A l’âge de 23 ans, Maïté Meeûs a
lancé en octobre 2021 « Balance ton Bar« , un mouvement qui vise à lutter contre la soumission chimique, c’est-à-dire le fait de droguer quelqu’un à son insu, et contre les violences sexistes et sexuelles. Ce mouvement s’est depuis étendu à plus de 50 villes à travers le monde. Son engagement a capté l’attention des sphères politiques et médiatiques, contribuant notamment à la réforme du Code pénal sexuel en Belgique. En avril 2022, elle a reçu le
Prix Amnesty Jeunes des Droits Humains en hommage à son travail en faveur des victimes de violences. En février dernier, elle s’était également vue décerner le
Prix de la Citoyenneté de la Fondation P&V, qui a pour objectif de récompenser des personnalités belges qui oeuvrent en faveur d’une plus grande justice sociale et promeuvent une société plus équitable et inclusive. Maïté est aussi la fondatrice d’
Artémise, une organisation dédiée à soutenir les survivants les plus vulnérables de violences sexuelles, offrant un espace sûr où ils peuvent s’exprimer, se reconstruire et se libérer. Elle a poursuivi son activisme en prenant la mer en direction de Bélem, au Brésil, et de la COP30 à bord d’un
voilier emmenant un équipage 100% féminin.
Forbes.be – Pourquoi avoir fondé Balance ton bar ?
Maïte Meeûs – C’est à la suite de plusieurs témoignages qui ont émergé au Cimetière d’Ixelles concernant des personnes qui ont été droguées à leur insu et victimes de violences. Je voyais déjà la façon dont les médias dépeignaient la chose en disant « voilà, ce sont des cas isolés », comme si cela n’arrivait jamais. Alors qu’on connait énormément d’autres femmes qui ont été victimes de violences. La soumission chimique, ce n’est pas non plus nouveau. Je me suis donc dit qu’il fallait absolument centraliser tous ces témoignages et rendre visible ce phénomène. Et aujourd’hui, cela a pris un écho particulier avec l’affaire Pélicot, du nom de cette Française qui a été droguée par son mari et qui a été violée par d’autres hommes dans son sommeil. Ils ont été 51 hommes à être jugés en France. Cela a montré que la soumission chimique existe, que cela se passe. Il y a eu une prise de conscience assez massive par rapport à ce phénomène. Le fait que je récolte ces témoignages et que je les mette en lumière, ça a créé un tollé sur les réseaux sociaux. Énormément de gens ont partagé ce qui leur était arrivé, se sont mobilisés dans la rue. Puis les médias ont embrayé et en ont beaucoup parlé, jusqu’à ce que cela attire l’attention du politique.
– Les témoignages ont rapidement afflué…
– Très vite, j’ai reçu une tonne de témoignages. C’était assez impressionnant. D’abord uniquement concernant Bruxelles et ses environs. Puis cela a pris de l’ampleur et j’ai commencé à recevoir des messages d’ailleurs: Paris, Lyon, Marseille, Montréal, Rome. Je me suis dit que je ne pouvais pas tous les poster sur la page Facebook Balance ton Bar pour Bruxelles car j’allais me perdre au niveau des revendications que je souhaitais porter. J’ai donc ouvert d’autres pages pour chacune de ces villes, que j’ai confiées à des volontaires. On en a eu plus de 55 en tout, notamment à travers la Belgique, la France, l’Espagne et la Tunisie, qui ont chacune porté certaines revendications dans leurs propres villes.
Cela vous occupe-t-il toujours aujourd’hui ?
– Oui, mais j’ai continué le travail avec autre chose. Pour moi, libérer la parole était en effet très important et reste primordial. Mais j’étais aussi atterrée devant la façon dont on traitait cette parole quand elle se libérait. Au niveau de la prise en charge de ses victimes, notamment d’un point de vue thérapeutique, c’était ainsi assez catastrophique. En Belgique, on avait par exemple très peu de centres de prise en charge des violences sexuelles (CPVS). Aujourd’hui, je pense qu’on en a dix à travers le territoire. Ces centres s’occupent de façon pluridisciplinaire des victimes, que ce soit au niveau médico-légal ou pour le dépôt de plainte. Mais il y avait cependant un angle mort au niveau de la reconstruction des personnes qui ont vécu ces violences. J’ai souvent demandé aux personnes qui témoignaient comment je pouvais les aider et elles me répondaient souvent qu’elle avaient besoin de parler. Je leur recommandais d’aller voir tel ou tel psychologue. Mais, pour certaines personnes, ce n’était pas envisageable car cela coutait trop cher ou que ces professionnels étaient déjà surchargés de patients. Je les ai alors aiguillés vers des centres de santé mentale, où il y avait cette même problématique de surcharge. Les personnes n’étaient pas non plus formées à la thématique des violences sexuelles et reproduisaient parfois des trucs assez violents dans leur façon d’aborder la thérapie. J’estimais que ce ne devrait pas être un luxe ni un parcours du combattant de se reconstruire. Cela m’a poussée à fonder une association qui s’appelle Artémise et qui vient en aide aux victimes de violences sexuelles pour les plus précaires. Elle s’occupe des adultes comme des enfants, avec des psychologues qui sont formés à l’accueil de leur victime spécifique. On organise des groupes de parole et des suivis individuels et cela se passe très bien.
– Gérez-vous toujours la page Balance ton bar pour la Belgique ?
– Oui, et je continue aussi à militer activement. J’ai organisé il y a quelques mois une manifestation de soutien à Gisèle Pélicot en Belgique. Je continue également à aller parler dans les médias d’un sujet qui n’est pas toujours facile, lourd et auquel tout le monde n’est pas toujours réceptif. Alors, certes, les choses ont pas mal évolué mais le traitement médiatique de la question des violences sexuelles n’est pas toujours idéal, donc nous essayons de faire passer le message.
– Comment menez-vous votre vie professionnelle et votre vie de militante ?
– Très rares sont les personnes vraiment rémunérées pour militer, ce qui est très compliqué et pose parfois des soucis éthiques. Mais, en ce qui me concerne, j’ai un rôle de gestion de mon association et je suis payée pour cela. C’est une problématique dont j’ai fait mon métier car cela représente une mission de vie pour moi.
– Comment se fait-il que vous ayez pris cette problématique autant à bras le corps dans votre jeunesse et dans votre vie d’étudiante ?
– Je pense avoir été touchée personnellement par mon vécu et par les personnes qui ont évolué autour de moi. J’ai été élevée par une femme seule aussi, avec peu de moyens. J’ai perçu beaucoup de choses au travers de ce prisme-là, au travers de mon prisme de jeune femme qui grandit sans énormément de repères. J’ai très vite senti une indignation en moi. Mais ma maman était elle plutôt engagée sur d’autres questions. Et puis, vers mes 18-19 ans, en 2016, j’ai moi-même pu m’informer sur ce qui se passait autour du phénomène #Metoo. Je suis allée à la rencontre de nombreuses personnes, je me suis informée, j’ai compris que je n’étais pas seule dans cette situation et que c’était une expérience assez universelle et. Et voilà, à partir de là, j’ai su poser des mots sur ce que je vivais et ressentais.
– Comment définiriez vous la Maïté Meeus d’aujourd’hui? De militante, de féministe, d’activiste ?
– Je me définirais comme comme une jeune femme qui milite pour ce qui est juste, tout simplement. Je n’ai pas peur du tout du mot féministe car, quand on regarde la définition, cela correspond à des gens qui militent pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Ce n’est pas un terme qui est extrême, même s’il peut être perçu comme cela par certaines personnes… Je le sais parce que j’ai certaines personnes autour de moi qui me disaient que je militais pour le droit des femmes, et que ce n’était pas la même chose, que je n’étais pas féministe. Comme si c’était un vilain mot. La féministe peut parfois être perçue comme quelqu’un d’hystérique, en colère, avec des revendications qui ne sont pas totalement justes. Or, quand on s’intéresse aux combats féministes, on voit que ce n’est pas une idéologie loufoque et qu’elle est basée sur une réalité et des faits, avec des statistiques.
– Dans tous les témoignages que vous avez reçus, y en a-t-il provenant d’hommes ?
– Il y en a eu. Très peu, mais il y en a eu. Quand on examine les statistiques, on voit qu’ils sont moins victimes que les femmes. Mais ils ont aussi beaucoup plus de mal à en parler. Il y a une stigmatisation de l’homme victime, vu comme quelqu’un qui serait très faible, qui n’aurait pas su se défendre et qui ne serait pas viril. Et c’est encore une vision qu’on essaie de combattre. Tout le monde peut être victime: un enfant, un homme, une femme.
– Avez-vous reçu des menaces à la suite du lancement de cette page et de ce mouvement Balance ton bar ?
– Beaucoup, oui. Et pas que d’hommes, mais aussi de femmes. J’ai aussi reçu tellement de mots positifs de personnes qui me disaient que c’était une des grandes étapes de leur reconstruction car cela avait été « validé » aux yeux de tous ou que cela avait libéré quelque chose en elles.
– Venons-en enfin à ce prix Forbes. Comment avez-vous perçu cette distinction ?
– J’étais très heureuse évidemment. Je ne pensais pas que Forbes se tournerait un jour comme cela vers les activistes. J’ai été surprise de faire partie d’un panel de lauréats aussi diversifié et je trouve ça chouette parce que cela permet de faire passer le message ailleurs. On dit parfois que quand on est engagé, on prêche souvent des cercles de convaincus. Ce que j’essaie de faire, c’est d’aller dans des médias où on n’entend pas souvent ce genre de discours ou alors qui ne sont pas toujours réceptifs à ce genre de discours. Et j’ai l’impression que Forbes offre ce genre de plateforme, de pouvoir faire parler dans ce combat auprès de personnes qui ne sont pas spécialement dans ces cercles.
– La distinction dépasse Maïté Meeus ?
– Oui, clairement. Je suis hyper flattée, évidemment. Mais je mets beaucoup l’accent sur la force de la communauté, qui est un mot qui m’est vraiment cher. Il y a une force de mobilisation dans ce mouvement. Il y a énormément de personnes qui ont livré leur témoignage pour nous, qui se sont mobilisées dans la rue, qui ont mis la pression et sans lesquelles on ne serait nulle part. Donc, oui, je veux les remercier. C’est ça, la force de la communauté et du collectif. Et puis cela contribue à crédibiliser ce qu’on a déjà construit. Je pense que ça peut aider à porter ce projet encore plus loin et ouvrir de nouvelles portes.
– Comment voyez-vous votre avenir. notamment au sein de votre ABSL Artémise ?
– J’ai toujours eu pour habitude d’essaimer les choses. C’est ce qu’il s’est passé avec Balance ton bar, et c’est ce que je compte faire avec cette association. Pour l’instant, on est présent sur Bruxelles et on essaie de se déployer sur d’autres villes en Belgique. On vise surtout les chefs-lieux, ce serait l’idéal. Avoir un pôle qui propose aux enfants et aux adultes d’être suivis et de pouvoir se reconstruire gratuitement et à leur aise. Et puis, je suis très très touchée par le sujet du viol comme arme de guerre et c’est un sujet sur lequel je m’informe beaucoup. Pour le moment, je vais à la rencontre des acteurs et des actrices de terrain et j’aimerais donc pouvoir, à mon échelle, essayer de répondre à cette problématique au niveau thérapeutique, au niveau de la reconstruction des victimes. Enfin, étant une personne très très créative, j’ai toujours cru en l’art com comme outil de reconstruction et nous allons donc proposer de l’art thérapie aux bénéficiaires. Je veux voir comment explorer cela et mettre plus de créativité dans notre activisme.