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Christian Van Thillo : « Je suis un fils à papa »

Presque deux ans après le lancement de l’opération, DPG Media (HLN, VTM, RTL-TVI) a finalisé l’acquisition de RTL Nederland cet été. Une transaction qui dépasse le milliard d’euros. Et propulse le groupe flamand, avec 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dans la cour des grands de la presse européenne. Une « success story » qui n’était pas écrite lorsque Christian Van Thillo a pris les rênes de ce qui n’était, voici près de trente ans, qu’une société familiale « en crise ».

© Eric Herchaft

Perché au sommet de la plus grande rédaction du royaume, à une encablure de la gare Centrale d’Anvers, le bureau de Christian Van Thillo est à l’image du « gendre idéal » que le jeune sexagénaire demeure : son regard embrasse l’horizon et ses possibles, son apparence respire l’élégance et tout ce qu’il recèle vaut de l’or… Teint hâlé, yeux tantôt rieurs tantôt perçants, le patron de DPG Media a l’accueil facile. Et le verbe habile. Comment s’est-il hissé au sommet ? « Parce que je suis un fils à papa », provoque-t-il. Sauf que, si ce n’est pas faux, c’est trop lapidaire. Et il le sait. Car il aurait pu se contenter de conduire une belle sportive jusqu’à la fin de ses jours mais il a fait mieux, beaucoup mieux : il a construit un empire médiatique en une vie professionnelle. 

« Quand j’étais adolescent, tous les étés, je travaillais dans l’imprimerie familiale où on éditait Joepie. » Alors que le père, Ludo, affectionnait plutôt l’impression, le gamin s’intéresse lui au contenu du magazine pour la jeunesse. « Ça me passionnait. Je demandais au rédacteur en chef comment il concevait la couverture du magazine. » L’éditeur en herbe choisit le droit à la KUL. « Puis j’ai fait mon service militaire. » L’histoire ou plutôt la préhistoire de ce qui deviendra l’une des plus grandes réussites médiatiques en Europe commence à ce moment-ci : « Je voulais faire un MBA aux Etats-Unis. Avant de partir, je savais que je ferais ma carrière dans la société. » Savais ? « Parce que j’en avais parlé avec ma famille, avec mon grand-père, avec mon oncle qui gérait la banque (Spaarkrediet, propriété de la famille qui sera revendue à KBC, NDLR), avec mon père aussi évidemment qui m’avait dit : tu es celui qui devrait rentrer dans la société parce que ça te passionne. La famille a payé mon MBA et je suis parti aux Etats-Unis. » Chez l’Oncle Sam, Christian ne chôme pas : « Entre mes deux années de MBA, je suis resté là-bas, j’ai travaillé au Washington Post, au Chicago Tribune, à USA Today. J’allais visiter toutes les entreprises que je pouvais, multipliais les “business cases” . Je suis revenu avec une certaine connaissance des médias américains. À l’époque, presque toutes les maisons d’édition aux Etats-Unis connaissaient un grand succès. C’étaient presque des monopoles régionaux. Et puis j’ai commencé. » 

© Eric Herchaft

En tandem

A la fin des années quatre-vingt, les Van Thillo viennent d’acquérir une part majoritaire dans les Editions Hoste qui publient notamment Het Laatste Nieuws. Parallèlement, tous les éditeurs flamands participent, sur invitation du gouvernement, à la fondation de VTM, la première chaîne de télévision privée en Flandre. « C’était des années très difficiles parce que c’était le début de la télévision dans laquelle nous n’avions que 11 %. La télévision prenait la pub de la presse. Quand j’ai commencé, nous étions une société en crise. » 

Christian a 27 ans. Il vend des titres, de l’immobilier. « C’était un peu de la survie. Il fallait générer du cash. » Il n’opère pas seul. « Moi je m’occupais de la gestion opérationnelle, du métier d’éditeur proprement dit. Mais on devait sauver la société, il y avait beaucoup de transactions. Et ça c’était la spécialité de mon beau-frère, Christophe Convent. Il avait commencé comme banquier d’affaires, très jeune. A l’époque, il avait 31 ans. C’est vraiment un duo qui s’est créé. Un duo crucial. Crucial jusqu’à aujourd’hui encore. Christophe est un maître négociateur, quelqu’un qui connait très bien le monde de la finance. Pour toutes les acquisitions que nous avons faites – et Dieu sait combien on en a fait pendant ces 35 dernières années – Christophe a été fondamental. »

Durant ces années, à coups d’acquisitions, le tandem Van Thillo-Convent fait du petit éditeur Hoste un véritable groupe qui se rebaptise d’ailleurs « de Persgroep ». « Faire grandir l’entreprise pour la faire grandir n’a jamais été notre objectif. On a toujours suivi des stratégies, que ce soit dans la presse, en télévision ou en radio. Et quand le digital est arrivé, ce qui a tout changé, on s’est dit qu’on devrait tout digitaliser. Et c’est en formulant cette stratégie qu’on a pu faire toutes les acquisitions que nous avons faites. Mais il faut bien comprendre qu’on n’aurait jamais pu faire toutes ces transactions si on n’avait pas connu le succès dans notre métier de base. Nous ne sommes pas des banquiers ou des investisseurs. Nous avons commencé avec Het Laatste Nieuws qui était numéro deux du marché, derrière le Nieuwsblad. Nous perdions de l’argent. On en a fait le numéro un. » 

La recette de ce succès ? Le contenu et la stratégie. Les gens aussi. Surtout. « J’imagine que j’ai joué un rôle important dans l’évolution de la société, mais j’ai toujours été un vrai team player qui aime travailler avec les meilleurs, avec des talents. » Tel serait le secret de Christian Van Thillo ? Il réfléchit un instant. « Je ne sais pas si je me connais si bien moi-même. » Il regarde au loin. « Ma force, c’est plutôt la stratégie, le produit. Et faire en sorte de trouver les bonnes personnes, de former une équipe. D’ailleurs les équipes de DPG sont souvent formées de gens qui ont une ancienneté de 25 ans ou 30 ans. » Mais il y a plus… Ses yeux pétillent. « La passion. Pour le lecteur, le téléspectateur… C’est pour eux que nous créons tous ces produits. La passion du métier. Comprendre quelle est la bonne formule pour un quotidien, un site, un programme télé. Est-ce que ça tient la route ? Est-ce que ça va marcher ? Ce n’est pas une science, c’est quelque chose qu’on sent ou qu’on ne sent pas. »

Plus de trois décennies après ses débuts, cette passion reste le moteur quotidien. « La transformation digitale nous a obligés à nous réinventer. On aurait aussi pu décider, comme certaines maisons d’édition l’ont fait, de sortir de certains de nos métiers et de dire “ça n’a plus aucun avenir, on ne va investir que dans du digital”. Nous avons préféré nous réinventer. Et nous sommes encore au début du journalisme numérique. » Un journalisme qui change ? « Fondamentalement, c’est la même chose : l’essentiel, c’est trouver le sujet et l’angle. Et puis raconter cette histoire d’une façon formidable. Ce qui est différent, c’est la présentation. Tous les week-ends, je lis encore des journaux papier. Je feuillette, je regarde, je choisis les articles. Sur un smartphone c’est différent, il y a beaucoup moins de place, la navigation et le storytelling sont différents. La vidéo devient de plus en plus importante. » 

© Eric Herchaft

Partager ses doutes

Si le numérique a bouleversé l’industrie médiatique, une nouvelle révolution est en cours et bouscule de nouveau les fondements sociaux : « L’intelligence artificielle change beaucoup de choses. Moi, je l’utilise déjà dix fois par jour. Les gens ont beaucoup plus de réponses instantanées à des questions qu’ils se posent sur l’actualité, sur leur santé, sur plein de choses qui les intéressent, qui les interpellent, etc. Pour le journalisme, le défi est de taille. C’est la sérendipité qui compte. Il faut surprendre, faire réfléchir. Notre journalisme doit donc être créatif, extrêmement bien écrit et raconté. Cela va changer notre métier. » 

« L’intelligence artificielle, c’est le plus grand vol de l’Histoire »

Christian Van Thillo pointe aussi les risques de l’intelligence artificielle pour les médias : « C’est le plus grand vol de l’Histoire. Car l’intelligence artificielle a été créée avec nos contenus. Il n’y a aucun respect parmi les sociétés américaines pour le copyright, qui d’ailleurs est régulé de façon totalement différente aux États-Unis. » Un vol qu’il faudra transformer en opportunité : « Dans le passé, nous contrôlions la distribution de nos contenus. Aujourd’hui, internet nous permet de distribuer ce contenu de façon illimitée. La seule chose qu’il faut continuer à contrôler, c’est ce contenu et réfléchir à la distribution. Est-ce qu’on veut une distribution par des sociétés externes ? On a conclu un accord avec Google. On en fera peut-être avec OpenAI, Perplexity ou Mistral. » 

Pour appréhender toutes ces questions, Christian Van Thillo recourt au doute. « C’est très important », enchaîne-t-il. « Surtout de partager ses doutes. Qu’est-ce qui marchera demain ? Dans cinq ans ? Dans dix ans ? J’ai autant de doutes que de convictions. Donc nous réfléchissons ensemble. En équipe. Avec les gens que j’ai choisis. Pour arriver à une vision commune. La stratégie n’est finalement que l’exécution d’une vision. Et c’est là qu’on réalise 90% du succès. Le secret est là, c’est l’exécution. »

« Je rachèterais Mediafin immédiatement si je pouvais… »

Des doutes qui aboutissent à une vision, parfois à des regrets aussi. « Les plus importants sont toujours d’ordre humain. Nommer quelqu’un, travailler avec quelqu’un et arriver à un constat d’échec est toujours douloureux. Il n’y a rien de plus important que l’aspect humain dans une boîte. Les gens qui y travaillent et ceux qui n’y travaillent pas encore doivent se dire “tiens, c’est une société où je peux réaliser mes rêves professionnels maintenant”. Une entreprise, c’est une pyramide : les gens doivent toujours avoir des opportunités pour monter plus haut. C’est normal. Et donc une entreprise doit évoluer, doit innover, doit changer afin qu’elle reste attractive. » Et dans les affaires, pas de regrets ? « Si évidemment. Le plus important, c’est la vente de Mediafin. » En 2018, DPG Media a racheté à Roularta (Knack, Le Vif-L’Express) les 50% que ce dernier détenait dans VTM afin de détenir l’entièreté du capital et de finaliser sa stratégie numérique en multipliant les synergies entre VTM et HLN. Au passage, DPG a toutefois dû céder les 50% qu’il détenait lui-même dans Mediafin (De Tijd, L’Echo) à Roularta. « On n’a pas eu le choix mais je rachèterais Mediafin immédiatement si je pouvais… »

© Eric Herchaft

« Je n’ai que 63 ans »

En juin dernier, l’autorité de la concurrence a donné son feu vert au rachat de RTL Nederland par DPG Media au groupe RTL pour 1,1 milliard d’euros. « C’est une très grosse opération que nous devrons digérer tant financièrement qu’opérationnellement. C’est la principale priorité du groupe dans les années à venir. D’ailleurs, tant en Belgique qu’aux Pays-Bas, les deux pays où nous sommes actifs, je ne vois plus de possibilité pour nous de grandir dans les médias. Dans les services en ligne, on pourrait encore le faire. Imaginons qu’Immoweb soit à vendre demain, nous regarderions évidemment. A part ça, il y a l’étranger aussi mais ce sera à plus long terme. Christophe et moi n’avons jamais vraiment été à la recherche d’acquisitions. C’était des choses qui arrivaient, tout simplement. On connaissait des gens dans le métier, on investissait beaucoup de temps dans nos relations avec des patrons d’entreprises et tout à coup, il y en avait un qui nous appelait parce qu’il était vendeur. »

Christian Van Thillo a aujourd’hui 63 ans. « Je n’ai que 63 ans », corrige-t-il avec un sourire. Sa succession ? « J’ai nommé un CEO voici déjà cinq ans, Erik Roddenhof. 

Je gérais déjà l’entreprise depuis 31 ans, donc j’en avais bouffé de l’opérationnel. Cela m’a permis de me concentrer sur la stratégie. Il n’y a peut-être pas moins de stress, mais c’est un autre stress, une autre anxiété, d’autres doutes disons. Je compte continuer jusqu’à mes 70 ans. Et je dis toujours à mes collaborateurs le jour où je deviens une caricature de moi-même, dites-le moi et je partirai. » Dans une société familiale, lorsque la fin d’une génération s’annonce, mille questions se posent. Qui pour reprendre le flambeau familial ? Christian et son épouse, l’architecte d’intérieur Nathalie Van Reeth, ont une fille, June qui a créé The TwentyFour Six, une plateforme qui met en lumière des créateurs et des artistes. « Elle a eu l’idée quand elle étudiait à Columbia – un master en journalisme d’ailleurs. Elle adore l’aspect du storytelling mais elle l’a interprété de façon différente par rapport à ce que nous faisons dans les médias. Elle raconte l’histoire de créateurs qui la passionnent et l’inspirent. Elle co-crée aussi des bijoux, des vêtements avec des grands designers, des acteurs. Je ne l’ai même pas aidée. » Et DPG dans tout cela ? « On en parle, tout comme on parle beaucoup de sa petite entreprise. Et il est clair que je suis fier parce qu’elle réussit et elle travaille dur. De toute façon, dans la famille, nous avons une charte qui veut que personne de la famille n’entre dans le groupe sauf aux conditions suivantes : disposer d’un diplôme (de préférence deux) universitaire et de minimum cinq ans d’expérience,  rentrer à un certain niveau dans l’entreprise et être approuvé par le CEO et deux administrateurs indépendants. »

« On tient à notre indépendance »

Une autre question qui traverse la plupart des groupes familiaux : la cession. « Nous ne sommes pas à vendre », coupe court Christian Van Thillo. « On tient à notre indépendance. Dans une entreprise comme la nôtre, il est important d’avoir des lignes de décision très directes. Aller voir notre conseil d’administration et dire “Bon, les gars, ça n’a pas marché parce qu’il y a un actionnaire qui croit ça et un autre qui a d’autres priorités”, ce n’est jamais comme ça et ça n’a jamais été comme ça. C’est une entreprise familiale sans en être une : elle est gérée comme une société cotée en Bourse. Nous avons une majorité d’administrateurs externes indépendants. La gouvernance est très claire. Nous réinjectons toujours 70% des bénéfices dans l’entreprise. Et s’il faut plus, pour cause de pandémie ou d’acquisition, nous le faisons. » Injecter de l’argent dans l’entreprise, de la valeur aussi : « Nous avons des journaux de droite comme de gauche. Et la seule chose qui est importante dans notre charte, c’est que jamais nous n’éditerons des titres qui ne croient pas de façon fondamentale en la démocratie. C’est tout ce qui compte. »

« La gouvernance est très claire. Nous réinjectons toujours 70% des bénéfices dans l’entreprise »

Et que fera Christian Van Thillo à 70 ans ? Ce qu’il fait déjà aujourd’hui tous les jours : « Du sport », conclut-il. « J’adore le kite surf, le wind foil. Tout ce qui se fait dans les vagues, sous le vent. Le ski aussi. En fait, tout ce qui glisse. Et la natation. Et le vélo. » Christian Van Thillo est avant tout un dévoreur de vie : « J’aime la musique aussi. Raison pour laquelle je suis tellement content qu’on ait des radios dans le groupe. J’adore les années 60, 80, 90 aussi, la musique classique. A mes yeux, c’est de loin la plus belle forme artistique qui soit. Mais j’aime beaucoup la peinture et l’art en général. Et si j’ai un regret, c’est que j’y ai consacré trop peu de temps à cause des affaires. Mais bon… » 

Le groupe DPG Media

Chiffre d’affaires. 2,4 milliards d’euros en 2024 (en intégrant RTL Nederland)

Résultat (Ebitda). 348 millions d’euros
(sans RTL Nederland)

Personnel. 5.304 personnes

Siège. Anvers

Chaînes de télévision. VTM, RTL Nederland,
RTL-TVI (50%)…

Radios. Joe, QMusic, Bel RTL (50%),
Radio Contact (50%)…

Quotidiens. Het Laatste Nieuws, De Morgen,
De Volkskrant, Het Parool…

Magazines. Dag Allemaal, Libelle (Pays-Bas), Humo, Story, Flair (Pays-Bas)…

Services en ligne. AutoTrack, Tweakers… 

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