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Le diamant perd de son éclat 

Les affaires vont mal pour les 1 500 entreprises diamantaires établies dans la Hoveniersstraat d’Anvers, connue comme la rue la plus sûre du monde. Le sort semble s’acharner, entre concurrence du diamant synthétique à l’échelle internationale, pouvoir d’achat en berne des clients chinois et américains qui ne peuvent plus s’offrir des produits de luxe et recul des importations de diamants bruts.  

Cette crise frappe le secteur à l’échelle mondiale. Les prix des diamants polis sur le marché de gros ont plongé de 30 % par rapport à 2023, tandis que les exportations vers les États-Unis se sont contractées de 55 %. Le Botswana, deuxième producteur derrière la Russie, voit ses exportations reculer de 46 %. Mais la Belgique pâtit aussi d’autres problèmes. Les sanctions du G7 ont tari l’approvisionnement d’Anvers en diamants bruts russes. 

Isi Mörsel – © Koen Fasseur

« Cet embargo du G7 fait perdre 300 millions de dollars de chiffre d’affaires à mon entreprise. Dali Diamond entretenait autrefois de bonnes relations avec le secteur russe du diamant et ces liens sont aujourd’hui rompus. Le commerce du diamant brut a chuté de plus de 30 % sur la place anversoise », déplore Isidore – Isi – Mörsel, CEO de Dali Diamond et président de l’Antwerp World Diamond Center (AWDC).   

Authentique ou synthétique ? 

En plus d’être confronté à des sanctions commerciales, le secteur se trouve à la croisée des chemins en raison de l’évolution du marché du diamant de synthèse. Ce dernier a fortement progressé, en particulier aux États-Unis. Dans le même temps, les coûts de production et les prix de gros se sont effondrés. Les consommateurs qui ont acheté un bijou en diamant synthétique il y a un an ne vont pas tarder à constater une chute vertigineuse du prix en boutique. Le diamant naturel, en revanche, conserve sa valeur. « Les détaillants disposent dès lors d’un argument solide pour souligner les avantages des pierres naturelles. Selon moi, le consommateur continuera à privilégier la valeur sûre pour les moments importants. La future épouse aura droit à une bague de fiançailles surmontée d’un diamant authentique, tandis que la fille recevra un diamant de laboratoire », indique Isi Mörsel. Les experts évoquent une « bifurcation », une scission du marché des diamants naturels et de synthèse. Deux segments appelés à se développer de manière toujours plus indépendante.   

Des discussions sont en cours pour développer une campagne de publicité mondiale en vue de promouvoir le diamant naturel. « Le secteur a rangé aux oubliettes les campagnes de marketing génériques, orchestrées à l’initiative des géants miniers (De Beers et le Russe Alrosa, NDLR). Aujourd’hui, toute la chaîne doit apporter sa contribution »,
souligne Isi Mörsel.  

« Le malheur d’Anvers fait le bonheur de Dubaï »   

Bannissement des diamants de conflit 

Depuis début 2024, le G7 impose des restrictions commerciales de plus en plus strictes à la Russie pour éviter que les revenus du commerce des matières premières ne soient utilisés pour financer la guerre en Ukraine. Anvers se plie à ces directives, mais ses négociants en diamants déplorent d’être les seuls touchés par ces barrières commerciales. Les sociétés diamantaires russes se sont tournées vers les autres capitales du diamant, en particulier vers Dubaï, souvent en passant par la Chine. Ces pays n’ont cure des sanctions du G7. Les volumes d’échanges à l’échelle mondiale n’ont pas changé.  « Le malheur d’Anvers fait le bonheur de Dubaï. L’Inde taille toujours autant de diamants russes », regrette Karen Rentmeester, nouvelle CEO de l’AWDC.    

Karen Rentmeesters – © Koen Fasseur

Elle a pris les rênes de la fédération après la démission de l’ancien CEO, dans la foulée du départ de l’ancien président. Ces deux remplacements au sommet reflètent une profonde inquiétude au sein de l’organisation. En cause : la réaction officielle de la Belgique aux mesures du G7. Le Premier ministre belge Alexander De Croo voulait protéger le secteur et retarder le plus possible les sanctions. Lorsqu’elles sont entrées en vigueur, il a cherché à obtenir une compensation pour les pertes subies par Anvers. L’idée consistait à faire d’Anvers le seul centre de certification des diamants destiné aux pays du G7 et de l’UE. Un projet qui a suscité de vives réactions de la part de pays tels que le Botswana, l’Afrique du Sud, la Namibie et l’Angola, désireux de pouvoir certifier eux-mêmes leurs propres diamants. Cette réaction qui s’est greffée sur le déclin du commerce n’a fait qu’amplifier l’inquiétude à Anvers. Avec cette proposition, la Belgique s’est tiré une balle dans le pied.  

L’AWDC a d’ores et déjà appelé à soutenir cette volonté des pays africains. « Notre intention est de nouer une collaboration étroite avec ces pays d’origine sans risque de voir des diamants russes entrer dans le circuit. Rien ne nous empêche de mettre à profit sur place notre savoir-faire en matière de certification pour garantir l’origine des pierres. Notre CEO Karen Rentmeesters ne ménage aucun effort pour finaliser l’accord avec ces pays », précise Isi Mörsel.   

Un inconvénient qui est aussi un avantage ?  

L’ensemble de la communauté diamantaire anversoise recherche donc une lumière au bout du tunnel. « Pouvons-nous convertir nos difficultés actuelles en un avantage concurrentiel ? », s’interroge Karen Renmeesters.   

Elle fait observer que les marques de haute joaillerie européennes et américaines comme Cartier et Rolex ne jurent que par un contrôle de l’origine des diamants. Pas question pour elles d’intégrer dans leurs créations des diamants issus de zones de conflit. C’est pourquoi, depuis des années, elles veillent scrupuleusement à leur traçabilité. Résultat : les diamants destinés à des clients européens et américains transitent toujours par Anvers avant d’atterrir sur le marché.   

Les obligations liées au G7 entraînent un surplus de contrôles et d’administration. Entre janvier et septembre 2024, leur mise en œuvre précipitée a semé une grande confusion. Depuis lors, celle-ci s’est dissipée et Anvers a retrouvé ses marques.  

Mais les exigences du public et des gouvernements portent aussi sur la durabilité, l’impact social, la connaissance du client (« Know Your Customer »), le bénéficiaire effectif, etc. La certification sur tous ces sujets ne fera que prendre de l’ampleur. « Toutes ces données ne devraient-elles pas dès lors être regroupées dans un certificat commun ? Anvers jouera sans aucun doute un rôle de précurseur à cet égard », commente Karen Rentmeesters.  

Contrôle transfrontalier  

Au sein de l’AWDC, le Diamond Office examine toutes les importations et exportations de diamants en coopération avec les instances gouvernementales comme les Douanes et le SPF Économie. À Anvers, ce contrôle est total car tous les lots sont ouverts. L’objectif est à présent de mettre à profit ces connaissances et cette expérience sur la scène internationale, à commencer par le Botswana, deuxième producteur mondial de diamants. Au moment de mettre sous presse, les négociations avec le G7 entraient dans leur phase finale et l’AWDC avait bon espoir que le nouveau président du Botswana, Duma Boko, puisse faire une annonce lors du congrès Facets à Anvers. Des négociations sont également en cours avec l’Angola, pour permettre à ces deux pays d’apposer un certificat d’origine sur les diamants issus de leurs propres mines. « De cette manière, la certification et la traçabilité imposées par le G7 jouiraient d’une base très large sur le marché », plaide Karen Rentmeesters.   

L’AWDC est disposée à partager les principes et les méthodes de son Diamond Office avec les instances de ces pays africains. Anvers a de toute façon développé le plan d’action. Une méthode de travail adoptée entre-temps par Shanghaï.  

« En matière de transparence, Anvers se démarque du reste du monde »  

La certification comme atout commercial  

Ellen Joncheere, CEO du Conseil supérieur du Diamant (HRD), le bureau de certification commerciale qui fait aussi partie intégrante de l’AWDC, ajoute : « En matière de transparence et de bonnes pratiques commerciales, Anvers se démarque du reste du monde. C’est devenu notre unique argument commercial.  Nous en retirons un avantage commercial, peut-être pas dès maintenant, mais de plus en plus à l’avenir ». 

Ellen Joncheere – © Koen Fasseur

Le Conseil supérieur du Diamant se prépare à développer rapidement ses activités de certification, ainsi que ses investissements dans les technologies et la traçabilité. Tracr, une filiale de De Beers, est également active sur le terrain. « Nous offrons au secteur une plateforme qui permet à tous les acteurs de suivre un diamant dès le tout début. Ces données l’accompagnent ensuite tout au long de son parcours, des négociants aux distributeurs en passant par les tailleurs et autres. Lors de chaque opération, des machines et des ordinateurs saisissent les caractéristiques de la pierre et des données sont ajoutées sur sa carte d’identité. Nous faisons appel à la technologie Blockchain pour stocker ces données », explique son CEO Wes Tucker. 

Wes Tucker – © Koen Fasseur

 

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