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Les Ardentes: Comment un festival liégeois est devenu un poids lourd du business musical urbain

Du 3 au 6 juillet, Liège accueillera à nouveau des dizaines de milliers de festivaliers venus de toute l’Europe. Mais derrière les paillettes des têtes d’affiche comme David Guetta ou Kendrick Lamar, Les Ardentes, c’est aussi une machine économique bien rodée, portée par un duo local : Jean-Yves Reumont, programmateur, et Jennifer Wuilquot, directrice du festival. Ensemble, ils ont transformé ce rendez-vous né en 2006 en mastodonte des musiques urbaines en Europe.

De 25 000 à 60 000 personnes : briser le plafond de verre

À ses débuts, Les Ardentes résonnait électro. « C’était l’époque des grandes messes techno et house », se souvient Jean-Yves. Le festival a connu un premier âge d’or généraliste, avec Indochine, Placebo ou Stromae. Mais en 2015, virage stratégique. « On a vu émerger un nouveau public, une nouvelle vibe », explique Jean-Yves. « Celle de la Gen-Z, des kids qui venaient pour A$AP ROCKY, Nicki Minaj, Kendrick Lamar ». La transition n’a pas été immédiate. « Certains anciens ont mal réagi, la fréquentation a même baissé un temps », mais le pari s’est révélé gagnant. « On a perdu un public, mais on en a gagné quatre fois plus. »

Les Ardentes
Jean-Yves Reumont, programmateur du festival. ©D.R.

Le vrai coup d’accélérateur ? Le déménagement, d’abord. En 2019, Les Ardentes organisent leur dernier événement à Courbemeuse, pour élire domicile à Rocourt en 2022 – leur emplacement actuel – après la pause liée au Covid, . « Avant, on plafonnait à 25 000 personnes par jour. Aujourd’hui, on vise 60 000 », note Jennifer Wuilquot. « On est passé dans une autre dimension », ajoute Jean-Yves Reumont. Le festival jouait désormais dans la cour des grands, jusqu’à ce que le Covid s’en mêle.

Un changement d’échelle accompagné d’un repositionnement clair : devenir une référence internationale des musiques urbaines, dans la veine de Rolling Loud aux États-Unis. « On a réussi à briser le plafond de verre et attirer un public français massif au fil des années. Et depuis peu, on se rouvre à l’électro qui est en train de revenir, tout en misant aussi sur des artistes plus grands publics comme David Guetta, tête d’affiche cette année. »

Jennifer Wuilquot, directrice du festival. ©D.R.

Un modèle économique sous tension

Mais grandir coûte cher. Très cher. Le budget artistique oscille entre 6 et 9 millions d’euros. Le cachet d’une tête d’affiche peut grimper jusqu’à 7 chiffres. « Les prix explosent », confie Jennifer. « L’affiche coûte plus cher, la prod coûte plus cher, et beaucoup de pros ont quitté l’événementiel après le Covid. Il faut recruter, former, monter, démonter. En période haute, on mobilise plus de 5 000 personnes accréditées ». Les recettes ? 90 % viennent de la billetterie, des bars, du camping et du merchandising. Les sponsors ne pèsent que 5 à 7 % et les subsides à peine 0,7 %. « On n’a pas droit à l’erreur. Il faut être sold out ou rien », résume Jennifer. « On renégocie chaque année avec les fournisseurs, on repense nos scènes, on est inventifs. Le festival d’aujourd’hui, ce n’est plus juste un concert et un bar : c’est une expérience. »

Les Ardentes
Vue de haut du festival Les Ardentes pris pendant la nuit. ©D.R.

Et cette expérience évolue. « On a par exemple développé des espaces gaming, car ça plaît beaucoup ». Une nouvelle scène électro fera également son apparition, ainsi qu’un camping indoor. « On voulait proposer une alternative entre l’esprit camping et Airbnb ».

La guerre des têtes d’affiche

Dans ce marché ultra-concurrentiel, tout se joue sur les exclusivités. « C’est une négo à tiroirs avec les agents », explique Jean-Yves. « Certains artistes demandent très cher, mais remplissent instantanément. Si tu es sold out en une heure, c’est plutôt rentable au final ». Quand on l’interroge sur ses rêves de tête d’affiche, il cite Drake et Eminem. « Drake a été programmé aux Ardentes en 2010 alors qu’il n’intéressait personne. Lorsqu’il a annulé au dernier moment, c’était dans l’indifférence générale (rire) ». Et dans les francophones ? « On aimerait Jul, mais il ne fait pas de festivals. »

Les Ardentes
La plaine du festival. ©D.R.

Le festival du futur ?

Avec une équipe qui passe de 9 à 5 000 personnes en haute saison, Les Ardentes se préparent toute l’année pour ces quatre jours de feu. « On est déjà en train de monter le site », souffle Jennifer, six semaines avant le coup d’envoi. Chaque détail compte, chaque économie est étudiée. Mais un autre enjeu crucial pèse sur les épaules des organisateurs : la sécurité. « C’est un des coûts les plus importants, et un coût incompressible », insiste Jennifer. « On a peu d’emprise. On peut fonctionner avec plus de caméras, mais 60 000 personnes sur un site, on ne sait pas faire d’économies. »

Et demain ? « Avec le Covid, il y a eu un retour à l’envie de réel. Les concerts virtuels ont été mis de côté, mais on reste attentifs à l’évolution technologique. L’IA arrive sur les festivals. On doit l’intégrer à tous les niveaux : production, programmation, relation client. C’est ça, le festival du futur. »

Les Ardentes
Le festival mise principalement sur une jeune génération de 18-35 ans. ©D.R.

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