Accès limité au financement, manque de visibilité, charge mentale persistante… Malgré tous ces obstacles, l’entrepreneuriat féminin progresse, de plus en plus de femmes se lancent, et les initiatives se multiplient. Entretien croisé avec Audrey Kamali et Hanna Bonnier, coordinatrices de la plateforme Women in Business, le hub pour l’entrepreneuriat féminin de hub.brussels, l’Agence bruxelloise pour l’Entrepreneuriat.
Un écosystème en construction
« Aujourd’hui à Bruxelles, seules 30% des personnes indépendantes sont des femmes », posent d’emblée Audrey Kamali et Hanna Bonnier, alors qu’elles sont aussi nombreuses que les hommes à vivre dans la capitale. Un déséquilibre flagrant que tentent de combler les coordinatrices de Women in Business, une initiative de hub.brussels. Leur mission ? Rendre l’entrepreneuriat accessible à toutes, en centralisant les ressources et en coordonnant un large réseau de partenaires.
Une façon de palier à l’un des tous premiers freins identifiés : le manque de connaissances et de confiance dans la phase de pré-création. « C’est à ce moment que les femmes déclarent avoir moins de compétences ou de repères que les hommes. » Une réalité qui peut être compensée par un meilleur accès à l’information, des outils concrets et des événements ciblés.

L’épreuve du financement
Second frein majeur : l’accès au financement. Prêts bancaires, aides familiales ou levées de fonds… Les femmes se heurtent à un plafond de verre. « Elles déclarent avoir moins de garanties financières que leurs homologues masculins. Résultat : elles se paient moins — moins de 20 000 € par an pour plus de 50 % des indépendantes principales — et peinent à développer leur activité. C’est un cercle vicieux », constate Audrey Kamali.
Si des alternatives existent — microcrédits, crowdfunding, fonds spécifiques comme SheFunds ou Sista — elles restent trop peu connues ou accessibles. En plus des biais sectoriels qui persistent : « Pourquoi un business dans les soins capillaires, secteur pourtant florissant, ne bénéficie-t-il pas du même engouement qu’une applis dans les panneaux solaires ? »
Une autre vision de l’entreprise
En outres, beaucoup de femmes entrepreneures veulent créer du sens, avoir de l’impact social ou environnemental et trouver un équilibre personnel. « Or, ce type de langage n’est pas toujours bien perçu dans les sphères d’investissement traditionnelles, elles sont donc confrontées à plus de difficultés pour trouver des financements« , analyse Hanna Bonnier. Preuve que des alternatives existent : le cluster CircleMate, lancé par hub.brussels, réunit quant à lui des entreprises à impact environnemental… dont 50 % sont dirigées par des femmes.

Le poids (toujours) inégal de la parentalité
Contrairement aux idées reçues, hommes et femmes mettent l’équilibre vie pro/perso parmi leurs priorités, lorsqu’ils se lancent dans l’indépendance. Mais dans les faits, ce sont surtout les femmes qui portent la charge mentale et les conséquences professionnelles de la parentalité. « Certaines entrepreneuses se tournent vers des réseaux ciblés comme Empower Maman Solo, qui adapte l’accompagnement aux contraintes des mères célibataires. Mais d’autres refusent légitimement qu’on les réduise à cette problématique. L’enjeu, c’est de pouvoir choisir son accompagnement en fonction de ses besoins réels », souligne Audrey Kamali.
Un constat qui rappelle l’importance de dégenrer les enjeux familiaux : peu d’espaces sont aujourd’hui proposés aux papas solos ou aux hommes souhaitant concilier parentalité et entrepreneuriat. « On parle souvent de responsabilité partagée, mais jamais de papa solo, il y a une incohérence dans le discours ».
Des modèles qui émergent, surtout dans la tech
Autre levier d’émancipation : la représentation. Longtemps absente, la figure de la femme entrepreneure, notamment dans les secteurs STEM (sciences, technologies, ingénierie, mathématiques), qui sont aussi les plus rentables, gagne du terrain.
« Il y a cinq ans, les rôles modèles féminins dans la tech étaient quasi inexistants. Aujourd’hui, ils se multiplient grâce à des initiatives comme The Future of Tech is Female ou le Women Digital Festival, organisé chaque année par hub.brussels », affirme Hanna Bonnier. L’objectif est de soutenir l’acquisition et le développement des compétences par les femmes, car les outils digitaux (création de site web, e-commerce, IA…) sont indispensables quel que soit le secteur d’activité. L’événement est également conçu pour permettre aux plus mordues de tech d’aller plus loin et peut être se lancer dans ce secteur encore très majoritairement masculin.

Ce qui reste à faire
Bruxelles a pris des engagements clairs. Depuis trois ans, un appel à projets pour l’entrepreneuriat féminin est soutenu par le ministère de l’Égalité des Chances. Et les coordinatrices insistent : « Les politiques publiques doivent continuer à financer les réseaux existants, valoriser les bonnes pratiques et soutenir les initiatives à impact. »
Car pour Audrey Kamali et Hanna Bonnier, le véritable progrès se mesurera le jour où leur métier n’aura plus lieu d’être. « Notre but, à terme, c’est de disparaître. Quand l’écosystème sera suffisamment inclusif, structuré et équitable pour que les femmes aient autant de chances que les hommes, sans accompagnement spécifique ». Pour ce faire, « On ne doit pas valoriser uniquement la rentabilité, mais aussi l’impact, la résilience, le collectif. Et sur ce terrain-là, les femmes ont beaucoup à transmettre ».