On a tous en nous un super pouvoir qui peut nous fournir un avantage compétitif notable sur le marché du travail. Une intelligence fine des situations, une empathie surdéveloppée, être capable de calculer plus vite que les autres…
Le capital humain, popularisé par Gary Becker et théorisé par Stiglitz, tous les deux prix Nobel d’économie, désigne les compétences et connaissances qui rendent un individu plus productif et, donc, mieux rémunéré. L’idée semble simple : misez sur vous-même et vous réussirez, soit la promesse méritocratique chère à nos démocraties occidentales. Vous disposez d’un stock de départ, comme un capital financier et vous pouvez soit le faire fructifier, soit l’user. Les diplômés du supérieur ont trois fois moins de risque de chômage que ceux sans diplôme. CQFD?
Ce postulat ignore néanmoins une réalité essentielle : nous ne partons pas tous du même point de départ. L’origine socio-économique influe encore fortement sur la réussite scolaire. Vous me direz, ce qui compte, ce n’est pas ce qui vous arrive, mais ce que vous en faites. Si vous n’êtes pas attendu, vous aurez tendance à développer des talents supplémentaires et singuliers : plus de charisme, plus de résilience, une intelligence des situations… La réponse aux épreuves crée un champ énergétique que fructifie votre capital de départ.
C’est sans compter un écueil majeur, lui aussi théorisé par Stiglitz : l’accès à l’information comme principale source d’inégalité : la grande sœur qui vous aide pour votre CV, vos parents qui vous inculquent l’art de faire fructifier son patrimoine, les sorties culturelles diverses que votre famille vous propose dès le plus jeune âge, l’oncle qui vous aide à décrocher votre premier stage ou encore une rencontre professionnelle qui peut devenir déterminante. Si le collectif peut garantir l’accès à l’information pour tous, il ne peut, de façon globale, s’immiscer dans les structures familiales ou compenser chacune de ses asymétries. Les enfants issus de familles monoparentales, en écrasante majorité composée de mères jonglant entre travail et famille, sont moins bien suivis à la maison et sont susceptibles de moins bien réussir. Si les plus résilients d’entre eux développeront des aptitudes extraordinaires, encore faut-il qu’elles soient reconnues et valorisées dans leur parcours. Dans un système normé, le talent individuel et singulier a parfois du mal à trouver sa place. Nous oublions souvent que l’égalité en tant qu’objectif est déjà une orientation de philosophie politique : toutes les politiques publiques dans le monde n’agissent pas en ce sens. C’est notre contrat social implicite.
« Miser sur soi ne suffit pas si l’environnement ne mise pas sur vous aussi »
Le capital humain occulte l’importance du capital économique, social et institutionnel (politiques éducatives et d’égalité) et légitime les écarts de réussite sous couvert de mérite individuel. Or, « une société où les privilégiés sont convaincus de devoir leur succès à eux seuls ne ressentent plus aucune responsabilité envers ceux qui échouent »*. Le talent ne s’exprime que si l’environnement le permet. La vraie question n’est donc pas « Avez-vous du mérite ? » mais « Que faisons-nous pour que le mérite de chacun ait réellement une chance d’exister ? ». Nous pourrons ainsi passer collectivement du mythe à la réalité. ⎯
* Michael Young, inventeur du terme méritocratie
