch iets over moet weten (Pourquoi personne ne comprend le quantum, mais devrait s’y intéresser), le livre est un véritable bestseller. Vendu à 18 000 exemplaire, rien qu’en néerlandais, il en est déjà à sa onzième édition. Une version anglaise sera disponible d’ici juin, ainsi que des traductions en français, allemand, espagnol, italien, chinois et coréen. « Nous organisons de nombreuses conférences et rencontres. Je réalise des podcasts où je chante une chanson quantique. Nous envisageons également de créer un livre audio pour enfants », explique Céline Broeckaert.

Une conjugaison de talents
« Ce grand tirage montre avant tout qu’il y a un véritable intérêt du public pour ce sujet. Je suis convaincu que la physique quantique est un élément fondamental de notre culture. Et je constate que le grand public a très envie d’en savoir plus, comme pour la musique ou la littérature », déclare Frank Verstraete.
Pour le duo d’auteurs, il ne fait aucun doute que c’est la conjugaison de leurs qualités respectives qui a conduit au succès. L’expertise de Frank Verstraete en matière de physique quantique n’est plus à démontrer : lauréat du prix Francqui (le prix Nobel belge), il est professeur à Cambridge et à Gand. Dans un premier temps, il avait rédigé seul une version du livre, qui n’a jamais été publiée. Entre-temps, il a rencontré Céline Broeckaert. Ensemble, ils ont remis ça avec l’intention de ne pas utiliser de formules ou de mathématiques. Ce fut loin d’être évident, car le sujet est si complexe que pour l’auteure et actrice, beaucoup de choses demeuraient incompréhensibles. « Mais pour moi aussi», déclare le professeur.

La mécanique quantique est la science des particules subatomiques ou quanta. À cette très petite échelle, les particules ne se comportent pas comme nous le percevons. Elles deviennent des ondes, et la matière se mue en un champ. « C’est souvent très contre-intuitif : si vous vous attendez à une chose, c’est une autre qui se produit. J’ai dû abandonner cette idée et accepter de ne pas tout comprendre. Parallèlement, je continue à travailler sur un langage mieux adapté pour décrire le monde de la physique quantique. Et ce langage, ce sont les mathématiques », explique Frank Verstraete
Les applications pratiques demandent du temps
La physique quantique reste un grand mystère, alors qu’elle présente de nombreuses applications pratiques. Le GPS, les lasers, l’IRM (imagerie par résonance magnétique), le transistor… tous ces objets n’existeraient pas sans la théorie quantique. Ce sont ces applications qui suscitent l’intérêt du public. « Il a fallu plus de vingt ans pour mettre au point le transistor à partir de la théorie. Cette invention a conduit au développement exponentiel de l’informatique », déclare Frank Verstraete.
Le principe du laser a été prédit par Albert Einstein, mais là encore, son développement a pris beaucoup de temps. Frank Verstraete considère que les avancées récentes concernant l’ordinateur quantique sont du même ordre. Google a récemment annoncé une percée en construisant un ordinateur capable d’effectuer un calcul complexe infiniment plus vite qu’un superordinateur classique. Dans le même temps, le géant de l’internet a révélé qu’il faudrait un certain temps avant qu’une version commerciale de l’appareil soit mise sur le marché. « On dit toujours qu’il faudra encore 10 ans. Tout au long de ma carrière, j’ai entendu la même prédiction. Il faudra un certain temps avant de disposer d’un superordinateur opérationnel. Nous sommes donc confrontés à des défis de taille », déclare Frank Verstraete.
Notamment sur le plan technique. Les calculs quantiques sont très sensibles aux interférences des radiations. L’ordinateur doit donc être complètement protégé de tout type de rayonnement. Et même dans ce cas, il n’est pas possible de l’éviter complètement. « Des bruits surviennent toujours, provoquant des erreurs dans les calculs des qubits. En informatique classique, on résout ce problème par la redondance : le même calcul est effectué par plusieurs unités en même temps. C’est ainsi que l’on procède dans l’ordinateur quantique de Google, qui compte une centaine de qubits. Mais pour qu’un ordinateur fonctionne correctement, il faut plus de 1 000 qubits », explique Frank Verstraete.
Pas pour tout le monde
Cet ordinateur quantique ne convient que pour des calculs très complexes. Il ne trouvera jamais d’application dans nos ordinateurs portables ou nos smartphones. « Cependant,
il pourra développer plus rapidement des médicaments sophistiqués, simuler des réactions chimiques, découvrir de nouveaux matériaux, etc. », déclare Frank Verstraete.
« C’est comme si vous aviez un laboratoire universel qui vous permettrait de simuler le monde entier dans un ordinateur et de mener des expériences en tous genres », résume Céline Broeckaert.
« Il faudra encore un peu de temps avant d’avoir un superordinateur fonctionnel »
La supraconductivité est une autre application pratique de la physique quantique qui pourrait se révéler déterminante pour notre avenir et celui de la planète. Avec la supraconductivité à température ambiante, il n’y aurait plus de perte d’énergie lors du transport de l’électricité, ce qui aurait un impact considérable sur la consommation d’énergie, les batteries, etc. C’est théoriquement possible, mais extrêmement difficile à réaliser dans la pratique. Actuellement, la supraconductivité ne peut être obtenue qu’à des températures très froides. Il y a peu, un rapport semblait indiquer qu’un Coréen était parvenu à réaliser la supraconductivité à température ambiante. Dans un second temps, l’information a été démentie. « Nous pensons néanmoins que c’est possible. Dans le monde des électrons, qui fonctionnent normalement à une température de plus de 10 000 degrés Celsius, 20 °C frôle le zéro absolu », explique Frank Verstraete.