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Un havre littéraire chargé d’histoire

En plein cœur historique de Courtrai, Theoria ne se contente pas de vendre des livres. Plus qu’une librairie, c’est un îlot de littérature et de culture, doublé d’un lieu de détente. Un endroit à visiter avant de mourir.

« Quand les premiers rayons de lumière dévoileront les rues, la ville s’éveillera comme un creuset où se croisent la parole et la vérité. » Le poème peint sur les marches de Theoria fait le lien entre le monde extérieur animé et le calme presque sacré qui règne à l’intérieur de la librairie. Le bâtiment historique jouxte le jardin du Casino, récemment restauré, qui regarde vers le passé tout en accueillant une touche contemporaine, comme une oasis de respiration au cœur de la ville. La librairie, fondée en 1969, était à l’origine située à quelques encablures de là. En 2017, les milliers de livres qu’elle contenait ont déménagé dans l’emblématique bâtiment du Casino, un monument classé datant de 1844. Cet édifice néoclassique a rempli de nombreuses fonctions au fil des ans, notamment celles de casino, salle de concert et même bâtiment scolaire. « Un déménagement synonyme de nouvelles opportunités et de nouveaux défis », se souvient Pascal Vandenhende (62 ans), directeur commercial de Theoria, qui a immédiatement saisi l’occasion unique de combiner la riche histoire du bâtiment avec la mission culturelle de Theoria. « Lorsque nous avons dû quitter notre première implantation, j’ai passé plusieurs nuits blanches. Cette propriété s’est présentée à nous. Elle était trop grande et trop chère, mais en même temps, c’était la meilleure chose qui pouvait nous arriver. Le bâtiment a quelque chose de magnétique, il doit être un refuge, un lieu de rencontre, un phare dans la ville », explique Pascal Vandenhende.  

©Gerard Van Rafelghem

« Une librairie dans la ville »   

Dans le livre La librairie sur la colline, Alba Donati raconte son rêve de quitter la vie urbaine trépidante de Florence en 2019 pour ouvrir une librairie dans son village natal de Lucignana, en Toscane. À la surprise de l’intéressée, la boutique devient rapidement une attraction touristique. À l’époque, Pascal Vandenhende avait lui aussi renoncé à son existence stable dans le secteur bancaire pour réaliser son rêve d’ouvrir « une librairie en ville ». Theoria, elle aussi, est devenue une attraction. Désormais reconnue à l’international, elle a été incluse dans le prestigieux guide d’Elizabeth Stamp, « 150 Bookstores You Need to Visit Before You Die ». Cette liste salue la combinaison unique d’un cadre historique spectaculaire et d’une atmosphère familiale qu’offre Theoria. « C’est très agréable de faire l’objet d’une telle reconnaissance. Et en plus, on ne nous la retirera pas », déclare Pascal Vandenhende. Il émet toutefois une réserve. « Si Theoria était située à Bruxelles, Anvers ou Gand, nous attirerions davantage de curieux. Mais honnêtement, je suis content d’être à Courtrai. C’est une ville à fort potentiel, à taille humaine ; nous y sommes appréciés et respectés. Je sens que les gens sont fiers de nous. Et si je dois me battre un peu parce que nous ne faisons pas partie des grandes villes de culture, qu’il en soit ainsi. C’est le combat de toute une vie. »  

Une bataille qui se livre aussi sur le terrain économique. Après tout, faire fonctionner une librairie indépendante n’est pas si évident. Pascal Vandenhende : « Il y a beaucoup de lecteurs, mais la concurrence est féroce. Le livre a été enterré plusieurs fois. À une époque, on parlait beaucoup des liseuses. En fin de compte, c’était un pétard mouillé. Depuis, la vente en ligne a fait massivement son apparition. Surtout depuis le Covid, les gens se sont habitués aux boutiques en ligne comme Bol.com ou Amazon. Les grandes chaînes comme Standaard Boekhandel ou la Fnac en souffrent, mais nous le ressentons aussi. »  

« Je voulais créer une librairie où j’aurais moi-même envie d’aller en tant qu’amateur de livres »  

Une librairie en tant que telle, ça ne semble pas si compliqué : le prix fixe du livre a été instauré, et tout le monde peut acheter les mêmes livres. Je suis un peu provocateur à dessein mais, au fond, ce n’est pas sorcier, si ?  

Pascal Vandenhende sourit : « C’est vrai, mais ce qui compte, c’est ce qu’on fait de cette donnée de départ. Tout le savoir-faire commercial qu’il faut développer. J’ai beaucoup progressé dans ce domaine, parfois dans la douleur. Nous avons maintenant constitué un stock qui me semble raisonnable. Il y a très peu de livres invendus. Car c’est un problème auquel font face d’autres librairies : un énorme stock d’invendus. Chez nous, il y a en permanence en magasin entre 14 000 et 15 000 livres, ce qui est beaucoup et peu à la fois. Nous offrons un mélange entre la littérature populaire d’une part, et des ouvrages plus pointus d’autre part. Une offre accessible, mais qualitative. Petit à petit, les pièces du puzzle s’emboîtent et tout commence à fonctionner comme je le souhaitais : je voulais créer une librairie où j’aurais moi-même envie d’aller en tant qu’amateur de livres. Pour une entreprise, il est important que tout soit parfait. L’expérience est un mot à la mode, mais c’est ce que les gens recherchent. Surtout dans un monde de plus en plus instable. Par exemple, nous préparons nos propres biscuits et gâteaux pour accompagner le café. Je ne cherche à émouvoir personne mais, en tant qu’entrepreneur, j’ai connu la misère. Il faut aussi avoir un peu de chance, même si je suis convaincu qu’on se crée ses propres opportunités. »   

©Gerard Van Rafelghem

« Bed & Books »

Dans Le Libraire de Wigtown, Shaun Bythell décrit ses mésaventures en tant que gérant d’une librairie d’occasion à Wigtown, dans le sud-ouest de l’Écosse. Cette librairie est aujourd’hui réputée, non seulement parce qu’elle possède 100 000 livres et que Shaun Bythell semble être un libraire un peu grincheux, mais surtout parce qu’elle dispose d’un lit où l’on peut passer la nuit au milieu des livres, moyennant paiement bien entendu.   

Pascal Vandenhende n’a rien d’un libraire grincheux, mais il propose, avec son Bed & Books, un bed & breakfast au sein même de la librairie. Ce concept, qu’il a imaginé avec sa compagne Sarah, est unique au Benelux. Il offre aux clients la possibilité de passer la nuit parmi 4 200 livres, entourés de littérature de tous les genres imaginables, en plusieurs langues. Des personnalités telles que l’artiste Bent Van Looy et l’auteur Tommy Wieringa y ont déjà dormi et se sont fendus de commentaires élogieux dans le livre d’or. L’hébergement est entièrement équipé d’installations modernes telles qu’une douche spacieuse, une connexion Internet et un parking privé. Le petit-déjeuner est servi dans la salle de lecture du Theoria, où les clients peuvent déguster en toute quiétude produits locaux, confitures maison et jus de fruits frais.  

Theoria a toujours veillé à cultiver un lien étroit avec l’art et la culture. Ce rapport privilégié se reflète dans les nombreux salons du livre, expositions et œuvres d’art qu’accueille la librairie. À titre d’exemple, le lieu a hébergé il y a peu l’exposition Art at the Bookshop, qui présentait des peintures d’Antonietta Deluca. Les visiteurs peuvent également admirer des œuvres d’autres artistes renommés tels que Klaus Verscheure et James Norbury. La grande salle située au dernier étage de Theoria a également fait peau neuve. Fraîchement repeinte, elle est recouverte d’une nouvelle moquette et d’un papier peint restauré. Cet espace sera disponible pour des ateliers, team buildings et réunions, ce qui renforcera la polyvalence de Theoria comme espace culturel.  

« En tant que libraire, je suis au four et au moulin »

« Les différentes fonctions se renforcent mutuellement, toutes ces parties et pièces s’imbriquent organiquement les unes dans les autres. Honnêtement, ces idées viennent d’un dialogue entre le bâtiment et moi-même. Partout où je vais, bien sûr, je visite des librairies et j’y puise parfois l’une ou l’autre idée. Mais ça vient surtout de moi, excusez-moi si je peux vous sembler hautain », s’amuse Pascal Vandenhende. « Bien sûr, il faut en avoir l’occasion, mais c’est le cas ici. En tant que libraire, je suis au four et au moulin : quand je ne participe pas à l’élaboration de la stratégie, je change les rouleaux de papier WC. »  

Collaboration  

Entre-temps, la librairie Theoria a mis en place une collaboration avec la librairie Stad Leest (Anvers), la librairie pour enfants Pardoes (Malines) et la librairie Medio. Sous l’impulsion de Thom Pelckmans (Pelckmans Publishers), les différentes librairies travailleront en étroite collaboration, chacune conservant son individualité, son expertise et son rôle local. Pascal Vandenhende : « Cette coopération offre la possibilité de se professionnaliser davantage dans les domaines du back-office, des achats, de l’automatisation et du service. Grâce à ce partage mutuel des connaissances et au soutien d’une organisation centrale, nous pouvons continuer à croître ensemble sur le plan commercial. »  Enfin, la question clichée par excellence. Les libraires ont-ils encore l’occasion de lire ? Pascal Vandenhende : « Je lis une cinquantaine de livres par an, trop peu pour être pleinement satisfait, assez pour rester à jour. Heureusement, notre équipe – quatre employés fixes et des flexijobs – est très diversifiée et complémentaire. Par conséquent, la table de lecture où sont visibles nos conseils présente toujours une offre étoffée et variée. Des conseils qui sont par ailleurs largement plébiscités. »

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