Voyager dans les Maisons CAB, c’est visiter une collection de lieux qui allient architecture locale, design et œuvres d’art.
En 1997, Hubert Bonnet fondait H Group, à la croisée du private equity et de la réhabilitation de bâtiments historiques en Europe. Passionné par l’art minimal et conceptuel, qui repousse les limites de l’art européen, il crée la Fondation CAB à Bruxelles en 2012, puis un second espace à Saint-Paul de Vence en 2021.
La Fondation CAB compte donc deux vaisseaux amiraux : l’ancien entrepôt années 1930 de style Art Déco restauré par le Belge Olivier Dwek, rue Borrens à Bruxelles, et une demeure années 1950, dans le sud de la France, restaurée par le Français Charles Zana, à un jet de pierre de la Fondation Maeght, site majeur de l’art moderne, à Saint-Paul de Vence.
En 2024, Hubert Bonnet étoffe cet univers croisant art, design, architecture, histoire et voyage avec Les Maisons CAB, une « collection » de résidences modernistes restaurées. Elles prolongent cette immersion dans l’art minimal et conceptuel dans des lieux de vie en Europe et dans les Caraïbes. Et elles ont une particularité : Hubert Bonnet les a toutes habitées, fût-ce brièvement.
Ces maisons invitent le voyageur dans deux îles (la Dominique et Panarea), sur les sommets suisses (Verbier), dans quatre métropoles (Londres, Paris, Bruxelles, Genève), et sur les hauteurs du village français de Saint-Paul de Vence, qui occupe une place emblématique dans l’histoire de l’art.
« Pour moi, l’idée d’accumuler de l’art sans vivre avec ses œuvres n’a pas de sens »
En suivant les pas de leur concepteur, le voyageur filera d’abord vers la première et la plus lointaine, construite par Marc Corbiau à Las Terrenas, en République dominicaine. De prime abord, l’art n’y était pas présent. Le maître des maisons expose sa conception du collectionneur : « Le terme même me gêne. Pour moi, l’idée d’accumuler de l’art sans vivre avec ses œuvres n’a pas de sens. L’art se partage, dans des lieux. » C’est pourquoi il a voulu y exposer des œuvres devenues des objets à vivre au quotidien, au milieu d’espaces architecturés, destinés à éveiller les sens et à susciter la réflexion. « Dans la maison de Las Terrenas, une maison simple, des matériaux simples, locaux, sans ostentation, nous avons donc rapidement intégré des œuvres et des livres. » L’œil peut s’y attarder sur les Dryades du peintre français Xavier Noiret-Thomé ou s’y égarer dans un labyrinthe de lignes noires du Belge Jean-Luc Moerman (Connecting Things).
Sommet, île, paquebot
Franchissant l’océan et respectant la chronologie, le globe-trotter grimpera vers la deuxième maison, la plus en altitude, un chalet à Verbier, agrémenté d’une Composition d’Alexandre Calder, qui inscrit sa géométrie de couleurs au-dessus de la cheminée du salon.
Filant plein sud, l’amateur de lieux et d’art gagnera la troisième casa, à Panarea, l’une des Iles Éoliennes, dans le détroit de Messine. Le Français Mathias Bensimon, reçu là-bas plusieurs semaines en résidence, y a peint une fresque intitulée La Mer Intérieure, inspirée par les reflets de la lumière sur les flots. Il y est accompagné par les œuvres de Meryem Bayram (Fourfold) et un tableau de Luca Dellaverson.
Piquant au nord, vous embarquerez à bord de la villa « Paquebot » conçue à Knokke en 1936 par l’architecte bruxellois Louis-Herman de Koninck. « Cette maison classée », souligne Hubert Bonnet, « a été restaurée en accord avec les chercheurs de l’université de Gand et les services des monuments et sites historiques. » Le salon du « Paquebot » est dignement orné de deux œuvres de Marthe Wéry, figure de l’abstraction belge, et du grand minimaliste américain Donald Judd, d’une fresque de l’Américain Sol LeWitt, Double pyramides asymétriques. Le mobilier offre une conversation entre l’architecte de Koninck et son homologue le Finlandais Alvar Aalto. On s’y assoit dans son siège Paimio, sur ses chaises Stackable, on y fait la conversation dans une paire de fauteuils mod. 34/402, éclairé par ses Plafonniers et par une Applique spéciale, un ensemble élaboré avec l’antiquaire François Laffanour. Enfin, un boudoir dépouillé accueille une œuvre de l’Américaine Jenny Holzer, Inflammatory Essays et l’un de ses bâtons mythiques, intitulé A 00321040, d’André Cadere, le maître roumain du minimalisme ritualisé.
Capitales
Après les mers et les sommets, l’explorateur aura envie de capitales. À Paris, dans un appartement illuminé par une verrière sous plafond de cinq mètres, il accrochera son imperméable à un porte-manteau mural de Pierre Jeanneret et, le temps de noter quelques impressions, se posera sur une chaise avec bureau de Jean Prouvé. Il pourra ensuite méditer confortablement dans le Shorty Sofa de Vladimir Kagan devant une œuvre conceptuelle, 17 juil, 1984, du Français Michel Parmentier (qui forma le groupe B.M.P.T. avec un autre Français, Daniel Buren, et les Suisses Olivier Mosset et Niele Toroni). Et, l’esprit reposé, il se plongera enfin dans un tableau historique de Joseph Kosuth, Language et une Grille de Nicolas Chardon.
Dans la capitale suivante, Londres, un mews s’enorgueillit d’un petit Autoportrait rouge de Louise Bourgeois et d’une toile intense de Joan Miró. Enfin, à Genève, il sera accueilli par les sièges de Charlotte Perriand, l’assistante trop longtemps méconnue du Corbusier (10 chaises, Edition Steph Simon). L’architecte-designer franco-iranienne India Mahdavi a conçu tout le salon (notamment avec 8 chaises Best Friend) et, dans une chambre, une Full moon du Franco-suisse Hugo Schuwer-Boss trône au-dessus du lit.
Maisons minimales, émotions maximales
Au total, ce sont une quarantaine d’œuvres de la collection de la Fondation CAB, tableaux, dessins, mobiliers, installations, qui ornent ces résidences qui invitent à toucher du doigt l’art minimal et conceptuel.
Chacune recèle des livres de design historiques et des œuvres dont l’accrochage change tous les deux ans. Eléonore de Sadeleer en est l’orchestratrice et Ngo Quoc Tuan le maître d’hôtel.
Des artistes y sont accueillis en résidence (une cinquantaine à ce jour) : deux à Saint-Paul de Vence les mois d’hiver, six autres à Bruxelles (notamment l’an dernier le Belge Thomas Tavernier, diplômé de La Cambre, lauréat du prix Fondation CAB 2023), et quelques-uns dans les Maisons CAB, selon le principe d’un échange artistique ou intellectuelle.
Ces maisons minimales qui abritent des émotions maximales sont souvent le fruit du hasard.
Hubert Bonnet raconte : « En 2023, en janvier, en Suisse, où je vis, je reçois un message de l’artiste, Mathias Bensimon, à Stromboli. Nous évoquons la lumière d’hiver. Je lui parle de la casa de Panarea. Deux semaines après, il s’y est installé un mois. En échange, il a créé une œuvre in situ, sa fresque murale. Aujourd’hui, nous envisageons une autre fresque avec l’artiste belge Pieter Vermeersch, dans la maison de Las Terrenas. »
Autre hasard : en 2016, le galeriste parisien Edward Mitterrand ouvre son parc de sculpture dans le Domaine du Muy, avec une œuvre de Claudia Comte, un mur intitulé 128 Squares and Their Demonstration. « Je n’avais pas les moyens d’acheter une pièce pareille. Puis Claudia Comte vient au CAB-Bruxelles réaliser une œuvre d’art mural pour l’une de nos expositions. En 2025, je suis “Founding Member” du Verbier Art Summit, j’organise un dîner où elle est conviée : nous sommes convenus qu’elle crée un mur de
6 m par 3 m, au CAB de Saint-Paul de Vence, ou pour un prochain lieu. »
Une maison à Essaouira, au Maroc est l’un de ces projets en gestation. La Fondation CAB a aussi conclu un accord avec la commune d’Epfig en Alsace pour récupérer une maison Jean Prouvé de 110 m2 actuellement démontée et en restauration. « Nous cherchons un lieu où l’installer ». Ce sera la seconde maison Prouvé restaurée et installée par la Fondation : à Saint-Paul de Vence, la première, commandée en 1944 par le ministère de la Reconstruction pour les réfugiés de Lorraine, a déjà été installée sur les bassins du parc, qui sont aux mêmes dimensions (6m x 6 m).
Quant aux sponsors, ils soutiennent l’entreprise dans le cadre d’un partenariat général à long terme — on citera l’horloger suisse De Bethune, les banques Pictet et BNP Paribas Fortis, l’assureur Eeckman, le brasseur Duvel et d’autres —, avec un accès privilégié aux deux lieux d’exposition de la Fondation.
