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Bruno Venanzi, une vie après Lampiris et le Standard

Le cofondateur de Lampiris et ancien président du Standard pose un regard lucide sur ses échecs : « il faut toujours s’entourer de gens qui pensent autrement que vous ».

Né à Liège en 1970, historien de formation (ULg), Bruno Venanzi optera assez naturellement et rapidement pour une carrière de multi-entrepreneur. A quatre mains et deux têtes avec son partenaire de toujours, Bruno Vanderschueren, très tôt rencontré dans son parcours professionnel chez MCI Worldcom, une entreprise de télécommunication américaine fondée en 1983 et qui fera une faillite retentissante en 2002.

Après un passage dans un call center liégeois et chez Certipost (La Poste), il lorgne rapidement, début des années 2000, les marchés de la téléphonie fixe et des télécommunications, puis de l’énergie, tous deux alors en pleine libéralisation.

Jeunes entrepreneurs en herbe

Comme les deux trentenaires n’ont pas encore les moyens financiers pour s’offrir des licences de fournisseur d’énergie(s), ils créent d’abord un salon dédié au secteur en pleine transformation, Energex. Puis ils le revendent à un organisateur de salons. Ils créent parallèlement une offre de téléphonie fixe, concurrente de Belgacom et Télé2, qu’ils revendront un peu plus tard.

Fin 2005, avec l’argent généré par cette revente, ils s’offrent alors une licence de fournisseur d’électricité, en ciblant déjà la niche verte, encore balbutiante. « Il n’y avait alors aucune offre d’énergie verte sur le marché belge et on voulait trouver une niche qui nous permette de nous démarquer des leaders de marché, notamment en termes de marketing, pour devenir concurrentiels. Et en Wallonie, le marché se libéralisait beaucoup plus rapidement si on était en mesure de proposer aux clients particuliers une offre d’énergie 100% verte », se souvient le patron qui a co-fondé Lampiris avec Bruno Vanderschueren dès l’été 2003 et que l’on rencontre dans ses nouveaux bureaux néo-louvanistes logés au sein du pôle de bureaux partagés Silversquare, au cœur du quartier qui vient de sortir de terre entre la gare et le quartier de Lauzelle et prolonge le centre urbain historique.

Les deux Bruno, Venanzi et Vanderschueren, partenaires de toujours. Photo L.Bazzoni

Le carton vert Lampiris

A l’instar de ce que vivent aujourd’hui les agriculteurs avec les grands distributeurs, des accords passés avec les petits producteurs d’électricité verte à des prix plus intéressants que ceux habituellement imposés par les gros acteurs du secteur assurent alors à la jeune société la production nécessaire et pérennisent son offre différenciée. Lampiris était né.

Au moment de libéralisation du marché de l’électricité en Wallonie et à Bruxelles en janvier 2007, ce positionnement original fait rapidement gonfler la demande. Une collaboration avec Test-Achats pour cadrer les contrats en protégeant davantage les particuliers assurera au nouveau venu un classement favorable par rapport à la concurrence.

Pour assurer l’offre, le jeune groupe liégeois doit alors rapidement s’approvisionner sur les autoroutes internationales de la distribution d’électricité haute tension via Elia et de gaz via Fluxys. La clientèle augmente rapidement, passant de 100.000 à 500.000 clients. De fil en aiguille, Lampiris atteindra la barre du million de clients, ouvrira une filiale dans l’Hexagone voisin où le marché se libéralise plus tardivement. Au moment de sa revente à Total Energies, le nombre d’employés dépasse la barre des 250 pour les deux pays.

Les lignes de crédit flirtent avec les 100 millions d’euros; mais la croissance et les marges saturent et se pose le dilemme de grandir encore, en devenant producteur, ou de revendre. La décision de vendre est alors actée à l’été 2016 sur base d’une enveloppe avoisinant 150 millions d’euros. A ce moment, les deux fondateurs détiennent encore 65% du total des actions de Lampiris, aux côtés de la GIMV et de la SRIW.

Le carton rouge du Standard

Avec une partie du bas de laine Lampiris -une cinquantaine de millions-, Bruno Venanzi, supporter des rouches depuis toujours et déjà vice-président du club aux côtés de Roland Duchâtelet depuis six mois, finalise alors rapidement la procédure de rachat du club de Sclessin. « Roland avait envie de vendre et voulait conserver l’ancrage liégeois. Je pensais -je pense toujours- qu’il y avait à cette époque un business potentiel énorme à développer autour du club de foot: il n’y avait aucun listing d’abonnés, aucun suivi et aucune présence du club sur les réseaux sociaux. Tout se faisait encore en liquide à l’époque. On a alors voulu jouer cette carte-là pour fidéliser la clientèle existante et augmenter les revenus. On a lancé la carte d’abonné ‘cashless’, par exemple. Mais il ne faut pas oublier que le ‘core business’ d’un club de foot, cela reste les résultats sur le terrain… »

« L’échec du Standard m’a appris qu’il faut toujours s’entourer de gens qui pensent autrement que vous »

Ceux-ci se maintiendront vaille que vaille durant cinq ans; mais la pandémie sonnera le glas à tout niveau. « Je l’ai dit et je le répète: je ne me suis pas suffisamment entouré. J’étais seul actionnaire, sans administrateurs indépendants, et rarement contredit au moment de prendre les décisions. C’est un réel danger, a fortiori dans un club de foot où tout est très émotionnel. Le personnel, c’était un peu des courtisans, fiers de travailler pour le Standard qui était -et qui reste- une marque très forte. La sixième année, en 2021-2022, lors de l’interruption du championnat, mon bas de laine n’était pas suffisant. J’avais des problèmes de trésorerie; je devais réinvestir dans des joueurs de qualité pour pouvoir jouer à nouveau le titre. Mais ce genre de placements, en foot, cela reste très aléatoire: une blessure, un penalty décisif raté durant un match à enjeu financier européen, un joueur qui a moins de 20 ans, gagne 1 million brut par an et joue les forces centrifuges dans le vestiaire peuvent vous coûter rapidement très cher, voire plomber votre capital escompté. Et vous n’avez pas de pare-feu.

Bruno Venanzi devant ses nouveaux bureaux de Louvain-la-Neuve. © Philippe Coulée

J’ai perdu plusieurs millions d’euros. Il fallait refinancer. Et si je le faisais, je perdais tout ce que j’avais comme réserves. J’ai dû m’avouer que je ne boxais clairement pas dans la même catégorie que les présidents de Bruges ou de l’Antwerp, Bart Verhaeghe et Paul Gheysens. Vu l’ambiance délétère, j’ai préféré chercher un partenaire ou un repreneur », avoue Bruno Venanzi, qui assure néanmoins ne rien regretter après-coup de cette expérience malgré l’échec entrepreneurial tant sur le plan sportif qu’immobilier. Et passé la mauvaise expérience, il nuance la portée de celle-ci : « Le foot, c’est un secteur très ‘up & down’, mais qui peut vous apporter des joies indescriptibles quand le résultat sportif est au rendez-vous. Pour le reste, j’ai récupéré une bonne partie de ma mise et j’ai vécu d’autres échecs -moins émotionnels, c’est vrai- durant mon parcours d’entrepreneur. Il faut accepter ça. Savoir prendre sa perte, c’est une leçon récurrente qui vaut pour tout le monde ».

Malgré la conjoncture peu porteuse, les hommes providentiels s’appelleront alors François Fornieri, longtemps pressenti pour une recapitalisation, puis Sergey Lomakin, un entrepreneur russe, cofondateur de la marque Fix Price, rencontré à Dubaï et « prêt à réinvestir rapidement beaucoup d’argent ». Cet homme d’affaires providentiel qui pèse alors 3 milliards de dollars tiendra longtemps la corde pour la cession du club. Mais pour l’un comme pour l’autre, la conjoncture du moment -les affaires et la guerre en Ukraine- portera préjudice à l’opération et fera capoter les transactions. De guerre lasse, Bruno Venanzi se tournera alors vers le groupe US 777 Partners qui, depuis le rachat du club en 2022, n’a guère rempli ses promesses et se contente au mieux de restructurer des dettes. Pour le Standard, même ce minimum n’a pas été honoré, comme on le sait. Résultat: le club liégeois est aujourd’hui menacé de faillite et de disparition pure et simple.

« Je suppose qu’ils voulaient revendre à terme avec une plus-value. Mais pour cela, il aurait fallu engranger des résultats. Et pour engranger des résultats, il aurait fallu réinvestir dans le fond de jeu. Ce qui n’a clairement pas été fait…», commente brièvement l’ancien président, victime collatérale de premier rang de la situation pitoyable actuelle et, par la force des choses, de retour à la table des négociations futures pour tenter de sortir de l’ornière financière actuelle. En premier rang des actifs à valoriser pour tenter de rembourser en partie les créditeurs lésés par le propriétaire US actuel en défaut de paiement se trouvent les briques du stade et les acquisitions foncières historiques de l’Immobilière du Standard, rachetée (sur papier) il y a deux ans pour un montant convenu -non réglé à ce jour- de 12 millions d’euros par SDL BV, une société affiliée à 777 Partners LLC.

Plus jamais seul

Aujourd’hui, après un long break et un voyage au long cours de quatre mois autour du monde avec son épouse «où j’ai rencontré, sans les trier, des gens d’une gentillesse extrême sur tous les continents, y compris sur l’île de Pâques où je voulais absolument m’arrêter», il est revenu aux affaires, avec un ami d’enfance, au sein de la jeune société de conseil NEXT5, qui regroupe une équipe de consultants expérimentés et multidisciplinaires.

Bruno Venanzi
Bruno Venanzi – © Philippe Coulée

Cette fois, Bruno Venanzi n’est pas associé à l’autre Bruno, qui a de son côté créé son propre fonds d’investissement dédié à la transition énergétique à Anvers. Mais il reste toujours associé avec son partenaire historique au sein d’une petite immobilière qui détient deux actifs à Liège, dont un où se trouve d’ailleurs toujours les bureaux de Total Energies, ex-Lampiris. «On y détient encore quelques actifs et quelques projets à développer».

Quant à Next5, elle regroupe pour sa part trois partenaires seniors actifs, chacun sur son segment d’expertise, et deux administratrices indépendantes. Le trio s’adjoint également les compétences de consultants indépendants extérieurs en fonction de ses missions. «Olivier André est spécialiste en ressources humaines, Jérôme Drugeon, que je connais depuis 40 ans et qui a notamment travaillé chez Belgacom, Electrabel et La Poste, cible davantage tout ce qui est communication interne et externe; et moi, je me focalise sur les PME préoccupées par leur stratégie de croissance», précise Bruno Venanzi, par ailleurs administrateur indépendant chez Maison Blavier, Kypselis (société de services et conseil en informatique), au sein de la fondation Léo Fredericq et de l’asbl Panier Solidaire.

Partager son expérience de 25 ans

Pourquoi Next5, outre les cinq piliers fondateurs? « On est opérationnel depuis 6 mois seulement. On ambitionne d’accompagner les sociétés qui font appel à nous pour réaliser leur vision stratégique à 5 ans. Mais on promet aux clients qui font appel à nous une réponse dans les 5 jours et une première ébauche endéans 5 semaines ou 5 mois, selon la taille ».

Parmi les premières références, on peut déjà pointer Multios (logiciels informatiques, Soignies), Certinergie (certifications diverses dont PEB, Verlaine), BePharBel (développement pharmaceutique, Courcelles), Epoca Products (emballages plastique personnalisés, Wavre) ou Leyton, un groupe international de conseil spécialisé en financement de l’innovation. «C’est motivant de pouvoir partager ses expertises entre nous, en groupe parfois élargi à des tiers, et d’aider nos clients à mieux grandir. Si j’avais eu ça au Standard, les choses se seraient sans doute passées différemment. Même si on aurait de toute façon tiré le penalty sur le poteau…», conclut Bruno Venanzi.

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