La démission surprise ce jeudi de Laurent Hublet de son poste d’administrateur de la RTBF (Les Engagés) cache-t-elle un énorme conflit d’intérêt au sommet du service public ? Un comité permanent extraordinaire doit trancher ce vendredi sur l’attribution du marché public pour le nouveau plan stratégique de la RTBF à l’horizon 2030. Des soupçons pèsent sur les liens étroits entre l’administrateur en question et l’un des candidats au marché public. Le malaise et la tension sont au niveau maximal du côté de Reyers. Une polémique qui embrase son conseil d’administration, sa hiérarchie et le monde politique. Enquête.
C’est un coup de théâtre. À quelques heures du Comité permanent exceptionnel chargé d’attribuer le marché pour l’élaboration du plan stratégique 2030, Laurent Hublet (Les Engagés) a annoncé ce jeudi matin sa démission comme administrateur de la RTBF. Officiellement pour « raisons professionnelles et familiales ». Vraiment ?
En réalité, Hublet a été poussé vers la sortie, pour de lourds soupçons de conflit d’intérêts.
En effet, si Laurent Hublet a été désigné comme administrateur de la RTBF en décembre 2024, il travaille parallèlement depuis plusieurs mois pour le cabinet Roland Berger. Or, il s’agit justement d’un des candidats pour ce marché.
Des différences énormes et suspectes dans les offres
Selon les chiffres que nous avons pu nous procurer, Roland Berger a remis l’offre la plus basse (480.000 euros HTVA) contre 700 644 euros HTVA pour Deloitte Consulting & Advisory et 883 400 euros pour Arthur D. Little Benelux. « Le pire, souligne une source proche du dossier, c’est que Roland Berger pourrait remporter le marché seulement sur le prix car sur les deux autres critères de qualité, ils sont chaque fois derniers ».
Plus grave encore : l’implication de M. Hublet, administrateur RTBF, au sein du cabinet Roland Berger contreviendrait au décret RTBF, qui interdit la double fonction d’administrateur et de consultant externe pour l’entreprise. Cette incompatibilité juridique pourrait invalider la procédure. Dans les plus hautes instances de la RTBF, on s’échange des notes très alarmistes sur l’affaire : « Même si on ne peut pas le prouver, mais le doute existe, Roland Berger a déposé une offre extrêmement basse comparée aux autres ce qui a semé directement le doute sur l’implication de M. Hublet », s’interroge un membre des instances dirigeantes. Rappelons qu’à ce stade, rien ne permet d’étayer de telles accusations.
Des tensions exacerbées au sein du conseil d’administration
La présidente du conseil d’administration, Joëlle Milquet (Les Engagés), sous le feu des critiques internes pour un pilotage jugé laborieux du CA, est interpellée sur sa gestion de cette crise. Plusieurs administrateurs pointent son « habituel décalage » dans la transmission des documents et des avis juridiques, ce qui fait peser un climat de défiance au sein du CA. « Comme à son habitude, souligne-t-on dans une note interne, Joëlle Milquet a dit qu’elle solliciterait un avis juridique pour savoir s’il fallait annuler le marché ou si on pouvait l’attribuer au second opérateur (Deloitte, ndlr) et a demandé le report du point à un Comité permanent exceptionnel », justement celui qui doit se tenir ce vendredi 26 février 2025.
La piste de Joëlle Milquet : annuler et relancer le marché
On en a appris un peu plus sur la stratégie que compte présenter Joëlle Milquet ce vendredi : la présidente voudrait relancer le marché. Une piste qui ne convainc pas grand monde au sommet de la chaîne, dans la mesure où cela ouvrirait la porte à des recours en série et donc à un report, sans doute très long, de la décision. « Une attribution au second en justifiant de la non-conformité de l’offre de Berger serait moins risquée », souligne une source interne.
Du côté de l’opposition (PS, PTB et Écolo) cette affaire est une occasion rêvée d’attaquer la majorité MR–Les Engagés, dénoncée pour ses pratiques jugées opaques, sans parler des différents conflits avec la chaîne et la non-indexation de la dotation de la RTBF. Le MR, partenaire des Engagés, observe les événements avec un certain amusement, la crise affaiblissant un allié « qui n’hésite jamais à nous faire la leçon et à se distancier de nous », souligne un élu libéral.
Pourquoi faire appel à un consultant externe ?
« Mais pourquoi donc la RTBF doit faire appel à un consultant externe et le payer très cher alors qu’elle reçoit 350 millions de dotation d’argent public chaque année », s’interroge un autre élu libéral. « Je trouve que ce n’est pas gratifiant pour les nombreux talents dont regorge la chaîne, ne me dites pas qu’il n’y pas assez de gens compétents pour faire ce travail en interne, et puis, qui connaît mieux la RTBF, ses enjeux, ses missions et ses défis que les gens qui y travaillent tous les jours ? ».
Quoi qu’il en soit, une chose semble acquise : le Comité permanent exceptionnel de ce vendredi 26 septembre ne sera donc pas qu’une validation administrative : il pourrait être le théâtre d’un spectaculaire affrontement politique au sommet de la RTBF.