Forbes.be – Thomas, comment vous est venue l’idée de se lancer dans l’économie de l’influence?
Thomas Angerer – Avec mes camarades co-fondateurs de BeInfluence Europe, eux aussi issus de Solvay (dont Boris, toujours à bord), on s’est très rapidement rendu compte qu’aucun de nous trois ne sachant coder, ça allait être très compliqué de lancer une app ou une plateforme et de monter une start up « classique ». On s’est donc demandé ce qu’on pouvait faire d’autre. Or on était sur les réseaux sociaux et on se rendait déjà compte, en 2017, que les pubs traditionnelles ne nous touchaient quasiment plus. Les quelques influenceurs qu’il y avait à l’époque, c’étaient des immenses personnalités comme Kim Kardashian, Cristiano Ronaldo ou George Clooney. Se posait évidemment la question de savoir s’ils mettaient en avant un produit ou un service parce qu’ils l’aimaient pour de vrai ou parce qu’il y avait un immense chèque à sept chiffres derrière. Pour nous, ce n’étaient que des panneaux publicitaires.
On a alors décidé de poser ces hypothèses et d’y ajouter qu’à l’époque déjà, tout le monde est sur les réseaux sociaux. Or les personnes à qui on fait le plus confiance sont celles qu’on connaît dans la vraie vie, que ce soient nos amis, notre famille, nos collègues ou nos camarades étudiants. Qu’est-ce qui se passerait si on faisait la même chose à la place de ces méga-célébrités? Tout cela a été rassemblé dans une présentation qu’on a envoyée au top 50 des annonceurs belges… et on a eu le taux de réponse exceptionnel de zéro sur 50! Mais on a tout de même envoyé un 51e mail à Médecins sans frontières car on avait l’intuition qu’il n’y a pas que les marques qui doivent partager mais aussi les ONG. Ils nous ont recontactés et ont été convaincus de nous octroyer 3.000 euros pour une campagne traditionnelle en télé, radio et affiches pour laquelle nous devions faire appel à des « petits créateurs ». On a demandé à nos potes et aux potes de nos potes de poster une publication sur Facebook, en échange de laquelle ils recevaient 5 euros. On a fait la campagne, avec toutes les péripéties qu’il peut y avoir autour d’une première campagne gérée par trois étudiants qui ne connaissent absolument rien à la pub, et encore moins de l’influence. MSF nous a dit que pour le budget qu’ils nous avaient donné, ils n’avaient jamais vu des résultats comme ça. C’est cette expérience qui a permis de transformer en fait nos hypothèses en quelque chose qui fonctionne et pour lequel on peut être payés.
– À quel moment vous lancez-vous véritablement dans l’influence?
– Dès 2018, on enchaîne avec une campagne pour la Commission européenne, qui voulait toucher les jeunes Européens mais devait l’exécuter dans six pays différents., Ils nous demandent si nous en sommes capables, alors qu’on n’en avait fait qu’une seule jusqu’à présent, menée par trois étudiants à l’ULB, et nous on répond: « Évidemment! Et en plus on s’appelle BeInfluence Europe ». On a dû trouver des connaissances dans chaque pays, qui s’occupaient de faire la campagne, et ça a cartonné! Et après, avec les troisième, quatrième, cinquième campagnes, on a vraiment commencé à sortir de notre cercle proche d’amis et d’aller vers les micro-créateurs, qui ont entre 5.000 et 20 à 30.000 abonnés. On est alors véritablement entrés dans l’influence.
– Comment ça fonctionne cette économie de l’influence?
– Nous travaillons comme agence conseil en influence. Un client va venir nous voir avec un objectif de campagne, que ce soit de la visibilité, de la considération, des conversions, de la production de contenu, des feedbacks consommateurs, etc. Et nous, sur base de cet objectif, de l’histoire de la marque, de sa plateforme de marque, de son ADN, de ses valeurs, de son public-cible, on va réfléchir à la meilleure campagne possible pour atteindre ces objectifs en termes de stratégie, de grandes tendances socioculturelles, de plateforme qu’on va utiliser, de créateurs de contenus qu’on va utiliser pour accompagner la campagne ou encore en regardant ce que font les concurrents. Sur base de tout cela, on va ensuite sélectionner les créateurs et créatifs de produits les plus pertinents pour cette campagne. Et il faut savoir qu’on traite aujourd’hui toute la pyramide de l’influence. Cela signifie qu’on peut toujours activer quelqu’un qui a 1.500 abonnés sur Instagram si c’est pertinent pour la campagne, comme on peut aller activer des créateurs qui ont 40 ou 50 millions d’abonnés sur Tiktok ou sur YouTube. Au début, en 2017-2018, on ne connaissait personne et personne ne nous connaissait, donc on ne pouvait pas aller chercher de très gros créateurs. Notre histoire nous a forcés à commencer par des nano-créateurs, qui ont entre 500 et 2.000 abonnés sur les réseaux. Puis, petit à petit, on est allé démarcher d’autres acteurs un peu plus gros, avec 5.000, 10. 000, 15 .000 ou 20.000 abonnés pour participer à nos campagnes. On n’a jamais choisi des créateurs au hasard et c’est fondamental: chaque sélection de chaque créateur sur chacune de nos campagnes a été réfléchie en fonction de ces facteurs afin qu’elles apportent les meilleurs résultats possibles pour le client.
– Avec le temps, BeInfluence Europe s’est aussi muée en agence qui représente les créateurs…
– On a effectivement des créateurs qui sont venus nous voir non seulement pour qu’on les mette sur certaines de nos campagnes, mais aussi pour qu’on les accompagne de manière exclusive sur l’ensemble de leur carrière. C’est une activité qui représente désormais environ 20% de notre chiffre d’affaires; Le métier d’agent de créateurs s’est fortement développé ces dernières années. Il est là pour négocier des contrats à leur place, leur trouver des campagnes qui peuvent être intéressantes pour elles, les accompagner au quotidien, jouer aussi le rôle de conseiller, de confidents, etc. Être créateurs de contenu, c’est un vrai métier, qui est en outre très prenant et intense psychologiquement, parce que tu es constamment face au regard des autres. Ça peut être 1.000 de tes collègues ou de tes potes mais, pour certains comme
Shauna Dewit qu’on accompagne, ce sont 5 millions d’abonnés qui regardent son contenu, likent, lui envoient des messages privés, laissent des commentaires gentiment méchants… Il y a donc un vrai métier d’accompagnement de ces créateurs. Et c’est ce que nous faisons aujourd’hui avec 32 créateurs et créatrices de contenus que nous représentons en exclusivité, qu’on accompagne sur l’ensemble de leur carrière sur l’influence, qu’ils deviennent chroniqueurs ou présentateurs, ou s’ils veulent faire un film, enregistrer un album ou écrire un livre. On est là pour eux.
– Et du côté des clients, ça donne quoi ?
– Nous accompagnons aujourd’hui une centaine de clients au sein d’un portefeuille extrêmement varié. L’influence est un canal marketing qui peut marcher pour n’importe quelle exposition. On travaille en France ou dans le Benelux avec Amazon, Carrefour, Peugeot, Decathlon Belgique, BNP Paribas, Givenchy, De’Longhi ou le groupe SEB. Nous sommes également l’agence de pas mal d’institutions comme la Commission européenne, le gouvernement fédéral belge, le gouvernement français, le Parlement européen, l’Apaq-W. Et puis on accompagne également toujours des associations et ONG, que ce soit la Croix-Rouge, l’Unicef, le WWF et autres. Pour cette centaine de clients, on designe et on exécute des campagnes dans plus de 35 pays et sur toutes les plateformes sociales: Instagram, Tiktok, YouTube, Pinterest, Twitch, Tweeter, LinkedIn. Côté créateurs, on a ces 32 talents que nous représentons, et, au total, on a déjà activé plus de 20.000 créateurs et créatrices de contenus, avec des campagnes qui couvrent toute la pyramide de l’influence, de 1.000 à 50 millions d’abonnés.
– Venons-en à cette distinction de Forbes 30 under 30… Comment l’avez-vous vécue?
– Je dois être honnête: cela m’a beaucoup plus apporté à moi personnellement qu’à BeInfluence Europe. Pour moi, ça a été un honneur immense parce que c’est un prix qui a un historique, qui est connu et reconnu. Cela m’a fait extrêmement plaisir. Etant quelqu’un qui est souvent la tête dans le guidon et qui est assez dur avec lui-même, ce genre de reconnaissance me permet de prendre un peu de recul. J’insiste également pour associer mon ami Boris, le co-fondateur de notre entreprise, car il avait déjà plus de 30 ans au moment où la distinction nous a été accordée. Nous avons, certes, eu des clients qui nous ont félicité pour ce prix mais nous n’en avons pas eu qui sont venus nous voir après ce prix pour nous dire qu’il fallait qu’ils travaillent avec nous pour cette raison. Cela, on l’a beaucoup plus avec les prix qu’on gagne en tant qu’agence, que ce soient des prix de croissance ou des prix créatifs. C’est ça qui permet de nous différencier par rapport à toutes les autres qui sont sur le marché.
– Quels messages donneriez-vous à de (futurs) jeunes entrepreneurs ?
– Tout d’abord, il faut vraiment voir votre jeunesse comme un atout. Le fait d’être jeune nous a énormément aidés dans nos affaires, avec une connaissance et une présence sur les réseaux sociaux. Alors que ça aurait pu nous desservir, nous l’avons utilisé de la bonne manière. Et ce dont on se rend compte, c’est que tout le monde est prêt à aider des jeunes qui veulent se lancer ou qui se lancent, que ce soit pour un conseil, une introduction, pour passer 1h avec eux et leur dire des vérités. Il ne faut jamais cacher son âge et ne pas se freiner parce qu’on est jeunes.
Le deuxième conseil que je donne systématiquement, c’est dormir moins. C’est dur de lancer une boite, ça va vous demander tout votre temps. Ce mythe de l’équilibre vie pro-vie perso n’existe pas en entrepreneuriat. Quand vous devenez entrepreneur, vous faites un choix conscient d’être déséquilibré pendant potentiellement plusieurs années, et beaucoup plus vers le pro que vers le perso. Et, quelque part, vous n’avez pas le choix parce que la concurrence est là et est de plus en plus rude pour aller lever de l’argent. Et donc tant pis pour les soirées, les vacances, les week-ends, les potes, et même les partenaires, à l’extrême. Si vous n’êtes pas prêt à faire ça et à faire des sacrifices, ne devenez pas entrepreneur. Et il n’y a pas de honte à ça. Les jeunes d’aujourd’hui et leur discours par rapport au bien-être au travail, à l’équilibre vie privée-vie professionnelle ont raison. C’est super important et je ne veux pas le remettre en question. Mais, en tant qu’entrepreneur, tu ne peux pas prendre ce discours pour toi. Tu le prends pour ton équipe, pour tes partenaires, pour tes stagiaires, etc. Mais toi, tu dois faire du 7h-23h, sept jours sur sept, 364 jours par an.
Et puis, le troisième message que je transmets, c’est de toujours garder un jour dans la semaine où vous allez faire ou accomplir des choses qui vous plaisent. Vous allez évidemment faire beaucoup de trucs qui vous ennuient, et vous n’avez pas le choix au début. Ça va être tellement dur et vous allez avoir envie d’arrêter. Tous les trois mois, nous on a eu envie d’arrêter pendant les quatre premières années de l’aventure. Mais c’est ce phare dans la nuit pour chaque semaine qui nous a fait tenir.