En Belgique, on connaît bien les personal shoppers, les private bankers ou les assistants de direction ultra-efficaces. On connaît moins la figure du « personal angel ». Et pourtant, c’est précisément ce que Fabrizio Lo Gioco a décidé d’importe avec sa conciergerie haut de gamme The Black Fox. Une structure stratégique et ultra-confidentielle pour dirigeants débordés, personnalités en quête d’anonymat ou expatriés désorientés. Loin du tape-à-l’œil et des logiques de volume, The Black Fox s’inspire d’un modèle déjà démocratisé outre-Atlantique, mais encore balbutiant chez nous.
Un modèle made in US
Dans la bouche de Fabrizio Lo Gioco, on ne parle pas de « clients » , mais de « familles ». Et si l’on évoque des fiches individuelles détaillées, ce n’est pas pour faire du marketing automation. C’est pour éviter de réserver un dîner dans un restaurant où l’un des invités serait allergique aux fruits de mer. Car ici, tout repose sur l’ultra-connaissance des habitudes, des préférences et même des oublis récurrents. « Je me suis inspiré de Singapore Airlines. Ils connaissent leurs passagers sur le bout des doigts. J’ai appliqué ça à la vie de tous les jours », confie le fondateur.
Le principe est simple, et l’exécution millimétrée : organiser tout ce qui est « non productif » dans la vie des dirigeants. Réserver une table, planifier un week-end, gérer une arrivée à l’aéroport avec chauffeur, match de foot ou opéra, et même souffler que « c’est bientôt l’anniversaire de votre fils, vous voulez qu’on s’en charge ? ». L’exemple peut prêter à sourire, mais il illustre bien cette volonté de passer d’un service réactif à une approche proactive, voire intuitive. Le tout avec une obsession de la confidentialité : aucun nom de client, aucun partenaire cité, et une communication ultra-codée.

Abonnement mensuel ou à la carte
Fondée il y a 18 mois, The Black Fox revendique une croissance maîtrisée. Fabrizio Lo Gioco assume ne pas vouloir dépasser les 60 clients. « On travaille avec un personal angel par groupe de six à huit personnes. Au-delà, on perdrait en qualité et en connaissance. » Ici, pas question de scaler à la Silicon Valley. Le modèle économique repose sur une entrée par missions ponctuelles (testées par 90% des clients actuels) puis sur une bascule vers l’abonnement mensuel. Comptez environ 1 000 euros par mois pour un abonnement standard, même si les formules varient selon l’intensité et l’urgence des demandes.
Et la rentabilité ? Elle s’appuie sur un principe clair : The Black Fox facture son temps de coordination (au taux horaire), mais pas de commission sur les biens ou services fournis. « Si un client me demande une Rolex introuvable, il paiera la montre au prix réel, plus notre travail de sourcing. Pas de marge sur le produit lui-même. »
Un marché en gestation
Le secteur reste encore peu développé en Belgique. Côté concurrents, quelques noms circulent (Aknok, BeEmpire) mais les véritables challengers sont ailleurs : les banques haut de gamme, avec leurs services liés aux cartes black et autres packages premium. Sauf qu’eux visent le volume, là où The Black Fox joue la rareté, la réactivité et l’hyperpersonnalisation. Préparer une résidence secondaire avant l’arrivée d’un client, promener un chien, réserver une table dans un établissement inconnu du grand public… Rien n’est trop trivial. Mais tout doit être exécuté avec une exigence extrême.
Fabrizio Lo Gioco reste persuadé que le marché belge est prêt à se transformer. « On est cinq à dix ans en retard sur les États-Unis. Là-bas, 30 à 35% des familles (pas seulement les dirigeants) ont déjà recours à une conciergerie. En Belgique, on est à 2 à 3% seulement. On commence seulement à comprendre que déléguer n’est pas un aveu d’échec. » Le fondateur identifie d’ailleurs une fracture générationnelle : les jeunes entrepreneurs délégueraient plus facilement, là où les dirigeants plus âgé(es) ont tendance à vouloir tout faire eux-mêmes.

Le temps c’est de l’argent
Au-delà de la promesse de gain de temps, The Black Fox vend une vraie valeur stratégique. À un CEO qui estime son temps à 200 euros de l’heure, le calcul est vite fait. Dix heures mensuelles consacrées à des tâches sans valeur ajoutée, c’est 2 000 euros de perdu. Un abonnement à 700 euros, c’est donc un retour sur investissement immédiat (avec en prime, dix heures récupérées sur un agenda surchargé). Sans compter la baisse de charge mentale. « On travaille aussi pour leur santé mentale, même si ce n’est pas monétisable. »
De plus en plus, la conciergerie pourrait devenir un avantage RH comme un autre : à côté de la voiture de fonction et de l’assurance santé, la promesse d’une vie logistique allégée pour les cadres clés. Une idée encore marginale chez nous, mais qui pourrait faire son chemin, à mesure que la guerre des talents et l’hybridation des vies privée/pro deviennent la norme.
Un service encore (trop) genré
À noter, un détail pas si anodin : les clients sont, pour l’immense majorité, des hommes. « Les femmes dirigeantes sont en général bien plus organisées », affirme Fabrizio sans détour. « Elles ont moins tendance à déléguer le personnel. Et nous sollicitent plutôt pour du networking ou des événements professionnels ». Un révélateur de la charge mentale toujours inégalement répartie.

Une vision claire et assumée
Malgré l’engouement et l’explosion des demandes, pas question pour Fabrizio Lo Gioco de céder à la tentation du développement à grande échelle. « Je veux que The Black Fox reste un privilège, pas un service standardisé. Comme une Rolex. » Un positionnement élitiste, certes, mais qui semble parler à une clientèle en quête de discrétion, d’efficacité et de liberté.
La demande la plus folle ? Il en sourit. « Pour moi, il n’y en a pas une plus dingue que les autres. Chaque requête a son contexte, son histoire. » Reste qu’à l’évocation de certaines missions (un hélicoptère dégainé en urgence pour compenser un retard de train, une boutique de luxe privatisée à l’aube avec bulles et personal shopper, ou encore un anniversaire orchestré en cortège de Lamborghini et d’Aston Martin) les réactions ne trompent pas. C’est là, dans cette logistique millimétrée, que se joue le vrai luxe : invisible, mais implacablement orchestré.