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Avoirs russes : quand l’Euro mise sur sa souveraineté

Le sommet marathon qui s’est achevé à l’aube ce vendredi 19 décembre 2025 fera date, moins pour l’ampleur de l’aide accordée que pour la méthode choisie. En validant un plan de financement de 90 milliards d’euros pour l’Ukraine via un emprunt commun, les dirigeants européens ont délibérément écarté l’option de « gager » les avoirs russes immobilisés. Ce choix marque une étape clé : l’euro affirme sa souveraineté par la règle de droit plutôt que par l’opportunisme géopolitique. La Belgique, au passage, montre sa capacité à s’aligner sur des objectifs à moyen terme et à défendre cette notion même de souveraineté. On notera au passage l’ironie : c’est un nationaliste flamand qui l’a défendue avec assertivité et obtenue.

Le veto de la réalité technique

Dans une déclaration officielle, Euroclear a salué la décision du Conseil européen, réaffirmant sa volonté de travailler « en alignement avec les objectifs plus larges de stabilité financière et de respect de l’État de droit ». Ce statement, bien que diplomatique, confirme que pour l’institution bruxelloise, la priorité demeure la sécurité des actifs et l’intégrité des marchés mondiaux.

En renonçant à transformer des dépôts bancaires en instruments de guerre, l’UE protège ce tiers de confiance systémique. La stabilité immédiate des rendements sur la dette européenne valide cette stratégie : les investisseurs ont salué la préservation du droit de propriété, socle de toute place financière attractive. Le marché n’est pas une pâte à modeler que l’on peut tordre au gré des crises.

La signature européenne comme bouclier

En choisissant l’endettement collectif plutôt de »bricoler » avec les actifs d’autrui, l’Europe utilise son instrument le plus puissant : sa propre signature. Cette décision, bien qu’elle transfère la responsabilité financière sur les États membres plutôt que sur la Russie, est le prix de la réputation.

De là à y voir l’acte de naissance d’un Trésor européen adulte, il n’y a qu’un pas. En s’appuyant sur sa propre solidité économique pour lever des fonds massifs, l’UE transforme sa fiabilité en bouclier politique. Cette capacité à s’autofinancer sans déroger à ses principes est la définition même d’une puissance monétaire souveraine.

L’Europe scrutée

La séquence a été scrutée avec une attention particulière par la Chine, l’Inde et les pays du Golfe. En refusant de « militariser » ses institutions financières, l’Europe désamorce la menace de la dé-dollarisation. Si l’UE avait franchi le rubicon de la garantie par les avoirs russes, ces nations auraient pu craindre pour leurs propres réserves, amorcer un retrait massif de capitaux et se tourner vers d’autres cieux financiers. En restant dans les clous du droit, l’euro se confirme comme l’alternative la plus sûre et prévisible face au dollar, même en temps de guerre.

Le défi de Francfort

Ce choix reflète également la doctrine de la Banque Centrale Européenne. Tout au long des négociations, la BCE a alerté : préserver l’immunité des réserves étrangères est vital pour l’attractivité de la zone euro. L’arrivée de ces nouveaux titres sur le marché imposera toutefois à Francfort un pilotage de précision. L’institution devra absorber cette liquidité sans perturber sa politique de stabilité des prix. Les contribuables européens ne verraient pas la situation du même œil s’ils devaient subir une inflation plus élevée.

En résumé, l’euro sort de cette nuit non comme une arme qu’on brandit, mais comme un bouclier qu’on consolide. Il se dit de façon péjorative : les USA innovent, la Chine copie, l’Europe régule. Ainsi soit-il. L’Union européenne a prouvé cette nuit qu’une grande monnaie ne se gère pas par l’émotion, mais par la force tranquille de la loi. La régulation rigoureuse du droit de propriété pourrait être, en fin de compte, la forme la plus aboutie de la souveraineté.

Salma Haouach
Salma Haouach
De formation ingénieure de gestion de Solvay en 2001, major finance, Salma Haouach a démarré sa carrière dans le secteur financier avant de travailler dans l’ingénierie marketing et la communication stratégique à Valencia, Casablanca, Bordeaux et Le Havre avant de revenir à Bruxelles il y’a 10 ans et poursuivre sa carrière dans le conseil en stratégie et leadership durable. Parallèlement, elle a construit une carrière médiatique comme chroniqueuse dans des médias audiovisuels nationaux à partir de 2008 (L’Express, La Première, La Deux, BX1), elle a créé un média online d'éducation aux médias (Le Lab.) puis éditant et présentant deux émissions économiques : Coûte que Coûte sur Bel RTL et Business Club sur LN24.

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