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Pieter Colpan : de la faillite à Cannes, l’entrepreneur belge transforme son histoire en film engagé

Après avoir surmonté 850 000 euros de dettes, Pieter Colpan s’associe au réalisateur Nacer Maash pour produire L’Araméen, un film inspiré de sa propre vie et de l’histoire méconnue du peuple araméen. Un pari entrepreneurial audacieux au service de la mémoire et du cinéma engagé. Nous les avons rencontrés sur la Croisette, à l’occasion du Festival de Cannes, où ils défendent activement leur projet.

Forbes.be – Pieter Colpan, comment est né ce projet de film ?
Pieter Colpan –
C’est d’abord un livre. J’avais besoin d’écrire mon histoire, de mettre à plat mes échecs, mes erreurs, mes combats. Une forme de thérapie. Des amis m’ont suggéré d’en faire un film. Un jour, mon fils me met en relation avec les réalisateurs Adil El Arbi (qui est à l’origine, avec Bilall Fallah, de la franchise Bad Boys au cinéma, ndlr). Il me propose 8 000 euros pour les droits, mais je refuse. Trop peu. Et surtout, j’ai compris à ce moment-là que ce projet devait rester entre mes mains. C’était ma vie, mon histoire, et il fallait que j’aille au bout. J’ai contacté des professionnels du cinéma. Beaucoup m’ont dit non. Puis, j’ai rencontré Nacer Maash.

Forbes.be – Justement, Nacer Maash, qu’est-ce qui vous a convaincu de rejoindre ce projet ?
Nacer Maash –
Le livre de Pieter m’a immédiatement parlé. Son parcours, sa chute, sa remontée, c’est universel. Et puis, il y avait cette dimension identitaire, spirituelle, qu’on partage, lui chrétien syriaque, moi musulman. On s’est retrouvés autour de valeurs communes, autour d’un besoin de transmettre un message fort. « L’Araméen », ce n’est pas juste une biographie filmée, c’est le récit d’un peuple oublié, raconté à travers le destin d’un homme brisé qui se reconstruit.

Nacer Maash et Pieter Colpan © DR

– Quelle est la part de votre vie dans ce film ?
PC –
Presque tout. Le personnage principal, Shémum, est accusé à tort, il est enfermé, trahi, puis il se relève. Comme moi. J’ai eu jusqu’à 850 000 euros de dettes, j’ai failli perdre la maison familiale. Ce qui m’a sauvé, c’est ma communauté araméenne, qui a rassemblé 800 000 euros en trois jours. Cette histoire de renaissance, c’est la mienne. Mais c’est aussi celle de mon peuple.

– Justement, revenons sur votre parcours entrepreneurial.
PC –
Tout a commencé à 18 ans, quand j’ai repris une sandwicherie rue de la Régence, entre le Palais de Justice et le Sablon, à Bruxelles. Les commerçants du quartier me prenaient pour un “ket” sans avenir. Et pourtant, j’ai tenu cette affaire pendant douze ans. On livrait jusqu’à 2 000 sandwiches par jour dans toute la ville. J’ai fini par racheter mes concurrents, et je me suis retrouvé avec trois établissements dans la même rue. À ce moment-là, j’ai voulu voir plus grand. J’ai cédé mes points de vente à des cousins et je me suis lancé dans la production alimentaire. Je livrais une vingtaine de snacks à Bruxelles. C’était rentable. Alors j’ai pris un nouveau risque : tout vendre et réinvestir dans une usine spécialisée dans les produits halal, un marché en pleine expansion à l’époque. Les banques ne m’ont pas suivi. J’ai tout financé sur fonds propres. Mais j’ai gravement sous-estimé les délais de négociation avec les fournisseurs, la puissance de la concurrence, et le poids logistique. Je produisais la nuit, je livrais le jour, je faisais les démarches commerciales entre deux tournées. C’était infernal. Sans revenus fixes, j’ai commencé à épuiser mon capital. J’ai emprunté. Au bout d’un an et demi, j’étais à sec. J’avais hypothéqué mes biens, y compris la maison de mes parents. J’étais au bord du gouffre, avec 850 000 euros de dettes. Trois jours avant la vente publique, la communauté araméenne a réuni 800 000 euros pour me sauver. C’est ce qui m’a évité la débâcle totale. Cette épreuve m’a forcé à me relever, à prendre mes responsabilités. Je ne pouvais pas laisser mon père perdre sa maison par ma faute.

– Le film parle donc du peuple araméen. Que faut-il savoir ?
PC –
Les Araméens sont l’un des plus vieux peuples du Proche-Orient. Leur langue, l’araméen, était celle du Christ. C’est une culture millénaire, mais non reconnue officiellement. Aujourd’hui, il reste à peine 400 000 locuteurs, et pourtant, 7 millions de personnes revendiquent encore cette origine. Ce film, c’est une manière de rendre justice, de raviver une mémoire en danger.

– Le scénario est-il historique, fictionnel, spirituel ?
NM –
C’est un thriller contemporain, mais traversé par la foi et la culture. On y parle de faux diamants, de prisons, de complots, mais aussi d’amour, de mémoire, de foi. Il s’agit d’un film d’auteur qui vise le grand public. On veut toucher ceux qui, comme Shémum, doivent trouver une force intérieure pour se relever. Que l’on soit croyant ou non, chacun peut s’identifier à ce combat pour la dignité.

– Où en est la production aujourd’hui ?
NM –
On est à Cannes pour défendre le projet. On a déjà l’appui d’un producteur exécutif, Franck Carl (« La Terre Tourne »), et une équipe internationale pour les tournages prévus au Maroc, en Afrique du Sud et en Turquie. La postproduction sera assurée par Digital Factory (Luc Besson) et Titrafilms. Les castings débutent en juin, avec déjà des noms comme Abel Jafri en discussion. Le financement avance : subventions, banques, crowdfunding… Il ne manque plus que des distributeurs.

– Pieter Colpan, ce film est-il votre nouveau pari entrepreneurial ?
PC –
Oui, mais pas dans une logique financière. J’ai déjà réussi dans le retail, dans l’immobilier. Ce projet, c’est autre chose. C’est une mission. On ne fait pas ça pour gagner de l’argent. On le fait pour créer quelque chose qui compte. Ce qui fait la force d’un entrepreneur, c’est qu’il essaie, encore et encore. Et parfois, la onzième tentative est la bonne.

– Nacer Maash, au fond, ce film est-il culturel, spirituel ou entrepreneurial ?
NM –
Les trois. C’est un film engagé. Un film belge, mais universel. Un film sur la foi. Pas celle d’une religion, mais celle qu’on met dans ses projets, dans ses rêves, dans sa capacité à rebondir. On raconte l’histoire d’un homme, mais c’est celle d’un peuple. Et à travers ce peuple, c’est un message pour tous ceux qui luttent, qui tombent, qui se relèvent. C’est du cinéma engagé. Et ça, je pense que Forbes Belgique peut le comprendre.

www.indiegogo.com/the-aramean

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