Forbes Belgique a rencontré en exclusivité Daniel et Andreas Sennheiser. Frères au civil, génies créatifs et co-CEO du groupe Sennheiser.
Depuis 80 ans, Sennheiser façonne l’avenir de l’audio. Créé au sortir de la Seconde Guerre mondiale par le Dr. Fritz Sennheiser, Sennheiser est aujourd’hui l’une des plus grandes entreprises de technologie audio au monde. On lui doit, entre autres, l’invention du casque audio, le premier système de microphones sans fil pour la scène et la télévision, la commercialisation du premier casque binaural, l’audio spatial et bien plus encore… Une entreprise allemande qui perdure au milieu des géants asiatiques, c’est rare. Fait encore plus rare : Sennheiser est restée une entreprise indépendante, gérée par la famille qui l’a créée.
Forbes.be – À l’origine, Sennheiser devait s’appeler « Labor W ». Pourquoi ce changement de nom ? Pensez-vous que le destin de votre entreprise aurait pu être différent ?
Daniel Sennheiser – Le nom « Labor W » vient de la région de Wennebostel, à Wedemark, où tout a commencé. Fritz Sennheiser, notre grand-père, a fondé la société Laboratorium Wennebostel (ou « Labor W ») en 1945, dans une ferme… Avec pour spécialité la fabrication d’instruments de mesure pour Siemens. En tant qu’ingénieur, Fritz voyait cela comme un simple laboratoire de recherche. C’est seulement après un certain temps et au bout de plusieurs innovations qu’il a réalisé qu’il avait créé une entreprise, à part entière. « Labor W » n’était pas un nom adapté, surtout à l’international. C’est pourquoi la société a changé de nom et de forme juridique pour devenir « Sennheiser electronic« , en 1958.

– Fritz Sennheiser a un jour déclaré : « Les ingénieurs ont besoin d’espace pour des idées folles ». Cet esprit caractérise-t-il toujours Sennheiser aujourd’hui ?
Andreas Sennheiser – Absolument. Nous pensons que l’innovation de rupture se produit lorsque les gens sont assez intelligents et qu’ils ont la liberté d’explorer sans contraintes. Fritz a injecté dans l’entreprise le mindset de ce qu’on appelle aujourd’hui une « start-up ». Quand vous donnez aux ingénieurs la liberté d’avoir des idées folles, ils trouvent parfois des solutions à des problèmes qui n’existent pas encore ou qu’on n’a pas encore identifiés.C’est exactement ce que nous faisons chez Sennheiser : nous construisons l’avenir de l’audio depuis 1945.
– En tant qu’entreprise familiale, comment parvenez-vous à concilier votre héritage avec les exigences d’un marché mondial ?
A. S. – Nos clients attendent de nous que nous prenions soin de nos produits emblématiques, comme le MKH 416, qui est toujours en production après plus de 50 ans, tout en étant à la pointe de l’innovation. Nous devons garantir la même qualité qu’il y a des décennies, mais aussi proposer des solutions novatrices comme l’audio spatial Ambeo ou l’écosystème Spectera de transmission sans fil à 64 canaux. Nous gérons ensemble l’entreprise et, même si nous avons parfois des désaccords, notre respect mutuel et notre engagement envers l’héritage familial nous permettent de travailler avec une vision bien acérée.

– Comment maintenez-vous votre avantage concurrentiel face aux acteurs majeurs, notamment américains et asiatiques ?
D. S. – Notre principal atout, c’est notre identité de marque. Nous nous appuyons sur trois piliers, au premier rang desquels la fiabilité. Que ce soit pour un concert devant 80 000 personnes ou une émission de télévision en direct, la fiabilité de nos équipements est essentielle. Nous y consacrons beaucoup d’efforts. Ensuite, l’innovation : nous investissons environ 50 millions d’euros par an en R&D et pour l’optimisation de processus plus durables – soit près de 10 % du chiffre d’affaires. Nous innovons pour améliorer l’expérience client et faciliter l’utilisation de nos produits. Et, enfin, l’expérience audio : nous sommes reconnus pour la qualité audio de nos produits, que ce soit en studio, en concert ou même en voiture.

– Le secteur de la mobilité est de plus en plus important dans l’audio. Comment Sennheiser se positionne-t-il dans ce domaine ?
D. S. – Nous avons établi des partenariats stratégiques avec des constructeurs comme Cupra, Smart, Mercedes-AMG et Morgan Motor, pour qui nous avons conçu un système audio qui n’utilise pas de haut-parleurs traditionnels, mais les surfaces intérieures du véhicule. Le design est donc invisible. Nous ne pouvons pas divulguer nos projets futurs, mais c’est un domaine où notre expertise en audio 3D pourrait être utilisée pour la première fois à grande échelle. L’audio 3D a toujours été un problème de « l’œuf et de la poule » car il y avait peu de contenu. Maintenant que les voitures deviennent des hubs technologiques et que la musique est produite en formats immersifs à grande échelle, notre expertise devient très précieuse.
– L’intelligence artificielle est devenue incontournable. Comment intégrez-vous l’IA et les autres technologies émergentes dans votre processus de R&D ?
A. S. – L’IA est un catalyseur formidable. Elle transforme les améliorations incrémentales en améliorations exponentielles grâce à des systèmes auto-apprenants. Par exemple, nous l’utilisons dans nos microphones de conférence pour identifier la voix et les bruits de fond, afin de ne transmettre que la parole. L’IA est un catalyseur pour l’innovation et la productivité.

– Quelles sont, selon vous, les grandes tendances qui façonneront le marché de l’audio dans les cinq prochaines années ?
D. S. – Je vois trois grandes tendances. La première est celle des produits conscients de leur environnement, qui s’adaptent automatiquement, comme notre système de fréquences qui gère les interférences pour garantir un son stable. La deuxième est la facilité d’utilisation. Les produits deviennent plus intuitifs et s’adaptent au style de vie de l’utilisateur. La troisième tendance est l’intégration aux écosystèmes, comme le fait de connecter nos produits à des plateformes logicielles ou à des systèmes de communication.
– À titre personnel, que signifie l’audio pour vous ? Pourriez-vous vivre sans votre ouïe ?
D. S. – Ce serait très difficile. L’ouïe est directement liée à nos émotions. Alors que la vue est plus analytique, l’ouïe est intuitive et connectée à notre cerveau émotionnel. C’est pourquoi nous disons que notre métier n’est pas seulement de créer le meilleur son, mais de créer des « moments de chair de poule ». L’ouïe est si importante que je pense que je pourrais vivre plus facilement sans la vue.
