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Taxé, critiqué, contesté : le coliving contre-attaque

Accusé de faire flamber les prix de l’immobilier et d’évincer les familles bruxelloises, le coliving fait l’objet d’une étude indépendante commandée par les opérateurs du secteur. Les conclusions, présentées à l’UPSI, nuancent fortement les critiques et dessinent un marché encore marginal mais en quête de reconnaissance.

Au croisement de la colocation professionnalisée et de la résidence services, le coliving s’est imposé depuis 2016 dans la capitale belge comme une formule d’habitat partagé destinée aux jeunes actifs. Le principe : des très grandes maisons unifamiliales intégralement rénovées et pensée pour une vie en communauté, dans laquelle on retrouve des chambres individuelles avec salle d’eau privative, et dotées d’espaces communs généreux (cuisine équipée, buanderie, salon…) le tout géré par un opérateur professionnel.

La Région de Bruxelles-Capitale compte aujourd’hui environ 3.200 chambres réparties dans quelque 300 immeubles. Une croissance fulgurante : entre 2021 et 2023, le nombre d’unités a doublé. Mais cette expansion rapide a suscité des réactions, notamment de la part de certaines communes inquiètes de ses effets sur le tissu urbain et les prix immobiliers.

C’est dans ce contexte que les principaux acteurs du secteur ont décidé de commander une étude au cabinet IDEA Consult, présentée lors d’un séminaire à l’Union Professionnelle du Secteur Immobilier (UPSI). L’objectif affiché : objectiver un débat jusqu’ici alimenté par des perceptions plus que par des données.

Corners : un acteur atypique du marché bruxellois

Parmi les opérateurs à l’origine de cette étude figure Corners, société fondée en avril 2020 par Edouard Ralet et Thomas van den Berg. Contrairement aux leaders du marché que sont Cohabs, Ikoab ou Colive (tous créés en 2016), Corners a fait le choix d’une approche plus « boutique », portée par une promesse d’un lieu apaisé, qui se fait ressentir à travers la conception et le design. Comme pour l’ensemble des opérateurs, une attention exigeante est donnée à la durabilité et au choix des matériaux.

© Corners

Une particularité du modèle de Corners réside dans notre modèle intégré : nous sommes à la fois développeur et opérateur. Nous ne faisons pas de gestion pour compte d’autrui. Nous concevons et exploitons exclusivement nos propres bâtiments, ce qui nous permet de garantir une cohérence et une qualité constantes dans le temps” explique Edouard Ralet.

En quatre ans d’activité, Corners a constitué un parc de dix maisons et accueille une centaine de membres (un terme délibérément choisi plutôt que « locataires » pour souligner la dimension communautaire du projet). La société se distingue également par son positionnement “cool living”, incarné notamment par sa maison phare de la rue Berckmans à Saint-Gilles, dont le mobilier provient majoritairement de la seconde main via des partenariats avec Les Petits Riens et Relieve Furniture.

Un secteur sous pression réglementaire

Le coliving bruxellois se concentre principalement dans les quartiers autour du Pentagone : Saint-Gilles, Ixelles, Etterbeek, Saint-Josse et Schaerbeek. Dans certaines zones, la proportion de maisons converties est significative : à Saint-Gilles, 11% des maisons vendues depuis 2015 ont été converties en coliving, 6% à Ixelles et 5 % à Etterbeek. Mais après une phase d’expansion rapide entre 2017 et 2021, le nombre de conversions de maisons unifamiliales se stabilise, voire diminue légèrement. Une inflexion largement attribuée aux nouvelles régulations. Le secteur dans son ensemble poursuit néanmoins sa croissance, portée désormais par des projets de reconversion de plus grande ampleur.

© DR/Shutterstock.com

Face à cette croissance, plusieurs communes ont réagi par des mesures fiscales. La Ville de Bruxelles a instauré en 2023 une taxe de 1.520 euros par chambre et par an, tandis qu’Etterbeek a opté pour une taxation de 90 euros par mètre carré de chambre privative. « Ces taxes sont considérables : à titre de comparaison, un studio meublé ou un kot sera entre 200 à 400 euros par an », souligne Edouard Ralet.

Au-delà de la fiscalité, le cadre réglementaire s’est durci. Un arrêté du Gouvernement bruxellois du 15 mai 2024 impose désormais l’obtention d’un permis d’urbanisme pour créer un coliving. Le futur règlement “Good Living” prévoit d’encadrer davantage le secteur, avec un maximum de 15 chambres par unité.

Les enseignements de l’étude IDEA Consult

L’étude réalisée par IDEA Consult, avec le soutien de l’UPSI, a analysé l’impact du coliving sur le marché résidentiel bruxellois à partir d’un échantillon représentatif d’environ 3.200 chambres réparties dans 300 immeubles. Ses conclusions battent en brèche plusieurs idées reçues.

Sur le marché acquisitif, l’étude conclut à un impact marginal : le coliving représente 1 immeuble pour 300 maisons unifamiliales, et 1 chambre pour 188 logements à l’échelle régionale. « Aucune hausse structurelle des prix des maisons imputable au coliving » n’a pu être démontrée, les évolutions de prix suivant une tendance stable depuis 2010, portée par des dynamiques de marché plus générales.

« Le secteur du coliving souffre de nombreux a priori qui se révèlent infondés à la lumière des données. On nous reproche notamment d’avoir un impact sur le prix de l’immobilier à Bruxelles. L’étude démontre clairement que c’est impossible : le nombre de maisons en coliving est beaucoup trop restreint pour influencer le marché », affirme Edouard Ralet.

© Corners

Concernant les loyers, le constat est plus nuancé. Les secteurs statistiques comptant le plus grand nombre de chambres de coliving présentent des loyers plus élevés et une augmentation plus rapide (+31% entre 2018 et 2024, contre +20% en moyenne régionale). Mais l’étude souligne la difficulté à établir un lien causal, le coliving se développant précisément dans des quartiers déjà en gentrification.

L’étude met également en lumière les caractéristiques du parc : 60% des colivings comptent entre 6 et 10 chambres, avec une surface moyenne de 39 m² par chambre (espaces communs inclus). Le loyer médian s’établit à 560 euros hors charges, soit 795 euros tout compris. Les taux d’occupation dépassent généralement 90%, et 85% des colivings répondent déjà à l’objectif régional de performance énergétique fixé pour 2033.

Une réponse à une demande spécifique

En fait, le coliving s’adresse à un public précis : des jeunes professionnels de 22 à 40 ans, majoritairement célibataires, en situation de mobilité. La composition se répartit typiquement entre un tiers de Belges, un tiers de Français et un tiers d’autres nationalités.

« Quand ils s’installent dans une ville ou débutent un emploi, ils se projettent à six mois ou un an, tout en gardant la possibilité de déménager, de changer de ville, ou d’attendre avant d’acheter un bien, explique Edouard Ralet. Le premier atout, c’est la flexibilité. Nous proposons un préavis court de deux mois, sans indemnité de rupture. Le deuxième, c’est la communauté. Le troisième, c’est le prix : tout compris, nous sommes en moyenne entre 750 et 850 euros par mois. »

© Corners

L’étude IDEA Consult conclut que le coliving « répond à une demande claire et croissante de célibataires et des nouveaux arrivants », et constitue « une offre complémentaire au parc immobilier classique, sans porter atteinte de manière structurelle à l’offre de logements pour des familles. »

Vers un cadre régional cohérent

Le secteur appelle désormais à une régulation harmonisée au niveau régional, sur le modèle londonien. « La politique doit encadrer les effets sans bloquer le développement », résume l’étude. L’enjeu : établir des normes explicites et une approche uniforme pour éviter les contradictions entre communes.

Pour Corners, les perspectives de développement restent ambitieuses. La société entend poursuivre son expansion dans l’ensemble des 19 communes bruxelloises, au-delà du seul quartier européen.

« Contrairement à ce que certains peuvent penser, le coliving ne s’adresse pas uniquement aux expatriés gravitant autour des institutions européennes. C’est un marché qui concerne l’ensemble des jeunes travailleurs, majoritairement célibataires (même si nous acceptons un couple par maison). Nous sommes convaincus que ce marché est considérable. Nous allons continuer à nous développer, non pas seulement dans les quartiers proches de la Commission européenne où nous avons deux maisons, mais dans l’ensemble des 19 communes bruxelloises, projette Edouard Ralet. À Paris, le coliving s’étend désormais à la première couronne, dans des zones accessibles en RER, pour des membres qui recherchent plus d’espace et de verdure.»

© Corners

Si les critiques persistent, certains observateurs (comme Inter-Environnement Bruxelles) dénoncent « la préemption par un système capitaliste d’une pratique de débrouille », et reconnaissent progressivement son utilité sociale. Le coliving bruxellois cherche encore sa place mais l’étude IDEA Consult constitue une pièce au dossier. Elle ne clôt pas le débat, mais elle l’enrichit de données jusqu’ici absentes.

Martin Boonen
Martin Boonen
Martin Boonen est journaliste diplômé de l'Institut de Journalisme de Bruxelles (2012). Il collaboré avec de nombreuses rédactions à différent niveau de responsabilité : journaliste, chef de rubrique, secrétaire de rédaction et rédacteur en chef, tant sur le web que pour la presse imprimée. Spécialisé dans les startups et l'entrepreneuriat à impact, il est devenu en 2025 rédacteur en chef du site web de Forbes Belgique. Il est affilié à l'Organisation Mondiale de la Presse Périodique depuis 2011.

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