Suite à la faillite prononcée d’Altro Finance & Insurance, holding luxembourgeoise pilotée par Dominique Dejean, la faîtière du groupe Wilink et ses principaux actionnaires sont dans la tourmente. Un effet domino est à craindre pour certaines de ses filiales.
L’annonce du prononcé de la faillite d’Altro Finance & Insurance par les autorités luxembourgeoises date d’il y a plusieurs semaines déjà. Elle a été officialisée la semaine dernière. Et vu le lien financier direct de son actionnariat avec celui du groupe Wilink, certains proches du dossier, qui ont parfois perdu plusieurs millions d’euros dans l’aventure sans espoir de récupérer leur mise, n’hésitent plus à annoncer un effondrement rapide des filiales du groupe par effet domino.
Rouages financiers complexes
Wilink Real Estate, le bras immobilier du groupe, enregistrait d’ailleurs des pertes dès 2023 et manquait déjà cruellement de capitaux propres. Nos confrères du Standaard ont été les premiers à tenter de détailler les rouages complexes du système mis en place par Dominique Dejean, co-fondateur et grand planificateur financier du groupe Wilink et reconnu autrefois comme l’un des grands courtiers d’assurances belges.
Actif dans le secteur financier depuis 1988, le groupe piloté par ce dernier, déjà spécialisé dans les revenus de commissions de services, s’est progressivement diversifié sur plusieurs fronts en parallèle en prodiguant des conseils en matière de planification financière. Le cross-selling consistant à coupler la vente de crédits financiers personnalisés, d’actifs immobiliers et de produits d’assurance est rapidement devenu l’ADN commercial de l’homme d’affaires. Et le brelan de services gagnant s’est concrétisé industriellement dès 2014 pour créer un vrai canif suisse via un réseau de services financiers intégrés dont le siège social se trouve toujours à Louvain-la-Neuve pour l’instant.
Le canif suisse… sur papier
La faîtière du groupe est réellement venue du rapprochement de trois hommes aux compétences complémentaires: Dominique Dejean (SNC Dominique Dejean-Elitis) avec Stefaan Vallaeys (Valminvest-BFO Family Office), actif lui aussi dans l’assurance-vie et l’immobilier, et Christophe Dister, bourgmestre MR de La Hulpe et homme fort du groupe de courtage d’assurances et de crédit FINB (Even More SPRL).
Mais à la fusion des trois pôles réunis d’abord sous faîtière FINB Group puis Wilink, sous l’égide de Dominique Dejean et sous la présidence de Claude Desseille, il y avait, sur la table du notaire, pas moins de 60 sociétés à valoriser et à absorber dans un montage financier, on l’imagine, pour le moins alambiqué. Au final, l’actionnariat de Wilink sera constitué à quasi 90% par la société de droit luxembourgeois Altro Finance & Insurance SA aujourd’hui déclarée en faillite et au sein de laquelle l’actionnariat se partageait 50/50 à l’origine entre Belinda Holdings SA (-25 millions d’euros de pertes reportées en 2023) et des partenaires (Teck Finance, Mylecke, etc.), des membres du management ou des minoritaires.
De façon plus stratégique, l’entité bénéficiaire économique ultime de cette machine financière particulièrement complexe, la société faîtière Trinity Equity, place Dominique Dejean largement au-dessus de la mêlée des actionnaires puisqu’il y détient à lui seul 42% du capital et 2.999 parts sur un total de 7.125.
Le chaînon manquant
Le côté obscur de la force du réseau Wilink, c’était avant tout un portefeuille de 80.000 clients particuliers où le courtage en assurance occupait 75% de l’activité quotidienne et l’immobilier 20%. «La stratégie adoptée dès le départ était de progressivement étendre l’expertise et l’activité de courtage immobilier. On voulait rapidement arriver à créer un point de vente par province où nos quatre métiers de courtage soient représentés: la banque, le crédit, les assurances et l’immobilier et étendre notre réseau», nous confiait Christophe Dister en 2017.
Pour élargir le spectre sans passer par une longue croissance organique sur le volet du courtage immobilier, les hommes forts de Wilink vont alors porter leur dévolu sur le réseau Century21, alors fort de quelque 160 agences, le racheter… puis le revendre dès 2019 suite à une dispute à couteaux tirés entre actionnaires nouveaux et anciens. Au même moment, fort de 350 collaborateurs, le groupe Wilink décrochait le trophée de Gazelle n°1 dans la section Grandes Entreprises du Brabant Wallon (Trends-Tendances).
Forces centrifuges
Pourtant, déjà soucieux de se replier sur le pôle assurance et son solide portefeuille de clients et de commissions récurrentes, Dominique Dejean persuadait dès 2020 les administrateurs de son groupe de s’associer au fonds français LFPI (banque Lazard) en le faisant rentrer dans le capital dès septembre de la même année. LFPI prenait alors directement une participation majoritaire de 51% dans la filiale Insurance du groupe Wilink, la seule recapitalisée à temps pour voler de ses propres ailes, les autres activités -courtage immobilier et planification financière- étant restées en dehors du partenariat.
En janvier 2021, la SA Wilink, dont le président du conseil d’Administration -démissionnaire- est alors Yves Delacollette, disparaît discrètement pour être rebaptisée Altro Finance & Insurance Belgium, alors toujours dotée d’un capital social fixé à quelque 36 millions d’euros.
Enfin, il y a juste un an, Dominique Dejean, sans doute déjà dans la tourmente, transmettait le poste de CEO du groupe Wilink qu’il occupait encore à Dorsan van Hecke et se retirait même du conseil d’administration. L’homme d’affaires avait alors avancé -couplet connu- l’effet conjoint de la pandémie, de la guerre en Ukraine et la vague d’inflation à laquelle le secteur des services avait dû faire face. C’est alors que la filiale immobilière a progressivement commencé à réduire sa voilure, Dejean affirmant avoir dû clôturer les comptes en raison de dettes intra-groupe non remboursées. A ce jour, reste encore une quinzaine d’enseignes en activité et on est bien loin du projet mis sur la table il y a sept ans à peine.
Un actionnaire n’est pas l’autre
Comme le soulève De Standaard, la question est aujourd’hui de savoir comment procéder avec les activités belges pour tenter de sauver ce qui peut encore l’être. « C’est une décision du conseil d’administration de la société belge. Je ne peux plus rien dire sur la holding luxembourgeoise Altro Finance & Insurance, car je n’en suis plus administrateur », a rétorqué Dejean à nos confrères en bottant en touche vers les curateurs désignés.
A y regarder de plus près, la filiale Altro Finance & Insurance Belgium (AFI Belgium), qui comprend également Wilink Real Estate, plonge également dans le rouge: dès 2022, la maison mère luxembourgeoise avait déclaré dans ses comptes une moins-value de 12 millions sur la holding belge. Les comptes annuels 2023 de la succursale belge, publiés en juin dernier, ont fait monter à -45 millions d’euros le total des pertes reportées. Les huit sociétés reprises sous la bannière belge en page 15 du bilan affichent d’ailleurs toutes des pertes. Mais Altro Finance & Insurance SA (Luxembourg) affichait encore fin 2023 plus de 50 millions d’euros de capitaux propres et Copawin SA (Louvain-la-Neuve) 47 millions. On peut donc raisonnablement se demander ce que sont devenues ces coquettes cassettes et à qui elles ont profité in extremis: selon nos informations, une poignée d’actionnaires historiques triés sur le volet ont en effet pu revendre leurs actions juste à temps.
Everard van der Straten-Ponthoz (Teck Finance SA), le directeur en exercice (également administrateur), a pour sa part démissionné l’an dernier au Luxembourg et en Belgique en critiquant dans sa lettre de motivation la mauvaise gouvernance, les mauvais choix stratégiques et les récompenses financières non justifiées que s’était encore octroyé Dominique Dejean. « Je n’y ai pas répondu à ce moment-là, mais je devrais peut-être le faire quand même », a rétorque ce dernier à nos confrères du Standaard hier.
On attend, pour en savoir davantage sur le futur d’AFI Belgium, les réactions de Camille D’Hulst, Eric Vandoren ou Jean Gabriel, les autres administrateurs de la filiale belge, ainsi que du fidèle CFO du groupe Wilink, Luc Tonneau. Ce dernier a planché dès 2021 sur la création de RIO Fund (Real Estate Investment Opportunities Fund), dont il est devenu le CEO et qui recouvre les mêmes métiers et services que Wilink.
Dans les premiers comptes annuels déposés par RIO Fund, rapidement dotée d’un capital dépassant 11 millions d’euros, les engagements hors bilan finançant les sociétés portant des projets de développement immobilier à Profondeville, Namur, Esneux, Berchem, Hasselt ou Herentals s’accumulent. Fin 2023, RIO Fund y déclarait des participations souvent majoritaires dépassant déjà la barre des 25 millions d’euros.
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En date du 27 novembre, Dominique Dejean nous demande de publier cette réponse: « Contrairement à ce qui est mentionné dans cet article je ne suis nullement le co-fondateur du groupe Wilink qui, bien que sous une dénomination différente, existait déjà 10 ans avant mon entrée dans le groupe en 2003. La complexité de la structure est la conséquence directe de la fusion qui a eu lieu en 2014 entre Elitis et les groupes BFO et FINB pour donner naissance au groupe de courtage Wilink. La responsabilité décisionnelle d’une opération de fusion d’une telle ampleur repose, comme le stipule la loi, entièrement sur les organes de gestion de chacune des entités impliquées dans la fusion et ne peut bien évidemment se concevoir sans leur assentiment plein et entier». Nous reviendrons sans doute très prochainement sur ce dossier Celles et ceux qui le connaissent de près jugeront sur pièce.