Du 22 mai au 22 juin, Dinner in the Sky installera ses plateformes gastronomiques suspendues au Domaine de la Bataille de Waterloo. Présent dans 75 pays, salué par les plus grands chefs, ce qui était à l’origine un audacieux coup de com’ est devenu l’un des événements gastronomiques les plus exclusifs au monde — et l’une des innovations belges les plus marquantes dans ce secteur. Rencontre avec son fondateur, David Ghysels.
Forbes.be – Dinner in the Sky, c’est du belge ?
David Ghysels – Absolument, et c’est même un véritable atout à l’international. Le label « Made in Belgium » jouit d’une image forte, nourrie par notre artisanat et nos produits phares — bière, chocolat, gaufres. Cette réputation de qualité attire. Nos partenaires à l’étranger s’en servent pour positionner le concept sur leur marché. On sous-estime l’attractivité de notre pays.

– Comment est venue l’idée de faire dîner les gens à 50 mètres du sol ?
– Certains aiment dire que c’est parce que je suis le fils d’un artiste (rires). En réalité, j’ai toujours été passionné par la gastronomie. Il y a 25 ans, j’ai fondé Hakuna Matata, une agence de communication spécialisée dans le domaine. L’un de nos clients, les Jeunes Restaurateurs d’Europe, souhaitait marquer les esprits avec une conférence de presse originale, pour incarner leur approche décomplexée de la cuisine. L’idée du repas suspendu est née ainsi. Mais entre l’idée et sa concrétisation, il y a un monde. Tout a été rendu possible par ma rencontre avec Stefan Kerkhofs, fondateur de Fungroup, spécialisé dans les événements impliquant des grues. Ensemble, nous avons donné vie au projet. Presque par accident. Mais après tout, la créativité n’est qu’accident. Le 24 avril 2006, à Bruxelles, près du restaurant Le Messe, nous avons organisé notre premier événement. Mise en scène millimétrée : chefs en toque, assiettes dressées comme dans un palace. Reuters a diffusé des photos dans son réseau mondial. C’était avant les réseaux sociaux, avant les smartphones. Et pourtant, les images ont fait le tour du globe. Forbes US, qui préparait alors un dossier sur les restaurants les plus insolites. En voyant les photos, il nous ont inclu dans leur sélection au côté d’établissements comme elBulli du chef Ferran Adria (l’un des pères de la cuisine moléculaire) ou de concept comme Dinner in the Dark. Une fois l’article publié, le téléphone n’a plus arrêté de sonner.

– Au départ, il s’agissait d’une conférence de presse, pas d’un restaurant…
– Exactement. C’est pourquoi j’avais insisté pour que les chefs soient en tenue, toque comprise. Et puisque l’on posait une table, il fallait qu’elle soit dressée. C’est cette mise en scène qui a fait toute la différence. Nous voulions servir les intérêts de notre client. Rien de plus. Pendant deux ans, nous avons réutilisé la table à l’occasion, mais cela restait une activité périphérique pour moi.

– Comment passe-t-on du happening réussi au business florissant ?
– Il y a eu des coups de chance, mais surtout beaucoup de travail. L’article de Forbes a été déterminant. Puis, SpringWise.com nous a classé parmi les idées business les plus créatives de 2006. Une agence nous sollicite alors pour un événement à Amiens, avec le chef Alain Passard. Le Prince Albert de Monaco nous demande ensuite d’organiser un dîner pour les cinq ans de son accession au trône avec Joël Robuchon. Deux ans après le premier test, j’ai pris du recul. En discutant avec mes proches, j’ai compris que nous avions un modèle réplicable. J’ai fait réaliser une carte de vœux avec nos plus belles images, que j’ai envoyée à tout notre réseau. Elle a circulé bien au-delà. Peu après, un entrepreneur allemand nous a proposé d’acheter la plateforme. Je n’avais jamais envisagé de vendre le concept. Ce fut la première d’une longue série. Fin 2009, nous avions vendu douze plateformes. C’est là que tout a vraiment commencé.

– Quel est votre modèle économique ?
– Notre activité principale, c’est la location de plateformes. Conçues et fabriquées en Belgique, elles sont ensuite opérées par nos partenaires à l’étranger, formés par nos soins. Chaque marché est spécifique, surtout en matière de gastronomie, donc nous préférons nous appuyer sur des acteurs locaux. Nous n’accordons qu’une seule licence par pays pour éviter toute concurrence interne qui nuirait à la qualité. En revanche, nous gérons nous-mêmes les événements en France et au Benelux. Ils sont peu rentables en eux-mêmes, mais constituent une vitrine essentielle pour vendre nos licences à l’international. Nous avons également une cellule R&D. Pendant la crise du Covid, nous avons développé une plateforme avec 8 tables de 4 personnes, plus adaptée aux restrictions sanitaires. Ce qui était une réaction à la crise s’est finalement révélé une opportunité de convaincre des entreprises qui peuvent, avec cette nouvelle configuration, profiter de l’expérience tout en ayant un contact privilégié et plus privé avec leur clients. Les clients corporate représentent d’ailleurs désormais 40% de notre clientèle. Dix-neuf ans après, Aujourd’hui, nous comptons 85 plateformes dans 75 pays. Un nouveau marché s’ouvre tous les trois mois : Tokyo en février, Macao ce mois-ci, puis le Portugal et la Jamaïque cette année. Nous visons six nouvelles ouvertures en 2025.

– Après, pour que ça marche, il faut convaincre les chefs. Est-ce qu’ils ont été attentifs à la proposition ?
– Je n’ai, en fait, pas fait immédiatement le lien entre ce concept et les chefs étoilés. À Amiens, alors que je m’excusais auprès d’Alain Passard pour les conditions dans lesquelles on l’obligeait à travailler, avec le peu de moyens pour cuisiner mis à sa disposition, il m’a au contraire remercié et fait part de son enthousiasme à l’idée de cuisiner avec presque rien : “c’est la cuisine comme elle devrait être, en prise directe avec le client, sans artifice !” m’avait-il dit. Un constat confirmé par Joël Robuchon. Ensuite, grâce aux premières têtes d’affiche de renommée mondiale que nous avons eu la chance d’avoir, Dinner in the Sky est devenu un objet de désir pour d’autres chefs qui ont voulu s’inscrire dans le sillage de grands qui avaient inauguré la formule. Ceux que nous avons contactés par la suite étaient très heureux d’entrer dans le club, le cercle privé, des chefs de Dinner in the Sky. Après Passard et Robuchon, vous attirez qui vous voulez. Les portes du paradis étaient ouvertes.

– Et le public, n’a-t-il pas fallu les rassurer aussi ?
– Je pense qu’une partie du succès de Dinner in the Sky repose sur la part enfantine qui reste en chacun de nous. Les lieux insolites, les cabanes dans les arbres, rêver du ciel, la tête dans les nuages… c’est ça que convoque comme émotions Dinner in the Sky. Ensuite, des bonnes idées, il y en a plein les tiroirs partout, mais ça ne suffit pas à avoir du succès. Il faut aussi être là au bon endroit au bon moment. C’était notre cas. Nous étions au tout début de la médiatisation des grands chefs, à l’époque où ceux-ci commençaient à sortir de leur cuisine pour apparaître en pleine lumière. D’un coup, on commençait à les voir à la télévision à travers des émissions comme Top Chef ou Master Chef, on les voyait lors de grands événements publics, sur des plateaux de télés et de radios, ils commençaient à dédicacer leurs livres comme des vedettes. Nous étions au début des réseaux sociaux et des smartphones qui ont été d’excellentes caisses de résonance pour nous. Les gens ont commencé à avoir soif de partager, de montrer, des expériences hors du commun et très visuelles auxquelles ils participaient. À ce titre, Dinner in the Sky est parfait. Les gens connaissent désormais notre plateforme, mais à l’époque, c’était unique au monde ! Et d’une certaine façon, c’est un sentiment préservé car, en n’organisant qu’un seul grand événement par an, nous orchestrons la rareté et maintenons l’exclusivité de cette manifestation.

– Dinner in the Sky a commencé avec un engagement auprès des jeunes chefs, des jeunes cuisiniers. Qu’est-ce qu’il en est encore maintenant de cet engagement auprès d’eux ?
– Promouvoir les grands chefs de demain, ce n’était pas l’ambition de départ de Dinner in the Sky. Ça l’était implicitement parce que tout a démarré avec les Jeunes Restaurateurs d’Europe, mais, ensuite, ça n’a plus été un objectif affiché. Cependant, malgré tout, il y a toujours eu une forte présence de jeunes chefs à nos événements. Notamment parce que notre public nous demande de leur faire découvrir de nouveaux chefs. Chaque année, on a pas mal de jeunes qui intègrent leurs équipes. Cette année, par exemple, le line-up rassemble 32 chefs qui cuisineront sur notre plateforme, en face du Lion de Waterloo, entre le 22 mai et le 22 juin. Parmi ces 32 chefs, presque la moitié sont de jeunes chefs et qui n’ont, d’ailleurs, pour certains, déjà plus grand chose à prouver : Martin Volkaerts (L’Amandier), Alexandre Ciriello (L’Horizon), Julien Hauspie (Max&Moi)… D’autres sont encore très jeunes et pourtant déjà étoilés : Marie Trignon (La Roseraie*), Mallory Gabsi (Mallory Gabsi*), Kevin Lejeune (qui vient d’ouvrir Chaga, mais qui était étoilé dans son précédent restaurant La Canne en Ville*)… le talent n’attend pas ! On a vraiment cette volonté de mettre des jeunes en avant, hommes et femmes. D’ailleurs, on a déjà cité Marie Trignon mais comment ne pas mentionner aussi Isabelle Arpin (Château de Leignon, (précédemment étoilée chez Alexandre*, puis au WY*) Mélanie Englebin (Cécila) ou encore Manon Schenck (La Table de Manon*) et Stéphanie Thunus (Au Gré du Vent*), toutes les deux étoilées. Et à côté des jeunes, il y a évidemment une impressionnante série de chefs confirmés et réputés à l’international : Yves Mattagne (La Villa Lorraine*), Filip Claeys (De Jonkman**), Ralf Berendsen (La Butte au Bois**), Christophe Hardiquest (Menssa*), Alexandre Dionisio (La Villa in the Sky*), Cyril Molard et Theo Kopp (Ma Langue Sourit**) et j’en passe et des meilleurs ! Tous les chefs sont traités à égalité, quel que soit leur palmarès : le prix reste le même pour tous les convives. C’est aussi une façon de promouvoir les jeunes talents.

– Quels sont les prochains défis de Dinner in the Sky ?
– Vu tout ce qui se passe sur terre et le peu dans le ciel, l’avenir est au-dessus de nos têtes ! (rires) Plus sérieusement, nous fêterons nos 20 ans l’an prochain. Pour les 10 ans, nous avions réuni 10 tables et 10 chefs autour de l’Atomium. Les 20 ans seront différents, mais tout aussi marquants. Côté business, nous cherchons un partenaire pour le marché américain. Et notre R&D continue de repenser les méthodes de levage et l’expérience globale.