Deux ans après son exposition Studiolo au musée MIMA à Molenbeek, l’artiste français Jean Jullien revient à Bruxelles partager son expérience nipponne. Intitulée Retour à Tokugawa village, l’exposition retrace son année à Tokyo.
L’œuvre exposée évoque le retour, symbole de confort et de lien familial, tout en suscitant des souvenirs variés, de Yokokawa à Shibuya et Naoshima en passant par la côte bretonne où le peintre a passé l’été. Colorées et dynamiques, les peintures évoquent les souvenirs de l’artistes, mais invitent aussi le spectateur à plonger dans les siens.
Né en 1983, Jean Jullien est originaire de Nantes. Après des études en design graphique à Quimper, il s’est formé à Londres, à Central Saint Martins (2008) puis au Royal College of Art (2010). Il incarne un créateur moderne, à la fois rapide et décontracté. Multifacette, il pratique la peinture, la photographie, la vidéo, la réalisation de costumes, l’installation artistique, ainsi que la publication de livres, affiches et vêtements. Sur son site, il affiche une liste impressionnante de clients prestigieux et de projets d’envergure. Entretien.
Forbes.be – Jean Jullien, vous avez passé près d’une année au Japon. Quelle est l’influence de ce pays sur votre œuvre ?
Jean Jullien – J’ai toujours été immergé dans la culture pop japonaise. Comme beaucoup d’enfants des années 80 en France, j’ai grandi avec les mangas et les dessins animés. Ils ont nourri mon imaginaire. Depuis quelques années, je travaille avec la galerie Nanzuka à Tokyo. J’avais deux gros projets avec eux : une installation pour le pavillon français lors de l’Expo universelle d’Osaka, et une exposition solo dans un nouveau musée à Shanghai. Plutôt que de multiplier les allers-retours, j’ai proposé à mon épouse d’y aller en famille. Elle a accepté, et l’expérience nous a tellement plu que nous restons jusqu’à la fin de l’année.
– Quel est ce lieu, Tokugawa Village, où vous êtes installé ?
– C’est un petit village au cœur de Tokyo. Dans mes peintures, j’ai essayé de capturer cette année en voyage, avec ces images d’un lieu voué à disparaître. Tokugawa Village a été construit par Madame Tokugawa, descendante du shogun (NDLR : chef militaire suprême au Japon féodal). Sur un petit lopin de terre du quartier de Mejiro, elle a créé un ensemble de maisons dans un style des années 50-60, un peu moderniste, avec une palette de couleurs bois, blanc et rouge bordeaux. Une vingtaine de familles francophones habitent le quartier où l’absence de voitures offre aux enfants un espace de jeu en toute liberté. J’ai souhaité capturer l’éphémère de cette communauté, symbolisée par des familles qui s’en vont et des maisons qui disparaissent, annonçant la fin d’une manière de vivre.
– Comment se déroule votre processus créatif ?
– Depuis une vingtaine d’années, j’ai un carnet de croquis où je capture des moments spontanés, et je prends aussi énormément de photos. J’aime aussi peindre en plein air, notamment en Bretagne, où j’intègre parfois du sable dans mes toiles pour leur apporter une texture particulière.
– Comment avez-vous intégré la culture nipponne? Avez-vous appris le japonais ?– Je le parle un peu, mais ce qui est vraiment rafraîchissant, c’est de ne pas avoir à maîtriser parfaitement la langue. C’était aussi l’objectif: dans nos relations humaines, il n’est pas toujours nécessaire d’être précis ou d’aller dans le détail pour partager de bons moments. C’est une approche différente du relationnel et c’est aussi une belle façon de se remettre en question. À 42 ans, il est sain d’oser prendre des risques, de challenger ses acquis, et d’accepter de ne pas tout savoir, ce qui permet aussi d’éprouver de l’humilité.

– En quoi cette expérience a-t-elle changé votre regard?
– Elle nous a permis de nous recentrer sur notre famille. Elle nous a rapprochés, et enseigne aux enfants à être eux-mêmes, à accepter leurs différences. Par exemple, il est important pour eux d’apprendre que la différence ne concerne pas seulement l’autre, mais parfois soi-même, ce qui leur inculque aussi le respect de l’autre.

– Comment choisissez-vous vos projets ?
– Je privilégie les projets qui nécessitent ma présence physique et où je peux véritablement apporter quelque chose. Sur place, je peux créer quelque chose d’unique, que seul moi peux réaliser à ce moment-là. Chez Alice, par exemple, je peux dessiner directement sur le mur, raconter des histoires, ajouter du contexte, des mots ou des anecdotes autour des œuvres, ce qui crée une expérience plus intime, un partage authentique avec le public. Je puise aussi dans mes carnets de croquis pour annoter et enrichir mes œuvres. Le but est de raconter une histoire claire, que les gens comprennent bien. Ils peuvent apprécier une toile indépendamment du contexte, mais je pense qu’il est plus enrichissant de faire le lien entre le texte et l’image, surtout dans une série cohérente.
Retour à Tokugawa village
Alice Gallery, 2 rue Isidore Verheyden, 1050 Bruxelles
Du 7 novembre au 13 décembre 2025
