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Le revers des médailles

Depuis 1994, Vinopres, une entreprise familiale belge, organise le Concours Mondial de Bruxelles. Dans la vaste galaxie, parfois peu recommandable, des concours de vins, les médailles qu’il décerne ont une excellente réputation. Est-ce justifié ?

Sans nul doute, vous vous êtes déjà retrouvé dans le rayon vin d’un supermarché sans savoir quoi choisir. Une médaille d’un concours vous fait de l’œil. Très recherchée puisqu’elle permet d’augmenter les ventes de 10 à 15 %. Peut-on leur faire confiance aveuglement ? Evidemment que non. Quand un concours décerne une médaille à plus de 80 % des vins présentés, le consommateur est en droit de se poser des questions. L’an dernier, Eric Boschman, ancien meilleur sommelier de Belgique, avait réussi à piéger, dans le cadre de l’émission « On n’est pas des pigeons » de la RTBF, le Concours International Gilbert et Gaillard. Une horrible piquette achetée en supermarché avait décroché une médaille d’or et des commentaires proches de la dithyrambe. Dans le même reportage, Eric Boschman louait le travail de qualité réalisé par le Concours Mondial de Bruxelles dont il est l’un des juges récurrents. Nous avons voulu en avoir le cœur net.

©PG

Le Concours Mondial de Bruxelles (CMB) est organisé depuis 1994 par Vinopres, une entreprise familiale belge créée par Louis Havaux. A côté du CMB, Vinopres agit aussi comme une simple agence de communication axée sur le monde du vin, édite des guides et des suppléments intégrés dans des magazines. Aujourd’hui aux mains de Baudouin et de Quentin Havaux, respectivement, le fils et le petit-fils du fondateur, le CMB ne se déroule pas à Bruxelles !

« A l’origine, le CMB a été créé pour soutenir le Mondial du Vin, un salon qu’on organisait au Heysel, se souvient Baudouin Havaux. On avait imaginé un concours de dégustation à l’aveugle avec des vins de nos exposants. Cela a bien marché et ça s’est emballé. Jusqu’en 2005, nous sommes restés en Belgique. Depuis le début, Amorim, le leader mondial de la production de liège, nous soutient. Chaque année, il venait faire une présentation sur les bouchons. A la longue, cela devenait lassant. On l’a dit et la réponse fut simple : pour faire mieux, il faut venir au Portugal. On l’a fait ! Et depuis, le CMB n’arrête plus de bouger. »

« Nous sommes une société commerciale qui engendre 70 % de frustrés. C’est un choix qu’on assume »

Chaque année, le CMB déplace 700 dégustateurs chevronnés pour coter une bonne dizaine de milliers de vins. Le concours est désormais divisé en quatre sessions pour mieux épouser le calendrier commercial. Les rosés ouvrent le bal à la sortie de l’hiver, suivent les blancs et les rouges au printemps, les bulles au début de l’été et les fortifiés en septembre. Cette année, le CMB a donc déroulé ses fastes à Split en Croatie, à Guanajuato au Mexique et à Alghero en Sardaigne. La saison se clôturera fin septembre à Bruxelles.

« Avec le recul, ces déplacements font sens », souligne Baudouin Havaux. « D’une part, ils assurent un caractère international au concours et permettent de stimuler la participation des vignerons locaux. D’autre part, pour assurer la venue de dégustateurs de haut vol, tous des professionnels, tu ne peux pas leur faire visiter Manneken-Pis chaque année. Les dégustateurs sont notre capital le plus important. Nous les attirons pour plusieurs raisons : la dégustation est intéressante, le réseautage est de haut niveau et la découverte de régions viticoles inédites est au programme. Guanajuato, c’est le Mexique laborieux où se trouve la capitale mondiale de la chaussure et la grande usine mexicaine de General Motors. Nous étions à cent lieues des plages de Cancun. Enfin, bouger permet de demander au pays hôte de financer la moitié du budget. Si 20 % de nos dégustateurs sont œnologues ou sommeliers, la vaste majorité sont des acheteurs et des journalistes. Ils sont proches du consommateur final. Le but est de donner une médaille à un vin qui donne du plaisir à ce consommateur final. »

Nous en venons au cœur du dossier : la médaille. Le CMB n’en distribue que 30 % sur le total des vins dégustés.

« Nous sommes une société commerciale qui engendre 70 % de frustrés », sourit Quentin Havaux. « C’est un choix qu’on assume. Notre plus grand concurrent, c’est Decanter. Mais il distribue 80 % de médailles. En d’autres termes, le vigneron achète sa médaille ou quasi. Chez nous, c’est une loterie et c’est très bien comme cela. Nous avons des producteurs qui ne viennent plus à cause de cela. Et bien, tant pis… » Baudouin et Quentin Havaux ont accepté de lever le voile derrière le système de cotation. Lors de chaque session, chaque dégustateur, avec quatre collègues assis à la même table, cote sur 100 une bonne centaine de vins à l’aveugle et justifie sa cote par un commentaire. Derrière, la Faculté des Sciences de l’UCLouvain et le professeur Christian Ritter entrent en action.

« Ils analysent le profil de chaque dégustateur », explique Quentin Havaux. « Sa sévérité, sa cohérence, sa répétabilité, sa discrimination et son rapport à l’ensemble de la table. Statistiquement, 80 % des médailles sont données par 20 % des tables. C’est un cauchemar. Ces tables n’ont quand même pas reçu que des bons vins et les autres que des mauvais. Quoi qu’on fasse, on en revient toujours à cela. Alors, le professeur Ritter a développé un logiciel statistique qui, sur base des caractéristiques propres à chaque dégustateur, normalise les résultats et équilibre les différentes tables. Le travail de Christian Ritter permet à chacun d’être lui-même et de donner la même chance à tous les vins quelle que soit la table qui les déguste. »

Pour participer, chaque producteur doit payer, suivant la session, entre 160 et 180 euros par vin soumis. Par la suite, si son vin est médaillé, il doit aussi acheter les stickers à apposer sur les bouteilles. Souvent, la vache à lait de tous les concours.

« Même pas chez nous », poursuit Quentin Havaux. « Commercialement, nous sommes mauvais. Ce n’est pas dans notre ADN. Un rouleau de 1.000 médailles autocollantes coûte 22 euros. C’est effectivement notre marge sur les concours mais elle n’atteint que 10 % de notre chiffre d’affaires. On doit faire beaucoup mieux. Il y a plusieurs raisons à cette piètre performance. Le processus d’achat était compliqué avant la mise en place, toute récente, d’une plateforme d’achat en ligne. De nombreux producteurs n’achètent pas leurs médailles. Elle les conforte dans leur travail et cela leur suffit. Puisqu’elle est très valorisée auprès des acheteurs, pourquoi faire encore des frais une fois que le vin est vendu ? Les grands distributeurs nous sauvent : ils commencent à les exiger sur les bouteilles car cela fait vendre. Depuis quelques années, Carrefour Belgique consacre plusieurs pages de son folder de la foire des vins de septembre aux vins médaillés. C’est un espace média que nous serions incapables d’acheter. Cette année, Pam, la chaîne italienne, a inscrit, d’autorité, quarante vins au concours. Huit ont été médaillés. Elle a pris une page entière de pub dans La Stampa et les a mis en évidence dans les 250 points de vente. Les vins partent comme des petits pains. Continente au Portugal suit une démarche similaire à Carrefour Belgique. Vu ces succès, c’est une stratégie à poursuivre avec d’autres dans le futur. »

Chaque producteur reçoit, après le concours, les résultats sous une forme inédite pour le milieu : chaque vin dispose de sa feuille d’analyse avec sa note, la nationalité des membres du jury, une roue des arômes et un radar de bouche. L’an prochain, le CMB offrira, en outre, un résumé des commentaires écrits par les dégustateurs. De la valeur ajoutée rendue possible grâce aux outils d’intelligence artificielle développés par Winespace, une start-up bordelaise, dans laquelle Vinopres a pris des parts. Cette valeur ajoutée, évaluée à 15 euros par bouteille, le CMB l’offre aux producteurs. Le but est d’asseoir sa réputation de sérieux dans un contexte compliqué.

« Commercialement, nous sommes mauvais. Ce n’est pas dans notre ADN »

Bon an mal an, Vinopres, riche d’une vingtaine d’employés, réalise un chiffre d’affaires de quatre millions d’euros dont trois sur les concours. Une session des blancs et des rouges qui déplace plus de 300 dégustateurs coûte un million au CMB rien que pour la logistique. L’hôte, suivant un cahier des charges stricts, doit allonger un autre million pour loger, nourrir et organiser des visites originales.

Trois générations de Havaux (de gauche à droite, Louis, Baudouin et Quentin) entourent Diego Sinhué Rodríguez, le gouverneur de l’Etat mexicain de Guanajuato en juin dernier. ©PG

« En 2023, Vinistra, l’association des vignerons d’Istrie en Croatie n’a pas déboursé un centime ou quasi », raconte Baudouin Havaux. « Ils ont tout fait financer par des institutions officielles et des sponsors. Cette année, l’Etat de Guanajuato a dépensé 4 millions d’euros entièrement de sa poche. Le gouverneur voulait un concours hors du commun. C’était un choix politique, dans une année d’élections, pour montrer la puissance de son Etat dans la viticulture mexicaine. Une session des rosés ou des effervescents coûte 400.000 euros, la moitié à charge de l’hôte. »

Chaque année, le CMB fait voyager 700 dégustateurs chevronnés dans les différents concours qu’il organise dans le monde entier. ©PG

Depuis quelques années, le CMB a aussi repris l’organisation de concours nationaux au Mexique, en Afrique du Sud, au Brésil et au Chili. Des épreuves qui ne lui coûtent rien mais ne lui rapportent rien non plus. Sauf de la réputation. 

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