Newsletter

Magazine

Inscription Newsletter

Abonnement Magazine

Cessons de brandir nos valeurs en étendard

Les entreprises aiment proclamer mission, vision, valeurs, comme si cela suffisait à les incarner. Ce formalisme trahit une incompréhension de l’époque, un aveu de déconnexion avec le monde d’aujourd’hui. De nos jours, toute déclaration qui vise à s’attribuer une vertu — qu’elle soit écologique, sociale ou éthique — s’apparente en effet à une instrumentalisation.

Derrière les bonnes intentions affichées, on soupçonne désormais bien souvent une posture opportuniste, orientée au bout du compte vers le profit ou le pouvoir. Plus personne n’est dupe et le soupçon s’est généralisé. La faute aux green-washing, purpose-washing, discours formatés, manques de cohérence et de transparence. A notre déficit d’intégrité donc. Mais aussi, bien sûr, aux réseaux sociaux, qui guettent la moindre faille pour invalider sans nuance l’ensemble d’un système. Le monde politique comme celui du management n’échappe pas à cette défiance systématique. Liberté, démocratie, universalisme: ces mots sont trop lourds, trop disputés, trop subtils pour être brandis comme des trophées sans provoquer à terme le scepticisme. Pour preuve, nos chères valeurs universelles sont perçues, ailleurs, comme la façade d’un modèle occidental imposé, une domination déguisée en idéal. A force d’avoir usé de ces mots à tout-va, sans consistance parfois, l’universalisme apparaîtrait comme un occidentalisme aux yeux de certains. Non, décidément, l’heure n’est plus aux absolus. Qui s’en réclame se condamne lui-même, au ridicule ou à une présomption d’autoritarisme. Il n’y a plus de grands récits fédérateurs pour les faire vibrer dans les cœurs. « Dès qu’on prétend incarner une idée, on la ridiculise immédiatement », constatait ainsi le philosophe Tristan Garcia aux Inattendues de Tournai. Les mots ont été vidés de leur sens. Selon lui, certains termes – comme l’universalisme – doivent dès lors être temporairement « laissés en jachère ». En revanche, insiste-t-il, il faut conserver l’horizon de l’universel. Qu’ils pilotent un pays ou une multinationale, c’est cela que doivent comprendre nos dirigeants : l’ère des slogans qui proclament des valeurs comme des étendards est révolue. A la place, il est temps d’user de ces valeurs comme des directions vers lesquelles tendre – humblement, imparfaitement, mais résolument. Et faire preuve d’exemplarité, à bas bruit. A l’image de l’entreprise Patagonia par exemple, dont la sincérité de l’engagement environnemental ne fait aucun doute dans les esprits, alors même qu’il n’est jamais revendiqué. La marque pose juste des actes clairs, comme la discrète étiquette « Vote the Assholes out » cousue à l’intérieur de ses vêtements.

« L’authenticité, aujourd’hui, se trouve dans le courage de poursuivre nos idéaux sans jamais prétendre les avoir atteints »

L’authenticité, aujourd’hui, se trouve dans le courage de poursuivre nos idéaux sans jamais prétendre les avoir atteints. Ne plus clamer incarner de valeurs. Mais marcher vers elles. Et avoir confiance que le reste suivra. Autrement dit : conjuguer la rationalité avec des actes de foi. 

A la une